Mario De Santis, un honnête
représentant de commerce, voit sa vie bouleversée lorsqu’une femme qu’il
ne connaît absolument pas l’accuse à tort d’être bigame. Il est défendu
par un avocat très distrait.
Luciano Emmer signe une hilarante comédie avec Le Bigame
où il retrouve Sergio Amidei (secondé par le duo Age et Scarpelli et un
débutant nommé Francesco Rosi), scénariste de son classique Dimanche d'aout (1950).
On est cependant loin du néoréalisme rose naissant pour plonger dans la
franche comédie sociale dans une veine proche du Pigeon (1958). Mario De
Santis (Marcello Mastroianni) est un séduisant représentant de commerce
et père de famille qui va voir son quotidien bouleversé lorsqu'une
inconnue va l'accuser de bigamie pour un mariage contracté sept ans
auparavant. Marcello Mastroianni tout au long de sa carrière se plaira à
détruire l'image de séducteur que son physique avenant peut évoquer, Le Bel Antonio
(1960) en tête. Ici tout le film tend à détruire justement cette facette en la
mettant en valeur au départ où l'on est admiratif du bagout
et du charme de Mario pour vendre des tubes de dentifrice aux (épouses
des) commerçants qu'il prospecte. Il en va de même dans son foyer où
un baiser viril calme les ardeurs jalouses de son épouse Valeria
(Giovanna Ralli).
Tout bascule donc lorsque la très lunaire
Isolina (Franca Valeri) l'accuse de bigamie. Luciano Emmer manie à la
fois la satire sociale et l'humour absurde pour dépeindre la déchéance
du malheureux Mario. La morale inquisitrice teintée de bigoterie instaure
ainsi une vindicte qui ne laissera aucune chance à Mario, toujours plus
coupable quoiqu'il dise ou fasse, que ce soit dans les situations dont
l'interprétation est constamment à son désavantage (une rencontre secrète
avec son épouse devenant une tentative d'enlèvement pour la police) ou
le regard des autres avec une belle-famille et des voisins qui ont tôt
fait de se retourner contre lui. Cela pourrait tout à fait être les
éléments d'un drame pesant mais Emmer y ajoute une outrance toute
italienne qui élève l'injustice à des proportions hilarantes.
Une longue
scène de vaudeville voit par une suite de hasards malheureux s'empiler
dans l'appartement du couple tous les protagonistes n'ayant aucun
intérêt à se rencontrer (les deux épouses, leurs familles et avocats
respectifs) et se conclut en bagarre générale. La respectabilité perdue
expose à tous les malentendus mais aussi aux vautours en tout genre.
Vittorio De Sica nous offre ainsi un grand numéro comique en avocat plus
intéressé par les paillettes que la plaidoirie. Le ton se fait grinçant
à travers ce personnage reflet de la corruption ordinaire avec des
running gags tordants, entre les poses qu'il prend dès que passe un
appareil photo ou des sentences fatales à tous ses clients ivres de
vengeance. Partant du principe que son client est de toute façon
coupable, inutile de s'informer de l'affaire en détail et autant compter
sur une éloquence creuse pour le défendre. La plaidoirie finale est
absolument hilarante, De Sica plus théâtral que jamais calomniant,
jurant, pleurant et vociférant tout en citant des poèmes de Gabriele
D'Annunzio, grand moment.
Là où l'on sent que nous ne sommes pas
encore entré dans la comédie italienne cruelle des années à venir, c'est
dans la caractérisation du/des couples. Mario et Valeria ne cessent
jamais de s'aimer, le dépit de cette dernière repose plus sur un sincère
désespoir que la crainte du regard des autres et plus que l'accusation,
c'est bien l'influence néfaste de leur entourage qui les sépare. Franca
Valeri aussi parvient à être étonnamment attachante malgré son rôle
négatif puisque les indices du scénario et son jeu décalé ne laissent
jamais planer le doute quant à son mensonge. La solitude de la vieille
fille, étouffée par un père autoritaire émeuvent sous les rires et comme
souvent dans le cinéma italien la dimension régionale constitue
l'identité de manière sous-jacente.
Les multiples allusions à ses
origines de la petite ville de Forlimpopoli soulignent à la fois les
mœurs sévères de la province du nord mais aussi une richesse qui
permettra d'accuser et d'être crue plus facilement que le modeste
Mario. Ces trois-là sont les seuls dont le film expose sincèrement les
failles et les tourments quand tout le reste du casting est dans
l'outrance et la caricature. On détache tout de même le truculent Memmo
Carotenuto, grand second rôle italien de l'époque et excellent en
acolyte de prison bienveillant. Il sera d'ailleurs récompensé d'un Ruban
d'argent du SNGCI (Syndicat National des Journalistes du Cinéma
Italien) pour son interprétation. Un très bon moment, plaisant de bout
en bout.
Sorti en dvd zone 2 français chez René Chateau
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Bonjour Justin, je n'ai jamais vu de film de Lucianno Elmer (même pas Dimanche d'août), mais en lisant ta chronique, je me dis qu'il faudrait décidément que je m'y mette.
RépondreSupprimerStrum
Salut Strum,
RépondreSupprimerOui ça pourrait vraiment te plaire "Le Bigame" est un peu plus mineur même si très bon mais "Dimanche d'aoüt" c'est vraiment un summum du néoréalisme rose. Dans les deux on trouve en tout cas cette veine plus tendre et amusée de la comédie italienne même si Le Bigame annonce déjà le côté plus méchant et désabusé du Pigeon.
D'ailleurs, je viens de massacrer son nom au dessus... :( C'est dire, si je le connais mal. Je vais m'y mettre. :)
RépondreSupprimerJe l'avais vu au cinéma de minuit fin 2015 et viens d'acheter le dvd à Paris (soldé un peu partout). Comédie formidable sur un rythme rapide, voire fringuant, sans un seul temps mort.. De Sica grandiose. Grande découverte qui prouverait que Luciano Emmer n'est pas l'homme d'un seul film (Dimanche d'Août).Je n'oublie pas la fille dans la vitrine mais j'ai été moyennement convaincu par celui-ci malgré les acteurs..
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