Ce passionnant ouvrage de Marguerite Chabrol vient éclairer
les liens assez méconnus (au sein de la cinéphilie française du moins) entre théâtre
et cinéma, et plus précisément entre Broadway et le Hollywood de l’âge d’or. C’est
à une vaste étude thématique, économique et richement documentée à laquelle
nous invite Marguerite Chabrol. La réalité mais aussi une certaine forme de
cliché oppose Broadway, symbole de la sophistication et culture new yorkaise
dans sa tradition du théâtre au cinéma, art récent et destiné à des masses plus
larges et populaires. L’équation n’est pas si simple comme va le démontrer l’analyse.
L’auteur se penche tout d’abord sur les liens économiques
entre Broadway et Hollywood. L’adaptation de pièces de Broadway va s’accélérer
fortement et constituer une manne considérable avec l’arrivée du parlant au
début des années 30. On découvre que l’influence de Broadway s’étend notamment aux
méthodes de promotion d’Hollywood reprenant certaines idées de lancement des
pièces, que ce soit dans les slogans, l’association des stars hollywoodiennes
aux grandes icônes du théâtre où aux modèles de sortie progressives dans le
pays qui correspondent aux tournées nationales de pièces en guise de test avant
les grandes scènes de Broadway. L’échange ne se fait pas que dans un sens, la
possibilité d’une adaptation pouvant se faire avant que la pièce soit jouée et
contribuant même au financement de sa production scénique. Le studio y repère
une thématique en vogue ou un véhicule pour une star par cette aide au montage
scénique pourra s’appuyer sur son succès au moment de lancer le film. On peut
même avoir des exemples plus extrêmes avec L’Insoumise
(1939) de William Wyler dont la pièce adapte remporta un succès très modeste mais dont
le sujet correspondait à la star de la Warner, Bette Davis. Ce succès lance
donc un cycle qui spécialisera Bette Davis dans la reprise de grands rôles
théâtraux qui l’associeront à cette veine dans l’imaginaire du public bien qu’elle
ne se soit jamais produite sur scène.
L’auteur soulève d’ailleurs un pan
méconnu des prestations les plus mémorables à l’écran, l’influence de l’interprète
original de la pièce. Dans le cas de Bette Davis, on constate le mimétisme avec
Tallulah Bankhead (dont la carrière au cinéma ne pris jamais réellement) dont
elle repris souvent les rôles - avec quelques anecdotes sur la défiance de l’actrice
de théâtre vexée d’être copiée - comme
dans les mélodrames Dark Victory
(1939) ou The Little Foxes (1941). Ce
fait n’est pas dévoilé pour amoindrir la prestation de Bette Davis qui amène
ses propres nuances à cette inspiration initiale mais plutôt pour expliciter
une logique et continuité à tenir entre la connaissance qu’a le public du
matériau original auquel il faut rester fidèle mais aussi de maintenir sans le
dénaturer ce qui a fonctionné sur scène. Cette idée est approfondie et étendue
à la réalisation des films où l’on constate une reprise du dispositif et d’idées
développé dans la mise en scène de théâtre. Marguerite Chabrol décrypte là
aussi avec forte documentation à l’appui – des photos très rares la manière dont certaines idées visuelles
et/ou narratives sont revisitées à l’écran dans une logique cinématographique.
Les perspectives du studio et des acteurs guident donc le
choix mais aussi la fidélité fluctuante aux œuvres originales. La censure du
Code Hays (s’opérant en amont en pointant les points sensibles des pièces) obligent
à une certaine inventivité pour reprendre les sujets à problèmes de façons plus
codées mais parfois les pièces sont dénaturées pour cette raison qu’afin d’être
orienté vers un genre plus en vogue – la transition pouvant être spectaculaire
du drame sur scène à la comédie à l’écran, le succès de New York – Miami (1934 et pourtant pas issue d’une pièce) ayant
contribué à des mues inattendues vers la screwall comedy. La scène peut être
également un instrument de reconstruction pour les acteurs avec ici l’exemple
de Katherine Hepburn se réinventant dans The
Philadelphie Story qui triomphe à Broadway et dont elle reprendra le rôle
principal pour retrouver le succès à l’écran après de nombreux échecs au
box-office. Une méthode qui ne marche pas toujours comme le constatera Ingrid Bergman, interprète de Jeanne D’arc sur scène mais avec moins
de réussite commerciale au cinéma. Cela peut être aussi un obstacle à l’adaptation
quand l’acteur refuse de voir transformée l’œuvre qu’il a interprété au
théâtre, en témoigne le conflit qui conduira à l’éviction de John Ford dans Permission jusqu’à l’aube (1955). Ce
passage de la scène à l’écran pour les acteurs semble d’ailleurs surtout
concerner les stars ou pour les interprètes plus modestes qu’on spécialise dans
des rôles pittoresques – qui peuvent d’ailleurs incarner à eux seuls la
provocation ou excentricité lissée dans l’adaptation. Cette transition au sens large est d'ailleurs abordé à travers les metteurs en scène de Broadway passant à la réalisation tel Joshua Logan sur Picnic et surtout Elia Kazan pour un des rares exemples où l'équipe reste grandement identique d'un support à l'autre dans Un tramway nommé désir (1951).
Ce ne sont que quelques pistes parmi celles nombreuses qu’explore
Marguerite Chabrol dans un vrai travail de recherche (y compris les mémos des
exécutifs de studios) passionnant. Il faudra néanmoins avoir une bonne
connaissance du cinéma hollywoodien sans quoi les multiples références resteront
un peu abstraites.
Paru chez CNRS Editions
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