Northern Soul c'est l'histoire de la jeunesse britannique des années
1970 et d'un mouvement underground qui a bouleversé toute une
génération. Deux jeunes provinciaux refusent de se soumettre à leur
avenir tout tracé, d'un travail à la chaine à l'usine et ne pensent qu'à
partir aux USA. Ils rêvent de dénicher des disques vinyles rares, qui
leur permettraient de devenir les meilleurs DJ. Ce périple va leur faire
découvrir violence, rivalité, abus de drogue et mettra en péril leur
amitié.
Au début des années 60, l'Angleterre connait un engouement
musical sans précédent pour la soul. Les tubes de la Motown, Atlantic ou Stax
cartonnent et inspirent les groupes locaux (notamment ceux du courant mods) qui
vampirisent la soul pour l'emmener ailleurs avec des formations plus rock comme
les Small Faces ou les Who. Avec l'arrivée du hard rock, du rock psyché, du
glam et du rock progressif, la soul devient rapidement passée de mode auprès du
grand public anglais. C'est sans compter sur une horde d'irréductibles dans le
nord de l'Angleterre, réfractaires au changement et qui vont s'improviser DJ en
organisant des soirées où ils diffusent les plus grands tubes soul de l'époque.
Devant le succès considérable de ces soirées, les DJ se retrouvent rapidement à
court de disques à diffuser et décident de se rendre aux USA d'où ils vont
ramener un flot de perles méconnues, mais qui n'ont rien à envier aux
classiques Motown.
Le succès est tel que des titres ayant fait un bide
plusieurs années auparavant aux Etats -Unis (surtout faute de distribution
correcte) se retrouvent soudainement n°1 dans les charts anglais participe à
créer le courant de la Northern soul. La Northern Soul se caractérise par ses
tempos ultra soutenu ravivant le son Motown, un four on the floor éreintant taillé pour les pistes de danses dont
le slow est totalement exclu. La drogue aidant, les rythmes se feront de plus
en plus rapides, annonçant le virage vers le disco. Le mouvement connaîtra son
apogée du milieu des 60's à la fin des 70's avec des soirées prétexte à des marathons
de danses au sein de clubs mythiques du nord de l’Angleterre : Le Twisted Wheel
à Manchester, le Golden Torch à Stoke -On -Trent, le Mecca à Blackpool et le
Casino de Wigan. Le genre aura perduré à travers les reprises – le célèbre Tainted Love de Soft Cell est repris d’un
tube northern de Gloria Jones -, groupe hommage tel les Dexy’s Midnight Runner
et leur Come on Eileen et artiste récent s’en réclamant comme la regrettée Amy
Winehouse.
Le film d’Elaine Constantine se penche donc avec brio sur le
phénomène. Comme souvent la passion naît de l’ennui et la musique va constituer
une échappatoire au quotidien morne et à l’avenir sinistre promis par le cadre
d’une cité industrielle du nord de l’Angleterre. John (Elliot James Langridge),
adolescent brimé et solitaire est subjugué durant une soirée par l’aplomb de
Matt (Josh Whitehouse). Ce dernier réussit à imposer un titre soul au DJ et ne
va pas se démonter face au public amorphe pour se lancer dans une danse
survoltée et haranguer l’assistance. C’est le départ d’une belle amitié et c’est
à travers le regard novice de John que l’on va découvrir la culture Northern
Soul. Le mouvement est la fois vestimentaire avec ces sweat collant, pantalons
ample et grosses chaussures permettant d’exécuter les pas de danse les plus
spectaculaires et bien sûr musical. Le film rend parfaitement l’aura mythique
du DJ et de sa setlist. Les « nouveautés » northern soul reposant sur
des titres anciens restés obscurs, la trouvaille de la rareté qui subjuguera la
piste de danse devient une quête mythique et obsessionnelle.
On voit ainsi John
et Matt écumer les disquaires d’occasions, s’immiscer dans une économie
parallèle où l’on achète une cargaison de disques à la dérobée de parking de
boite de nuit ou en faisant des commandes à des soldats de passage mais basés
en Amérique, le tout en rêvant de trouver « la » perle. Le rêve
ultime serait d’ailleurs d’aller chercher des disques aux Etats-Unis pour nos
héros, admiratifs de l’aura de DJ cachant jalousement la source des meilleurs
titres qu’il diffuse. Cela donne une délicieuse touche rétro et un côté plus
précieux à la musique à l’heure où tout se retrouve en un téléchargement, une
des plus belles scènes du film étant celle où Matt et John en écoutant leurs
derniers achat tombe sur le titre caché du DJ star local, la révélation leur
attirant une audience inattendue lors de leur set.
Elaine Maine s’était fait connaître par son travail dans la
photo où son thème récurrent était la culture adolescente anglaise. On retrouve
de cela dans le film, le cadre rétro ne jouant jamais sur la nostalgie mais
capturant l’engouement Northern Soul dans une immédiateté reposant à la fois sur
le montage percutant - où l’on saisit le virus Nothern Soul happer toute la
jeunesse de la ville - , l’énergie des scènes de soirée et surtout un art tout
photographique justement de figer dans une grâce suspendue l’extase des
danseurs s’oubliant sur la piste. La première scène au Wigan Casino offre un
moment d’une force rare, le malingre John devenant un stomper véloce et habité
capable de se relever d’une overdose.
Des nouveaux pas de danses répétés
frénétiquement toute la semaine au travail d’usine où l’on ronge son frein en
attendant le samedi, la passion irrationnelle est saisie avec une grande justesse
par la réalisatrice parfaitement documentée, le projet ayant mis 15 ans à
trouver un financement. La vie intime des deux héros est un peu plus convenue
mais conserve charme et énergie, notamment les premiers amours de John pour une
belle infirmière. L’envers du décor revêt aussi un aspect connu avec les
amphétamines circulant dans les soirées, avec quelques situations et
personnages outranciers à la Trainspotting
mais c’est en liant toujours cela à la musique qu’Elaine Maine évite le cliché
notamment avec la déchéance de Matt. Bref, une œuvre bondissante et attachante
qui donnera au novice l’envie de s’y mettre et aux connaisseurs de ressortir
leurs vieilles compilation Northern Soul – la bande originale du film entra d’ailleurs
dans le top 10 des charts britanniques.
Sorti en dvd zone 2 français chez Universal
Merci pour ta critique Justin! Le film est justement en streaming sur Netflix USA, je le regarderai très bientôt! Le film m'a fait penser au "Soul Boy" de 2010, qui semblait aborder cette même thématique! J'attends avec impatience ton avis sur "Elle"!
RépondreSupprimerQuelle belle découverte, merci de nous en parler Justin, je tâcherai de le voir si possible. Ah Tainted Love de Soft Cell, toute une époque aussi. Curieuse de découvrir ce qui s'est passé "avant" ;-)
RépondreSupprimer@ Stéphanie effectivement Soulboy traite exactement de la même période et genre musical, j'avais bien aimé aussi même si je trouve Northern Soul plus réussi.
RépondreSupprimer@ Sentinelle oui vraiment à voir ça donne une pêche d'enfer ! Et si tu veux un aperçu de la version originale de Tainted Love voilà du tout bon https://www.youtube.com/watch?v=NSehtaY6k1U
Cette chanson est déjà un petit bijou en soi, mais avec une telle interprète en plus... superbe :)
Supprimer