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dimanche 26 juin 2022

Loving you - Mou mei san taam, Johnnie To (1995)


 Lau, inspecteur de l’anti-drogue, est arrogant avec son équipe et irrespectueux envers sa femme qu’il trompe lors de ses sorties. Cette dernière tombe enceinte d’un autre homme et se résout à quitter son mari. Alors que cette décision semble irréversible, Lau est grièvement blessé.

On considère que la mue officielle de Johnnie To de touche à tout inclassable vers l’auteur de polar singulier intervient lors de la fondation de sa société de production Milkyway Image, avec Beyond Hypothermia de Patrick Leung en tant que producteur et A Hero Never Dies (1998) si l’on évoque sa carrière de réalisateur. Cependant avant la mise en place de sa structure, Loving you fait clairement office d’œuvre charnière annonçant l’évolution à venir de Johnnie To. Certains collaborateurs emblématiques sont déjà de la partie comme le scénariste Yau Nai-hoi, le directeur photo Cheng Siu-keung où le charismatique Lau Ching-wan dans le rôle principal. 

Il s’agit déjà pour Johnnie To de se placer à contre-courant des codes classiques du polar hongkongais qui à cette époque oscille entre les dernières braises du heroic bloodshed cher à John Woo, et une veine du tout spectaculaire, que ce soit dans la série B et les girls with gun ou alors les productions plus nanties d’un Jackie Chan. Le film débute d’ailleurs sous ces auspices avec une impressionnante scène d’embuscade où l’inspecteur Lau (Lau Ching-wan) tente de piéger un dangereux groupe de dealers dont le chef va lui échapper. Tout est là, urgence urbaine, cascades kamikazes et héros faisant figure de mâle alpha en puissance avec un Lau buvant, vociférant et distribuant les coups mâchoires serrées. Dans ce contexte, les interventions de son épouse (Carmen Lee) sont comme des anomalies venant perturber le spectacle attendu, et c’est ainsi que le vit Lau qui la délaisse et ne rentrant jamais au foyer conjugal. Lorsque le couple se croise enfin, c’est pour un douloureux aveux (un adultère et une grossesse) qui scelle leur incompréhension et séparation à venir. Un terrible rebondissement va cependant laisser Lau terriblement diminué, permettant ainsi les retrouvailles progressives du couple.

Dès lors Johnnie To développe peu à peu le sentiment inverse, la romance prend le pas dans l’intrigue et c’est au contraire le retour des éléments de polar qui nous paraissent malvenus. Le héros est certes affaibli mais conserve ses penchants machistes, touché par l’attention de son épouse mais toujours rancunier de la tromperie. Les sentiments changeants se capturent dans une recherche de raviver un quotidien, une complicité, plutôt que de donner dans la grande scène romantique démonstrative. Lau réapprend à côtoyer et comprendre son épouse, et cette dernière retrouve un homme tout simplement présent et attentif. L’enjeu n’est donc pas de pardonner à l’autre, mais de remodeler cette cellule du couple.Formellement cela se traduit par une première partie où les personnages apparaissent constamment séparés, que ce soit en évoluant dans des espaces différents où, lorsqu'ils sont ensemble physiquement, par le découpage comme l'entrevue au restaurant où il ne se font jamais face dans le même plan. 

La seconde partie amène une promiscuité tactile où chacun veille sur l'autre (lui d'abord diminué physiquement, elle enceinte), et un travail sur les raccords regards où cette attention, cet intérêt pour l'autre se fait plus important.Johnnie To exprime magnifiquement cela en restant avare de mot et en laissant les situations parler d’elles-mêmes, comme lors de la belle scène où après avoir vu son épouse s’entretenant avec son amant, Lau rentre préparer le dîner. Pour la retenir, il doit se montrer digne d’elle. Ce romantisme feutré est réellement novateur, plus authentique que les penchants surannés de John Woo et plus adulte que les polars romantiques juvéniles et fougueux comme As tears go by de Wong Kar Wai (1988) ou A Moment of Romance de Benny Chan (1990) – même si quelques exceptions demeurent tel Rose de Samsom Chiu (1992).

Le retour à l’action pure dans le climax final est ainsi à deux doigts de paraître artificiel, mais d’une la virtuosité de Johnnie To en espace clos rend le tout haletant et de deux tout l’attention de la mise en scène porte sur l’inquiétude mutuelle du couple plutôt que la revanche sur le méchant dont le sort est expédié. L’enjeu principal repose sur leurs retrouvailles définitive et, de façon logique, l’implication émotionnelle procède à la fusion des deux mondes, celui du polar échevelé et celui de la romance introspective. Lau Ching-wan est aussi convaincant en flic badass et taciturne qu’en mari vulnérable, tandis que Carman Lee crève l’écran dans ce beau rôle sensible et subtil. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Spectrum Films

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