Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Deux épouses - Tsuma futari, Yasuzo Masumura (1967)
Shibata, employé dans la maison d'édition de
son beau-père, rencontre par hasard son ancienne amante. Elle lui
raconte sa vie misérable et les mauvais traitements que lui inflige son
concubin. Ce dernier débarque un jour chez Shibata et tente de le faire
chanter.
Deux épouses est un film captivant où Masumura se trouve à la frontière
de ses films dénonçant les travers du capitalisme et l'oppression du
monde de l'entreprise (Géants et jouets (1958), Black Test Car (1962)) et ceux observant les maux de la sphère du couple (Confession d'une épouse (1961), Vixen
(1969)). Le héros Kenzo (Kôji Takahashi) est ainsi un salaryman étouffé
dans les conventions de son quotidien, tant dans son métier que son
foyer. Il travaille dans une maison d'édition possédée par son beau-père
(Masao Mishima) et dirigé par son épouse Michiko (Ayako Wakao). Il a
renoncé pour cela à ses aspirations littéraires de jeunesse et à un
amour passé pour Junko (Mariko Okada), cédant à la sécurité financière
et à l'ambition. Il retrouve Junko bien des années plus tard bien mal en
point et aux prises avec un amant abusif, Kobayashi (Takao Ito).
Celui-ci apparait comme un miroir négatif de Kenzo, étant lui aussi un
aspirant écrivain mais rêvant secrètement un mariage d'argent pour
lequel il vise la belle-sœur du héros Rie (Kyôko Enami). Kenzo est ainsi
contraint de laisser faire ou alors d'avouer ce passé à son épouse.
Le poids des apparences semble être la malédiction des tous les
protagonistes. Il y a ceux pour lesquels ces apparences importent plus
que tout, dans une quête de droiture morale impossible à tenir comme
Michiko. On a également ceux qui y cherchent un refuge à leur condition
sociale de manière implicite ou criminelle (Kobayashi et Kenzo), et
enfin ceux qui en font une façade à leur vraie corruption morale comme
le beau-père. Le début du film nous montre l'intransigeance de
l'entreprise envers le moindre écart des employés qui pourrait en salir
l'image, et plus particulièrement celle de Michiko à laquelle Ayako
Wakao confère une allure pleine de dignité inquisitrice. Plus le récit
avance, navigue entre les genres (un rebondissement brutal nous fait
basculer dans le faits divers policier), et plus chaque protagoniste est
confronté à ses contradictions, doit répondre de la figure saine qu'il
croit incarner.
Dès lors Masumura oppose l'ancienne amante Junko
supposément avilie mais finalement portée par une pureté sacrificielle
tandis que Michiko découvre sa part d'ombre et de lâcheté. Dans un
premier temps Masumura oppose de façon manichéenne les environnements
des deux "épouses", chambre insalubre et bar à hôtesse douteux pour
Junko tandis que l'élégance du foyer conjugal, la modernité des bureaux
d'entreprise dominent pour Michiko avec un travail sur la photo et gamme
de couleur pour traduire cette différence. Progressivement les
comportements se révélant de part et d’autre rendent intenable ce
schisme et expose l'hypocrisie des aristocrates que symbolise Michiko.
La fin du film suggère même ironiquement que c'est cette inflexibilité
morale envers son entourage (son père auquel elle a refusé toute
nouvelle liaison en mémoire de sa mère, sa sœur dont elle s'oppose au
mariage) qui a précipité leur chute par réaction aux règles qu'elle leur
imposait.
Ayako Wakao pourrait rendre ce personnage détestable et c'est tout
l'inverse, enfermée dans sa tour d'ivoire d'intégrité, elle est
condamnée à être respectée et crainte plutôt qu'aimée. Tous les symboles
auxquels elles s'attachent s'avèrent imparfaits et corrompus, à
commencer par elle-même. Michiko passe la dernière partie du récit à
l'accepter et devient enfin touchante dans cette vulnérabilité.
L'ensemble du casting est brillant (notamment Kôji Takahashi et ses faux
airs de Gregory Peck japonais) mais Ayako Wakao est vraiment le cœur
émotionnel de l'ensemble après avoir paru initialement si distante.
Masumura explore tout un spectre de sa filmographie, du regard cinglant
sur un système capitaliste aliénant où l'ascension repose sur le
renoncement de soi, croisé à un regard sensible sur l'intimité du
couple.
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