Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
La Madone aux deux visages - Madonna of the Seven Moons, Arthur Crabtree (1945)
Traumatisé dans son adolescence,
Maddalena possède une double personnalité. Le jour de la fête de sa
fille, Angela, elle s'enfuit vivre avec son amant Nino, avec qui elle
est Rosanna.
Au croisement du thriller, du mélodrame et du film psychanalytique, Madonna of the Seven Moons
est un des films les plus étranges et audacieux produit par la
Gainsborough. Le film adapte un roman de Margery Lawrence spécialiste du
récit à mystère et surnaturel et on sera servi tant on empruntera ici
des chemins inattendus. Alors qu'elle est encore adolescente au couvent,
Maddalena (Phyllis Calvert) est violée par un inconnu. La scène est
filmée comme dans un cauchemar, saccadée, sans parole et avec un
expressionnisme prononcé évoquant un film muet.
C'est un traumatisme
aussi bref qu'halluciné que notre héroïne n'aura de cesse d'effacer de
sa mémoire au prix de sa santé mentale. La jeune fille n'aura pas le
temps d'encaisser le choc de cette agression puisque dans la foulée elle
doit quitter le couvent pour se marier selon la volonté de son père et
la douleur refoulée va avoir un effet surprenant sur elle. Nous la
retrouvons bien des années plus tard, mariée, heureuse et attendant le
retour de sa fille parti étudier depuis de longues années en Angleterre.
Le ton et l'esthétique du film est un choc permanent entre passé et
modernité. La demeure de Maddalena à Rome semble restée figée dans une
Renaissance pieuse et luxuriante tandis que Phyllis Carver arbore de
longue robes sophistiquée qui ajoutée à sa présence évanescente une
sorte d'icône religieuse en mouvement. Cela est contrebalancé par
l'énergie pétillante de sa fille Angela (Patricia Roc qui a pourtant le
même âge que Phyllis Carver) qui affirme sa féminité et sa séduction
avec un aplomb qui effraie Maddalena. Quelques indices annoncent le
basculement à venir quand on apprend que touché par une maladie
mystérieuse la mère n'a pas écrit à sa fille durant une année entière et
n'est pas venue lui rendre visite.
Tous ses changements semblent
profondément troubler Maddalena jusqu'au vrai choc lorsqu'elle apprend
les fiançailles d'Angela. L'agression initiale a en fait provoqué chez
Maddalena un dédoublement de personnalité et c'est à Florence qu'elle va
fuir pour endosser son autre "moi" et redevenir Rossanna, l'amante
volcanique du gangster local Nino (Stewart Granger) dont elle s'est
éprise lors d'une précédente crise quelques années plus tôt.
Phyllis Calvert d'habitude si douce et bienveillante trouve enfin un
rôle lui laissant exprimer une vraie démesure avec cette schizophrène.
Effrayée par toute évocation du sexe en Maddalena, elle devient lascive
et provocatrice en Rossanna les coiffures sophistiquées de la première
laissant place au cheveux lâchés de la seconde), Crabtree osant une
belle scène en ombre chinoise après l'étreinte entre les deux amants.
Une nouvelle fois les repères sont troublés avec cette intrigue se
déroulant de nos jour mais dont tout ramène au passé avec des décors
studio jouant totalement la carte du rêve éveillé, via le ton prude issu
de la personnalité de Maddalena (la procession religieuse tout droit
sortie d'un livre d'iconographie) ou par une outrance et une luxure
surprenante avec une pétaradante scène de carnaval finale.
Une pure
intrigue policière s'ajoute à tout cela avec les activités illicites de
Nino pour un mélange des genres pas loin d'être indigeste dans ses
ruptures de ton et multiples personnages secondaires. L'émotion parvient
néanmoins à émerger grâce à l'intense histoire d'amour entre Rossanna
et Nino, Stewart Granger délivrant une prestation ardente en brute
épaisse rongé par la passion.
On en espérerait presque que Maddalena ne
retrouve pas sa personnalité initiale pour qu'ils restent ensemble
malgré une toujours attachante Patricia Roc en fille menant l'enquête
pour retrouver sa mère, seul lien fort avec l'ancienne vie le personnage
du mari étant trop fade comparé à Stewart Granger.
Entre ce passé douloureux et le futur incertain, la résolution semble se
trouver dans un présent sous forme de recueillement dans un film
multipliant les symboles religieux. Seul moment heureux de son existence,
les années de couvent paisible apaise Maddalena par ces symboles tandis
que le versant païen par la culture gitane (une récurrence qui teinte
une grande partie des productions Gainsborough ici avec le mystère des
sept lunes) éveille ses ardeurs mais signifie aussi la malédiction qui
pèse sur elle.
Le script ne choisit pas réellement, la paix mais l'ennui
domine du côté de Maddalena tandis que la passion et la douleur forme
le tempérament de Rossanna. La conclusion poignante résout
dramatiquement ce conflit permanent par un poignant adieu. Objet
inclassable, Madonna of the Seven Moons
sera pourtant un grand succès au box-office anglais, établissant un peu
plus Stewart Granger comme la grande star montante locale et saluant
les audaces de Gainsborough qui en cette même année 1945 triomphe avec
Le Septième Voile autre ovni teinté de psychanalyse.
Sorti en dvd zone 2 anglais au sein du coffret ITV consacré à Stewart Granger et doté de sous-titres anglais et récemment réédité dans un coffret consacré au mélodrames Gainsborough chez Criterion avec "The Man in Grey" et "The Wicked Lady" dont on a déjà dit le plus grand bien sur le blog.
Et il semble que le film traîne en entier sur youtube profitez en tant que c'est là...
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