Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 31 octobre 2012

Vorace - Ravenous, Antonia Bird (1999)


Pendant la guerre américano-mexicaine, le capitaine John Boyd (Guy Pearce) se voit muté dans un fort isolé de Californie après avoir commis un acte de bravoure ambigu. Arrivé à sa nouvelle affectation, Boyd et la garnison, fort réduite, du fort recueillent un étrange individu traumatisé, Colqhoun (Robert Carlyle), qui leur relate les actes de cannibalisme auxquels il a eu recours alors qu'il était bloqué dans une grotte avec plusieurs personnes. Le colonel Hart, commandant du fort, décide alors de diriger une expédition ayant pour destination cette grotte afin de sauver d'éventuels survivants. Arrivés sur place, Boyd et le soldat Reich descendent dans la grotte et y font un macabre découvert alors que le comportement de Colqhoun est de plus en plus étrange.

Ravenous est certainement un des films d’horreur les plus originaux et fous produits ces dernières années.  Le film s’inscrit dans le sous-genre dit du survival, où les hommes s’opposent entre eux dans le cadre d’une nature hostile, amie ou ennemie dont les rigueurs les poussent dans leurs derniers retranchements. Le film fondateur du genre est bien évidemment Les Chasses du Comte Zaroff (1932) d’Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper (qui en recycleront les décors pour un tout aussi fameux King Kong) où un le méchant affirmait sa supériorité en s’adonnant au safari humain dans la jungle. Plus tard l’éprouvant Délivrance de John Boorman (1972) allait confronter de paisibles citadins en randonnée à des autochtones hostiles, Sans Retour de Walter Hill (1981) des membres de la garde national à de fantomatiques et menaçants cajuns dans une Louisiane cauchemardesque. Le chef d’œuvre le plus récent du genre reste cependant Predator (1987), version moderne des Chasses du Comte Zaroff où un extraterrestre belliqueux vient s’adonner à la chasse avec le meilleur gibier de la galaxie, l’humain.


 Dans Predator, le héros Arnold Schwarzenegger parvenait à vaincre son invincible adversaire en régressant le temps d’une fascinante séquence à l’état d’homme de Neandertal, guidé par son seul instinct de survie. Il est également question de faire face à notre nature sauvage profonde dans Vorace, mais plus pour y résister que de s’y abandonner. La scène d’ouverture donne le ton avec le héros John Boyd (Guy Pearce) manquant de tourner de l’œil à la vue d’un steak un peu trop saignant. Toute la thématique du film fonctionne ainsi entre retour à la nature, instinct de survie et s’accrocher à la civilisation, à ce qui différencie l’homme de la bête.

 John Boyd s’y entend en survie, lui qui est décoré en début de film pour un acte de bravoure dissimulant en fait une profonde couardise sur le champ de bataille. Pas dupes ses supérieurs après l’avoir décorés l’expédient dans une garnison perdue dans la Virginie reculée. Là ses peurs vont se trouver littéralement incarnée à travers l’inquiétant Colqhoun (Robert Carlyle), être étrange qui a réussi à se régénérer en s’adonnant au cannibalisme. Il va décimer la garnison et soumettre Boyd à une dangereuse tentation.

 Antonia Bird, responsable des remarquables Prêtre (1994) et du polar Face (1997) déjà avec Robert Carlyle fut dépêchée en catastrophe sur le tournage après le désistement de Milcho Manchevski en conflit avec la production. Elle confère au film une atmosphère unique où se distingue une profonde ironie, un humour noir et des écarts ensanglantés rebutant pour ce qui est un vrai film d’horreur. Le scénario de Ted Griffin est truffés d’astuces où il faut toujours se méfier de ce que révèle et masque dans un premier temps un flashback (l’acte « d’héroïsme » de Boyd, Colqhoun racontant ses mésaventures).

 Le film inscrit la notion de cannibalisme autant dans une dimension purement fantastique et mythologique (les multiples allusions à la légende du Wendigo se nourrissant de l’homme pour devenir plus fort mais maudit par une addiction et faim insatiable à la chair humaine) mais aussi philosophique sur la construction de l’Amérique. Colqhun est un émigrant écossais et à la manière dont le pays s’est construit, pour survivre il doit éliminer et se nourrir de l’autre pour faire son chemin et symboliquement s’installer à son tour et devenir plus fort (l'ironie sur l'héroïme et le patriotisme en ouverture étant ainsi parfaitement justifié). Ce « courage », Boyd ne l’a pas mais menacé d'une mort imminente devra pourtant commettre l’infamie de se nourrir d’un cadavre qui est sa seul planche de salut coincé dans une fosse. Confronté à son tour à la « faim », il devra lutter avec lui-même pour ne pas suivre le chemin de Colqhun assumant lui sa barbarie. Il y a quelque chose de profondément marqué du vampirisme dans cette description du cannibalisme.

Robert Carlyle délivre une prestation extraordinaire et compose un méchant d’anthologie. Alliant la ruse de l’homme avec le flair et l’imprévisibilité de l’animal, il est absolument terrifiant. L’acteur est aussi savoureux lorsqu’il tourmente Boyd par ses paroles sournoises et son ironie que quand il devient soudain un terrible prédateur jouant avec sa proie. Les somptueux extérieurs de Slovaquie (dans la chaine de montagnes des Tatras) sont filmés par Antonia Bird comme une prison à ciel ouvert où on ne peut lui échapper. Guy Pearce fragile, apeuré et au bord de la rupture est tout aussi excellent en anti-héros malmené. La scène où il bascule soumis à une atroce tentation, rongé par la faim au fil des jours avec une lune défilant et agissant sur sa volonté est un très grand moment.

 La terreur ambiante est constamment contrebalancée par un humour très noir qui apporte un décalage contribuant à rendre le film si unique. La bande originale de Michael Nyman et Damon Albarn (chanteur de Blur et Gorillaz) contribue grandement à cette distance avec des ritournelles entêtantes, répétitives et étrange se riant des écarts sanglants à l’image. Le thème principal absolument hypnotique souligne ainsi brillamment l’ironie des situations lorsqu’il se fait entendre comme lorsque Boyd s’échappe de la fosse où il était coincé mourant peu de temps auparavant, la musique se riant de sa vigueur nouvelle causée par son cannibalisme naissant.

Cette sophistication peut laisser place à une musique purement tribale (à l’image de la dualité du film) lors du très brutal mano à mano final entre Boyd et Colqhun qui se conclura sur une géniale attente entre rédemption et victoire de la sauvagerie (il est d’ailleurs dommage d’avoir l’issue à l’écran, couper un peu avant la toute fin et laisser dans l’expectative aurait été jubilatoire). Une sacrée bizarrerie et un grand film d’horreur donc, à découvrir absolument.

Sorti en dvd zone 2 français chez Fox

2 commentaires:

  1. Très belle critique avec laquelle je suis entièrement d'accord ! Nous mettrons aussi très bientôt ce film en avant (il le mérite !) sur notre blog "Il a osé !".

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  2. Merci hâte de lire ça chez toi aussi ! C'est vraiment dommage que Antonia Bird n'ai rien réalisé d'autre derrière si ce n'est pour la tv anglaise sa courte filmo est plutôt brillante (très bon souvenir de Face que je reverrais bien et Pretre avait fait un bon petit scandale à l'époque) et Vorace en est le sommet.

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