Si le fantasme du « travailleur polonais » fut en
son temps l’épouvantail agité par les anti-européens les plus primaires, Oleg vient nous montrer le cauchemar que
peut être le quotidien de ses travailleurs détaché. Ce quatrième film du
réalisateur letton Juris Kursietis nous montre ainsi la réalité méconnue de
certaines de ses petites mains. On découvre ainsi une incongruité du système
actuel avec la jeune génération de letton « apatride » puisque
descendants de travailleurs letton déporté dans l’ancienne URSS pour travailler
mais jamais naturalisés russe lorsque le bloc implosa dans les années 90. Il en
résulte une incertitude identitaire pour les jeunes générations coincées entre
deux mondes sans résolution officielle.
On en découvre les effets concrets avec le personnage-titre
Oleg (Valentin Novopolskij) doté d’un passeport intermédiaire qui l’empêche de
travailler où bon lui semble lorsqu’il viendra exercer sa profession de boucher
en Belgique. Ce statut incertain va exposer notre héros à toutes les
malveillances où un rien suffit à vous placer dans la précarité la plus totale.
Ici cela fera tomber Oleg sous la coupe de l’imprévisible Andrzej (Dawid
Ogrodnik), tyrannique patron qui exploite la vulnérabilité de ses travailleurs.
Dawid Ogrodnik livre une prestation diablement inquiétante dans la peau de ce
vrai pervers narcissique, caressant pour mieux frapper ses victimes réduites à
l’état d’enfants sans défense (les parties de playstation démarrées ou
brutalement interrompues déterminant la nature de son humeur et de la place de
la victime dans la pyramide du pouvoir).
Le vrai tour de force reste cependant cette caméra à
l’épaule qui ne lâche pas Oleg d’une semelle, les déambulations sans but le
ramenant constamment à son impitoyable tortionnaire. Le choix du format carré
permet d’envahir l’écran du visage de plus en plus halluciné d’Oleg au moindre
gros plan et de scruter méthodiquement le processus d’aliénation, domination et
peur instauré par Andrzej. Il en va de même pour tous les personnages
satellites dont la détresse s’imprègne en arrière-plan comme Malgosia (Anna
Próchniak). L’espace de la maison est essentiel dans la description de cette
chute dans l’abîme, Oleg passe d’une chambre à l’étage à la cave avant d’avoir
expérimenté le canapé du salon, et cela est pire lorsqu’on est exclu du lieu
avec l’avilissement de Malgosia. Ce monde extérieur oscille d’ailleurs entre la
lâcheté de la police et l’égoïsme du quidam ordinaire.
Le réalisateur et sa scénariste Liga Celma-Kursiete se sont
longuement documentés notamment auprès des victimes de ses méthodes mafieuses.
Le film transpire donc le réel tout en se montrant à sa manière brute très
stylisée (notamment les passages oniriques sous la glace soulignent
l’enfermement du personnage) et aussi dans un tournage ayant beaucoup misé sur
l’improvisation. Une œuvre coup de poing.
En salle
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