Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 1 octobre 2019

Tomboy - Céline Sciamma (2011)


Laure a 10 ans. Laure est un garçon manqué. Arrivée dans un nouveau quartier, elle fait croire à Lisa et sa bande qu’elle est un garçon. Action ou vérité ? Action. L’été devient un grand terrain de jeu et Laure devient Mickaël, un garçon comme les autres… suffisamment différent pour attirer l’attention de Lisa qui en tombe amoureuse.

Céline Sciamma poursuit sa thématique du coming of age et du questionnement sur l’identité sexuelle avec son second film Tomboy. La réalisatrice opte cependant pour un point de vue et une méthode différente de Naissance des pieuvres (2007), récit adolescent où le trouble de l’héroïne s’exprimait dans une veine contemplative, un désir qui s’observait à distance dans atmosphère flottante. Tomboy recule de quelques années dans l’âge de son personnage principal désormais préado, et surtout fait preuve d’une urgence qui s’exprime tant dans la conception du film ('idée du film lancée mars 2010, le scénario écrit en avril, le casting en mai et en tournage août) que le sursis dans lequel vit son héroïne.

Laure (Zoé Héran) fillette de 10 au physique androgyne, profite d’un quiproquo pour se faire passer pour un garçon dans le nouveau quartier où s’est installée sa famille. L’été synonyme de nouvelles sensations et découvertes à ces jeunes âges prend alors un tour d’autant plus intense alors qu’elle fait l’apprentissage de cette identité masculine. Le genre n’existe qu’à travers le ressenti intime mais aussi le regard des autres pour Céline Sciamma. Ainsi le spectateur est lui-même pris au piège durant les dix premières minutes et ce jusqu’à une scène de bain qui révèle la féminité « physique » de Laure. Auparavant le visage poupin, l’allure et les attitudes dégageaient ce sentiment de masculinité ressenti par le personnage, confirmé par la rencontre avec la Lisa (Jeanne Disson) qui l’aborde en tant que garçon et lui permet de devenir Mickaël. 

Dès lors, le récit évolue entre la crainte d’être démasquée et l’évasion que procure ce nouveau « soi » pour Laure/Mickaël. La liberté se devine dans l’échappée aux codes de genre auxquels nous sommes engoncés dès le plus jeune âge, Mickaël pouvant jouer au foot avec les garçons tandis que Lisa est mise de côté car trop nulle de par son statut de fille. Cette libération fonctionne cependant sur une tension, un sursis fonctionnant à la fois dans les situations anodines où Laure doit donner le change (aller uriner pendant la partie de foot, une sortie entre copains pour aller nager) mais aussi la temporalité du récit où la portée du mensonge est limitée par le quotidien (la rentrée des classes qui révèlera tout) et l’évolution morphologique inévitable vers le genre « biologique ». Céline Sciamma façonne donc un trouble fascinant dans les moments suspendus où Laure observe ce corps provisoirement entre deux sexes, et les premiers émois amoureux créant des émotions troubles. Ce panel d’émotions somme toute classiques dans leur découverte pour des enfants de cet âge gagne en profondeur et gravité par ce questionnement identitaire.

L’une des réussites du film est l’absence de psychologie ou de message social, le cocon familial dans lequel s’épanouit Laure évitant toute interprétation malvenue, le retour au réel (la réaction finale de la mère (Sophie Cattani) se disputant à l’acceptation naïve et amusée de la petite sœur Jeanne (et de très belle séquences tendre et complice pour la fratrie). La mise en scène de Céline Sciamma oscille entre le rapport de Laure à son corps, aux codes masculins qu’elle souhaite endosser, et de la fougue avec laquelle elle parvient à s’y fondre par intermittences. 

Les plans fixes et cadrages serrés figeant Laure à sa place d’observatrice et d’intruse alternent avec une caméra à l’épaule où Mickaël joue au foot, chahute et se bat comme le garçon qu’il est. La résolution éteint le subterfuge pour un retour à une réalité sociale (et ses conséquences douloureuses) mais le mensonge ne s’estompe que pour une plus touchante acceptation intime. On le comprendra dans la dernière scène Laure retrouve Lisa pour des présentations qui signent un nouveau départ « formel », sans estomper, peut-être, les doux sentiments qui ont précédés. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Arte 

2 commentaires:

  1. J'avais beaucoup aimé ce film subtil, où finalement rien n'est grave. C'est un passage.
    Même si on se demande tout au long du film comment Laure va s'en sortir.
    Je viens de voir "Girl", je pense que Céline Sciamma doit aimer ce film. J'ai relié les deux films. Mais dans "Girl" le personnage est beaucoup plus déterminé. La prestation du jeune danseur Victor Polster est éblouissante. On retrouve aussi la même tendresse complice dans la fratrie, et des parents aimants.
    Avez-vous vu Girl ?

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    1. Et non pas vu Girl que j'ai raté en salle l'an dernier, lacune à rattraper ! J'aime beaucoup aussi ce mélange de chronique et de tension sur le sort de l'héroïne, l'équilibre est mince entre la capture d'un moment de l'enfance/adolescence et l'inéluctable démasquage qui guette Laure c'est captivant.

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