Laure a 10 ans. Laure
est un garçon manqué. Arrivée dans un nouveau quartier, elle fait croire à Lisa
et sa bande qu’elle est un garçon. Action ou vérité ? Action. L’été devient un
grand terrain de jeu et Laure devient Mickaël, un garçon comme les autres…
suffisamment différent pour attirer l’attention de Lisa qui en tombe amoureuse.
Céline Sciamma poursuit sa thématique du coming of age et du questionnement sur l’identité
sexuelle avec son second film Tomboy.
La réalisatrice opte cependant pour un point de vue et une méthode différente
de Naissance des pieuvres (2007),
récit adolescent où le trouble de l’héroïne s’exprimait dans une veine
contemplative, un désir qui s’observait à distance dans atmosphère flottante. Tomboy recule de quelques années dans l’âge
de son personnage principal désormais préado, et surtout fait preuve d’une
urgence qui s’exprime tant dans la conception du film ('idée du film lancée
mars 2010, le scénario écrit en avril, le casting en mai et en tournage août)
que le sursis dans lequel vit son héroïne.
Laure (Zoé Héran) fillette de 10 au physique androgyne,
profite d’un quiproquo pour se faire passer pour un garçon dans le nouveau
quartier où s’est installée sa famille. L’été synonyme de nouvelles sensations
et découvertes à ces jeunes âges prend alors un tour d’autant plus intense
alors qu’elle fait l’apprentissage de cette identité masculine. Le genre n’existe
qu’à travers le ressenti intime mais aussi le regard des autres pour Céline
Sciamma. Ainsi le spectateur est lui-même pris au piège durant les dix
premières minutes et ce jusqu’à une scène de bain qui révèle la féminité « physique »
de Laure. Auparavant le visage poupin, l’allure et les attitudes dégageaient ce
sentiment de masculinité ressenti par le personnage, confirmé par la rencontre
avec la Lisa (Jeanne Disson) qui l’aborde en tant que garçon et lui permet de
devenir Mickaël.
Dès lors, le récit évolue entre la crainte d’être démasquée
et l’évasion que procure ce nouveau « soi » pour Laure/Mickaël. La
liberté se devine dans l’échappée aux codes de genre auxquels nous sommes
engoncés dès le plus jeune âge, Mickaël pouvant jouer au foot avec les garçons
tandis que Lisa est mise de côté car trop nulle de par son statut de fille.
Cette libération fonctionne cependant sur une tension, un sursis fonctionnant à
la fois dans les situations anodines où Laure doit donner le change (aller
uriner pendant la partie de foot, une sortie entre copains pour aller nager)
mais aussi la temporalité du récit où la portée du mensonge est limitée par le
quotidien (la rentrée des classes qui révèlera tout) et l’évolution
morphologique inévitable vers le genre « biologique ». Céline Sciamma
façonne donc un trouble fascinant dans les moments suspendus où Laure observe
ce corps provisoirement entre deux sexes, et les premiers émois amoureux créant
des émotions troubles. Ce panel d’émotions somme toute classiques dans leur
découverte pour des enfants de cet âge gagne en profondeur et gravité par ce
questionnement identitaire.
L’une des réussites du film est l’absence de psychologie ou
de message social, le cocon familial dans lequel s’épanouit Laure évitant toute
interprétation malvenue, le retour au réel (la réaction finale de la mère
(Sophie Cattani) se disputant à l’acceptation naïve et amusée de la petite sœur
Jeanne (et de très belle séquences tendre et complice pour la fratrie). La mise
en scène de Céline Sciamma oscille entre le rapport de Laure à son corps, aux
codes masculins qu’elle souhaite endosser, et de la fougue avec laquelle elle
parvient à s’y fondre par intermittences.
Les plans fixes et cadrages serrés
figeant Laure à sa place d’observatrice et d’intruse alternent avec une caméra
à l’épaule où Mickaël joue au foot, chahute et se bat comme le garçon qu’il
est. La résolution éteint le subterfuge pour un retour à une réalité sociale
(et ses conséquences douloureuses) mais le mensonge ne s’estompe que pour une
plus touchante acceptation intime. On le comprendra dans la dernière scène
Laure retrouve Lisa pour des présentations qui signent un nouveau départ « formel »,
sans estomper, peut-être, les doux sentiments qui ont précédés.
Sorti en dvd zone 2 français chez Arte
J'avais beaucoup aimé ce film subtil, où finalement rien n'est grave. C'est un passage.
RépondreSupprimerMême si on se demande tout au long du film comment Laure va s'en sortir.
Je viens de voir "Girl", je pense que Céline Sciamma doit aimer ce film. J'ai relié les deux films. Mais dans "Girl" le personnage est beaucoup plus déterminé. La prestation du jeune danseur Victor Polster est éblouissante. On retrouve aussi la même tendresse complice dans la fratrie, et des parents aimants.
Avez-vous vu Girl ?
Et non pas vu Girl que j'ai raté en salle l'an dernier, lacune à rattraper ! J'aime beaucoup aussi ce mélange de chronique et de tension sur le sort de l'héroïne, l'équilibre est mince entre la capture d'un moment de l'enfance/adolescence et l'inéluctable démasquage qui guette Laure c'est captivant.
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