Hiver 1944, dans les
Ardennes. Un groupe de sept soldats américains, dirigé par le Commandant
Falconer, s’est installé dans le château du village de Sainte-Croix. Le Comte
de Maldorais, propriétaire des lieux, est marié à une ravissante jeune femme,
Thérèse. Mais le couple n’a pas d’enfant. Le Comte, qui s’est rendu compte de
l’intérêt de Falconer pour son épouse, va favoriser leur liaison, dans l’espoir
de voir naître un héritier…
La vision radicale de Robert Aldrich bouleversa
considérablement le film de guerre, notamment avec Les Douze Salopards (1967). Ces soldats cyniques, désabusés et
violents pour lesquels la patrie est un motif secondaire de combattre, eurent
une grande influence sur la caractérisation de l’homme au combat. Blake Edwards
donna dans la grosse farce avec les soldats fêtards de Qu’as-tu fais à la guerre papa ? (1966), tout comme Brian G. Hutton
qui, après le très sérieux Quand les
aigles attaquent (1968), changeait son fusil d’épaule dans De l’or pour les
braves qui fleurait bon la culture hippie.
La Deuxième Guerre mondiale, considérée comme un conflit «
noble » avait suscité très peu de films contemporains à controverse sur le
fond, tandis que la Guerre de Corée au contraire, permit progressivement des
métrages plus grinçants, tels La Gloire et la Peur de Lewis Milestone renvoyant dos à dos les dirigeants
indifférents au sort de leurs troupes, véritable chair à canons. Dans les
sixties, avec l’engagement américain au Vietnam, c’est une tout autre forme de
spectacle qui s’offre au public. Excepté le nauséabond Les Bérets verts de John
Wayne, il faudra attendre la fin de la décennie suivante pour avoir des titres
marquants sur ce thème (Voyage au bout de
l’enfer, Apocalypse Now, Le Merdier…), mais ces bouleversements
politiques s’inscrivent déjà de manière détournée dans le cinéma de l’époque. MASH de Robert Altman bien que se
déroulant durant la Guerre de Corée traite bien évidemment du Vietnam et les
films de Blake Edwards et Hutton précités, par leur défiance envers le drapeau
et leur ironie étaient également traversés des élans pacifistes en cours. Un
Château en Enfer fait évidemment partie de cette vague, mais à un degré
différent, l’aspect politique se mêlant à une réflexion plus métaphysique.
Sous ce pitch en apparence archétypal, Un Château en Enfer se révèle progressivement être un pur ovni.
L’atmosphère pesante chargée d’histoire des lieux, l’ennui provoqué par les
longues semaines d’inactivité et l’idylle improbable entre le commandant joué
par Lancaster et la jeune châtelaine sont des éléments qui font que le film
détonne progressivement de la production guerrière classique. Les enjeux se
déplacent complètement, la grande question étant ici l’opposition entre
Lancaster souhaitant faire du château le dernier bastion de résistance face à
l’arrivée imminente des troupes allemandes, tandis que son second (excellent
Patrick O’Neal), féru d’art, souhaite préserver le patrimoine du château,
soutenu par le maître-lieux (Jean-Pierre Aumont qui apporte tout son charisme
et sa prestance au Comte). Pollack applique une esthétique et une narration
tout aussi surprenantes, très moderne et presque « psyché » dans certains
effets. Les ellipses se font parfois déroutantes avec des dialogues en voix off
en décalage avec l’image, tandis que l’illustration se fait majestueuse pour
tout ce qui a trait aux splendeurs contenues dans le château de Malderais.
Par moments, l’ambiance évoque très fortement celle de La Neuvième Configuration de William
Peter Blatty. Ce film (postérieur à Un Château
en Enfer par lequel il a pu être influencé) nous plongeait dans un asile de
vétérans où la folie contaminait progressivement la mise en scène par des
passages de plus en plus extravagants. On ressent la même sensation ici à
travers des scènes totalement hallucinées, telle cette expédition du commando au
bordel du village, et ses prostituées prenant la pose dans un intérieur
rougeoyant et théâtral. On peut également évoquer l’étonnant groupe de soldat
déserteurs fous de Dieu, mené par un Bruce Dern possédé. Ces soldats à
l’équilibre psychologique vacillant sont incarnés par un casting à l’avenant.
Peter Falk réinvestit son métier premier lorsqu’il se lie avec la boulangère du
village, Scott Wilson (le terrifiant Slim Grissom de Pas d’orchidée pour Miss Blandish) tombe amoureux d’une Volkswagen
tandis qu’un jeune noir, apprenti écrivain, fait office de narrateur par
intermittence à travers son livre imaginaire. Psychotiques et torturés, les
membres de l’unité trouvent finalement refuge dans tout ce qui peut les ramener
à leur quotidien. Une régression qui atténue peu à peu leur agressivité au
combat, soit une manière subtile d’évoquer l’absence de repères des soldats du
Vietnam dont il est bien évidemment question ici.
Le personnage de Burt Lancaster est finalement symbole de
cette armée (tentant d’être) insensible et fixé à son objectif. Tandis que
l’endurance de ses hommes s’amenuise, lui seul reste encore focalisé sur la
mission. Fuyant les sentiments qu’il se surprend à éprouver pour la jeune
Comtesse, garder le cap est le seul moyen pour lui de ne pas basculer. On
reconnaît là la patte du scénariste David Taradash, ayant déjà tâté du film de
guerre avec Tant qu’il y aura des hommes
et dont la plume engagée avait déjà fait merveille sur les sujets grinçants d’Au cœur de la tempête (qu’il a lui-même
réalisé) ou encore Picnic. Pollack,
cinéaste caméléon s’adaptant à tous les sujets, faisait en dépit de la forme
déroutante le lien avec d’autres œuvres politisées de sa filmographie comme On achève bien les chevaux ou Les Trois
Jours du Condor.
Disponible en dv zone 2 français
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