Ouyang Feng vit seul
dans le désert de L'Ouest depuis que la femme qu'il aimait l'a quitté. Il
engage des tueurs à gages experts en arts martiaux pour exécuter des contrats.
Son cœur meurtri l'a rendu cynique et sans pitié, mais ses rencontres avec
amis, clients et futurs ennemis vont lui faire prendre conscience de sa
solitude.
Les Cendres du temps
voyait Wong Kar Wai délaisser le spleen urbain de ses premiers films pour s’aventurer
dans le wu xia pian. Comme tout jeune spectateur de Hong Kong, Wong Kar Wai a
grandi avec les films du genre et notamment les films de la Shaw Brothers. Il
adapte d’ailleurs ici une saga de Jin Yong, maître de la littérature martiale
de nombreuses fois transposé au cinéma. Bien évidemment, Wong Kar Wai va livrer
une vision toute personnelle du wu xia pian tout en essayant de respecter les
canons du genre.
L’univers du Jiang hu (le monde des arts martiaux), les capacités
martiales des protagonistes et leurs exploits, tout ceci est en arrière-plan
pour Wong Kar Wai qui déleste ses héros
de toute dimension légendaire pour en faire de simples êtres humains
rongés par leurs fêlures. Le pivot du récit est Feng (Leslie Cheung), intermédiaire
de tueur vivant seul dans le désert depuis que la femme qu’il aimait (Maggie
Cheung) l’a quitté pour épouser son frère. Tandis que son propre drame se
révèle par fragments, la rencontre avec des clients et autres bretteurs
chevronnés au fil des saisons va faire découvrir l’envers et les terribles
sacrifices qu’exige ce monde du Jiang hu. Wong Kar Wai montre des personnages
las de cette éternelle quête de pouvoir et de puissance dans laquelle ils se
sont perdus, l’amour servant de révélateur pour le meilleur et pour le pire.
Dès
lors les prouesses martiales et les combats virtuoses sont les barouds d’honneur
d’une époque révolue, où les héros n’en en plus que le nom, rattrapé par leurs
tourments sentimentaux. Lin Ching-hsia
magnifie ainsi sa célèbre figure androgyne avec cette jeune femme schizophrène
et rendue folle par une promesse d’amour non tenue, condamnée à voir ses
personnalités s’affronter.
Tony Leung Chiu Wai sachant qu’il s’apprête à perdre
la vue préfère mourir au combat plutôt que de voir son épouse (Charlie Young)
assister à sa régression. Une épouse convoitée par son ami Yaoshi (Tony Leung
Ka Fai) qui coupable préfèrera sombrer dans l’oubli alcoolisé par culpabilité.
L’invincible Qi (Jacky Cheung) perd de sa superbe quand son détachement
arrogant s’effrite et le rend vulnérable car ses pensées son perturbée par
celle qu’il aime (Carina Lau).
Les affrontements chorégraphiés par Sammo Hung caractérisent
ainsi les héros dans l’action par leur gestuelle. Stylisée et poétique pour
Ling Ching-hsia dont la double personnalité s’exprime autant par les traits
androgynes de l’actrice que par un montage gracieux. Les adversaires ne sont
que des ombres pour le bretteur aveugle Tony Leung Chiu Wai, Wong Kar Wai s’attardant
sur son visage résigné pour exprimer le sentiment pesant et d’inéluctable quant
à son sort.
Il se bat surtout contre lui-même et s’offrir une fin digne, même
si au coup fatale ses pensées iront vers celle qu’il a laissée au loin. La
vélocité et la puissance de Qi sont au contraire magnifiée dans une dilatation
du temps récurrentes dans les gimmicks visuels du réalisateur, mais ce n’est
que pour mieux le ramener à son humanité lorsqu’il perd un doigt dans un combat
pourtant bien moins périlleux.
Les tourments des hommes ne sont que poussière dans le
défilement du temps et la manifestation des éléments et mieux vaut ne pas se
perdre dans de vaines quête de pouvoir ou s’abandonner à un passé douloureux.
Au fil des drames auxquels il assiste, Feng revivra son histoire et finira par
comprendre, ce désert étant un lieux où se perdre et s'oublier.
Wong Kar Wai dans cette version redux appuie bien plus ces aspects
que dans son montage initial en ajoutant numériquement d’irréelles
manifestations naturelles, en retravaillant sa lumière et surtout en ajoutant
ce chapitrage en saison qui rend la construction et l’idée générale plus
limpide. Le désert semble aussi infini et confus que le désespoir des
personnages, tous magnifié quel que soit leur temps à l’écran (divine apparition
finale de Maggie Cheung) et constituant le plus beau casting du cinéma de Hong
Kong des années 90.
Le tournage sera de longue haleine pour que Wong Kar Wai
parvienne à cette vision, autant par ses hésitations qu’un budget restreint qui
épuiseront l’équipe durant les deux ans de tournage entre 1992 et 1994 (Wong Kar Wai ayant même le temps de tourner Chungking Express entre deux interruptions). Le
résultat, un chef d’œuvre de wu xia pian introspectif après lequel courra
vainement un Zhang Yimou sur son douteux Hero (à la beauté toc et au fond
discutable) et finalement n’ayant qu’un vrai beau descendant, le récent The Grandmaster où Wong Kar Wai inflige le même traitement au film de kungfu.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez ARP
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