Une jeune femme secouée
par la mort de son fiancé décide de lui écrire une lettre à son ancienne
adresse. Quelle n'est pas sa surprise quand elle reçoit une lettre de Fujii
Itsuki, une femme portant le même nom que son fiancé défunt. Les deux jeunes
femmes vont alors débuter une correspondance où elles racontent chacune leurs
souvenirs.
Déjà remarqué pour ses travaux à la télévision (notamment le
téléfilm Firework (1993) qui
bénéficiera d’une sortie salle et a récemment eu droit à un remake sous forme
de film d’animation), Shunji Iwai accède à une vraie notoriété sur le continent
asiatique - tout en développant une aura culte en Occident malgré la maigre
diffusion de ses œuvres - avec son second film Love Letter. Le spleen ambiant sur fond d’atmosphère flottante, les
émois adolescent et les intrigues où l’émotion surmonte la logique narrative
classique constituent des éléments majeurs de son cinéma et particulièrement de
Love Letter dont on peut supposer qu’il
ait traumatisé un Makoto Shinkai – tant formellement que dans les sujets
abordés sur Voice of distant star
(2002), La Tour au-delà des nuages (2004), 5cm par secondes et bien sûr Your name (2016).
Love letter part
sur des bases plutôt mortifère avec cet anniversaire de disparition tragique de
Fujii Itsuki dont ne se remet pas sa jeune fiancée Hiroko (Miho Nakayama). Chaque
élément associé au défunt est une raison de plus de chérir son souvenir et ne
pas en faire le deuil. Son ancienne chambre chez ses parents est ainsi un
mausolée où elle va découvrir l’album photo de lycée de Fujii. Pensant lui
faire ses adieux mais surtout nourrissant l’espoir irrationnel d’avoir une
réponse, Hiroko décide d’écrire une lettre à Fujii qu’elle va envoyer à son
ancienne adresse où se trouve désormais une route. A sa grande surprise elle va
effectivement avoir une réponse de Fujii Itsuki, mais l’homonyme féminin de son
aimé habitant dans la même ville d’Otaru.
Shunji Iwai évacue immédiatement tout argument surnaturel
tout instaurant paradoxalement une vraie atmosphère onirique et vaporeuse à l’ensemble.
Cette approche intègre ainsi de manière étrange, parfois subliminale, des
éléments narratifs et émotionnels lié au passé des personnages. Le plus évident
est de faire jouer Hiroko et la Fujii femme par la même actrice, ce qui
anticipe leur lien commun au disparu. L’aspect épistolaire apporte un charme
désuet et caractérise ainsi les deux jeunes femmes, Hiroko éteinte et
mélancolique tandis que Fujii a un caractère gouailleur et entier. L’existence
d’Hiroko s’est arrêtée pour ne pas laisser échapper le souvenir de Fujii quand
à l’inverse l’énergie déployée par Fujii lui permet d’oublier.
Le lien entre
elle est formel avec ces effets de travelling et de fondus passant de l’une à l’autre
lors des échanges épistolaires, tandis que les possibles rencontres physiques
(mais toujours manquées) sont désamorcées par des champs contre champs qui les
séparent. Le réalisateur oblige ainsi celle fuyant le réel terne à s’y
maintenir avec Hiroko, et force le voyage dans le passé celle qui l’avait
occulté pour Fuji. La photo de Noboru Shinoda en joue habilement, accentuant les
environnements immaculés, diaphanes et enneigés quand Hiroko s‘enfonce dans sa
chimère et brièvement plus consistant dans les nuances d’ocre (le baiser avec
Akiba). Ce réel devient à l’inverse plus vaporeux et éthéré pour Fujii quand
elle accepte de s’abandonner à la rêverie, notamment dans flashbacks.
Les deux personnages sont pourtant les miroirs d’une même
pièce, devant chacune surmonter un trauma par le prisme de cet homme qu’elles
ont connues. Hiroko quitte le souvenir pour revisiter des lieux qui
concrétiseront son deuil et Fujii se rappelle l’époque insouciante du lycée qui
l’a néanmoins vue subir une perte douloureuse. La candeur des flashbacks
adolescents enchante par ses situations charmantes (la gêne des deux Fujii dans
la même classe et ses idées belles idées romanesques (la flamme déclarée indirectement
via les fiches de bibliothèque). La timidité et la maladresse empêche Fujii
lycéenne (Miki Sakai) de se lier avec son homonyme tout aussi empoté. Shunji
Iwai qui se destinait initialement à une carrière de mangaka déploie là tous
les motifs du shojo et shonen romantique pour développer cette relation,
naviguant brillamment entre le cliché et douceur palpable notamment grâce aux
talents des acteurs.
Cet aparté suranné forme pourtant un vrai pont avec l’intrigue
d’Hiroko puisqu’il construit dans le souvenir d’une autre le personnage de Fujii.
Shunji Iwai parvient à un tour de force invisible où les traits de caractère
maladroit de Fujii qu’évoquera Hiroko existeront pour le spectateur à travers
qu’il en a vu dans les flashbacks lycéen. Pour Hiroko, l’accomplissement est à
la fois plus concret et plus abstrait en faisant face à ce qui lui a arraché
son aimé. Le film est d’une incroyable richesse thématique, rien n’y est
gratuit et certainement pas les personnages secondaires au première abord
loufoque avec ce grand-père bouleversant au final. Love Letter est une invitation à accepter et transcender notre
douleur à travers la touche mélancolique et lumineuse de Shunji Iwai. Une
merveille.
Sorti en dvd zone 2 français chez Pathé
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