Vers -1000, David, roi
de la Terre d'Israël, doit passer le pouvoir à l’un de ses fils : le prince
Adonias est un grand chef de guerre et le prince Salomon est un homme sage et
pacifique. David fait un rêve où Dieu lui dit que son royaume sera plus
prospère et heureux par la paix que par la guerre. Il désigne donc Salomon
comme son successeur. Salomon doit alors régner tout en résistant contre son
puissant voisin le pharaon d’Égypte Siamon qui veut l’anéantir. De plus, son
demi-frère aîné Adonias veut le tuer pour récupérer le trône malgré les
dernières volontés de leur père David, et la très belle reine de Saba, complice
du Pharaon d’Égypte, lui rend visite avec l’intention de le séduire afin de
trouver ses points faibles et le détruire.
King Vidor signe son dernier film avec Salomon et la Reine
de Saba, concluant sa carrière dans la démesure des superproductions des années
50 après Guerre et Paix (1956). C’est
cependant la première fois que le réalisateur se frotte au péplum, lui qui
avait décliné par deux fois la possibilité de réaliser Ben-Hur finalement signé
Fred Niblo pour la version muette puis William Wyler pour celle contemporaine
qui se tourne au même moment. L’intérêt de Vidor est éveillé par une thématique
au cœur de sa filmographie qu’il retrouve dans le récit biblique de Salomon et
le scénario qu’en tirent Anthony
Veiller, George Bruce, Paul Dudley et Crane Wilbur. Les meilleurs films de King
Vidor montrent souvent des personnages déchirés entre deux mondes que ce soit
par leur classe sociale (Stella Dallas
(1936), La Furie du désir (1952)),
leurs origines ethniques (Soir de Noces
(1935), Duel au soleil (1947)) et les
sentiments contradictoires provoqués par cette hésitation. Dans Salomon et la
Reine de Saba, c’est le questionnement entre la chair et l’esprit qui intéresse
Vidor (et qui se retrouve dans les titres précédemment évoqués). La
problématique est d’autant plus intéressante dans le cadre du péplum biblique où
la foi profonde s’oppose au désir.
Pour incarner une interprétation subtile de cela Vidor
choisi Tyrone Power pour le rôle de Salomon, l’acteur sachant avec un égal
talent incarner une virilité animale ou une profonde vulnérabilité.
Malheureusement après avoir tourné deux tiers du film, l’acteur est victime d’une
crise cardiaque lors du combat final et est transporté d’urgence à l’hôpital où
il succombera. Parmi les acteurs disponibles c’est donc Yul Brynner qui est
recruté pour le remplacer mais, en dépit de ses efforts il ne parviendra jamais
totalement à se délester de l’aura de puissance qu’il dégage. Les premières
scènes en prince introverti ne fonctionnent pas complètement, sa nature rêveuse
et poète étant plus évoquée par le dialogue que par son incarnation. La dualité
entre la sagesse, le calme de Salomon face à la nature guerrière et ambitieuse de
son frère Adonias (George Sanders) ne convainc pas à cause de la persona
filmique de Yul Brynner. Dès qu’il endossera son statut de roi d’Israël le
charisme naturel de l’acteur a enfin raison d’être et sa présence monolithique
opposée à la séduction trompeuse de la Reine de Saba (Gina Lollobrigida) fait
des merveilles.
Vidor entremêle la responsabilité de souverain et la foi
religieuse de Salomon perturbé par son désir puis son amour pour la reine de
Saba. Formellement cela passe par une esthétique austère, tout en couleurs
terne et espaces vides pour l’ascète que réclame le pouvoir de Salomon – si l’on
excepte une incursion dans son harem. Les lignes horizontales des piliers du
palais figurent les barreaux d’une prison dorée, les vus sur l’extérieurs sont
rares. C’est tout l’inverse avec la luxure païenne dégagée par la cour de Saba,
bariolée et libérée, et là Vidor déploie séduction et mystère à travers une
esthétique chatoyante et les effets drapés qui laisse progressivement voir le
cocon de la reine. Sous le calcul les personnages répondent pourtant chacun aux
manques de l’autre. Au-delà de la séduction politique, la résistance de Salomon
à ses charmes finit par éveiller de vrais sentiments chez la Reine. Salomon
quant à lui est bien conscient du piège mais est enivré par la fantaisie de la
reine l’écartant de son quotidien terne. C’est cette nuance qui rend les
personnages captivants en leur faisant par les sentiments dépasser leur
fonction. A l’inverse Adonias motivé par le seul pouvoir mais sans tourment ni
passion est une figure condamnée à échouer par cette nature unidimensionnelle
et finalement impossible à mettre à l’épreuve.
Tout comme l’excellent David et Bethsabée d’Henry King (1951), le film offre une vision oppressante de
la religion comme entrave au bonheur des personnages. Si l’on écarte la
dimension biblique et le jeu politique, on trouve tout simplement deux être de
cultures différentes dont l’amour ne peut s’épanouir sans la soumission de l’une
à l’autre. C’est donc bien évidemment du côté du Dieu monothéiste d’Israël que
se trouve le bien mais la fièvre, le désir et l’exaltation culminera pourtant
lors de la cérémonie païenne de la Reine de Saba. Une séquence flamboyante où
Vidor marche sur les traces tapageuses d’un Cecil DeMille tout en y ajoutant l’expression
du désir animal typique des meilleurs moments de Duel au Soleil, Ruby Gentry
ou Le Rebelle (1940). La punition à
cet outrage donne d’ailleurs dans le mélange de spectaculaire et de minimalisme
caractérisant ce Dieu exigeant avec un foudroyant éclair divin et une famine
dévastatrice.
Vidor s’avère moins inspiré dans les scènes de batailles
(violence trop timide, combats cadrés de trop près, manque d’ampleur sorti de l’amorce
des batailles) du moins lorsqu’elles sont dénuées de cette symbolique divine. L’affrontement
qui ouvre le film est assez confus, tout comme la confrontation avec les
troupes égyptiennes mais dès que cela rejoint l’accomplissement intime et
religieux de Salomon, Vidor parvient à incarner ses batailles notamment l’impressionnante
chute finale des ennemis aveuglés par une lumière de justice divine. Même si l’on
peut regretter l’association manquée du couple Tyrone Power/Gina Lollobrigida (l’alchimie
étant grande d’après les retours sur les scènes tournées ensemble) cette
dernière est plutôt convaincante dans son passage de la séduction lascive et
superficielle à une présence plus authentique. Sans être son meilleur film,
Salomon et la Reine de Saba conclut donc sur une belle note la filmographie de
King Vidor qui décèdera pourtant plus de vingt ans plus tard.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Sidonis
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