Franck, représentant
de commerce, traîne son existence minable dans la triste banlieue parisienne.
Ce porte-à-porte laborieux fait bientôt la rencontre de Mona, une adolescente
de 17 ans. Ils se découvrent alors un même but : fuir leur morne condition, quitte
à employer les moyens les plus... expéditifs !
Passionné de polar tant dans la littérature policière que
dans le film noir, Alain Corneau le temps de ses 5 premiers films (et plus
particulièrement Police Python 357
(1976), La Menace (1977), Série Noire (1979) et Le Choix des Armes (1981) parvint à s’approprier
et donner une nouvelle identité française au genre, loin de l’approche stylisée
d’un Jean-Pierre Melville. Cela est particulièrement vrai avec Série Noire, une œuvre où il adapte le
classique Une Femme d’enfer de Jim
Thompson et le transpose dans un environnement français. Au départ Corneau
envisage plutôt une adaptation de Pop.
1280, essaye même de collaborer au scénario avec Jim Thompson et vise un
casting américain prestigieux (Ernest Borgnine, Sterling Hayden…) mais le
projet s’enlise sans aboutir – Bertrand Tavernier en donnera une magistrale
transposition quelques années plus tard avec Coup de torchon (1981).
Réfléchissant à un autre ouvrage de l’auteur
auquel s’attaquer, il voit la structure et les personnages d’Une femme d’enfer comme parfaitement
déplaçables de leur cadre américain. Parmi les grands atouts du film il y aura les choix de
George Perec au scénario et celui de Patrick Dewaere dans le rôle principal. La
présence de Perec peut surprendre sur un tel projet mais l’auteur est un
passionné de polar et de Jim Thompson qui parviendra magnifiquement à inscrire
son ton et ambiance dans le cadre français et notamment les dialogues de
Patrick Dewaere.
La narration du livre nous montrait un idiot poissard narrant
le récit à la première personne, paradoxalement sûr de lui, mettant sur le dos des
autres et du mauvais sort le vrai regard pitoyable que l’on avait sur lui.
Patrick Dewaere joue donc Franck Pouplard comme les autres le voient plutôt que
de la manière dont lui se voit dans le livre, un hurluberlu rendu imprévisible
et excentrique par condition désespérément précaire. L’ambiance suintante
typiquement américaine du roman s’orne ainsi d’une sinistrose crasse typique de
l’imagerie la plus dépressive de la France des années 70.
La gamme de couleur
grise, ocre et brune, la météo pluvieuse et le cadre banlieusard (terrain
vague, appartement insalubre…) sordide contribue donc à une atmosphère oppressante
en diable. Les éclaircies font figure d’anomalie rapidement souillées, on pense
aux retrouvailles de Pouplard avec sa femme (Myriam Boyer) dont la nuisette
rose jure avec dans l’appartement miteux et bien sûr la présence et le visage
virginal de la jeune Mona (Marie Trintignant). Corneau atteint ainsi des
sommets glauques telle cette scène où Mona offre gauchement son corps nu en
pâture à Pouplard tandis qu’une radio-transistor crache le Rivers of Babylone de Boney M en fond sonore.
Corneau afin de nous plonger au plus près de cette fange
délaisse ses méthodes habituelles et sur les conseils de son directeur photo Pierre-William
Glenn, adopte un filmage caméra à l’épaule qui accompagne plutôt que dirige les
comédiens dans un découpage classique. Si le scénario et les dialogues de Perec
sont suivis à la lettre (les expressions déroutantes et autres néologisme
improbables assurant la dimension spontanée), toute l’approche formelle de
Corneau vise à saisir cet aspect naturaliste dans la liberté de mouvement des
acteurs.
Dans ce registre Patrick Dewaere est tout simplement stupéfiant d’implication,
une boule de nerfs insaisissable pouvant craquer à tout moment dans des élans de
folie aussi absurde que douloureux (lorsqu’il se tapera frénétiquement la tête
sur un capot de voiture), où laisser éclater sa frustration dans une violence
terrifiante. Le fatalisme du film noir n’a rien à voir ici avec ce perdant
creusant sa propre tombe dès le départ. Sans parler de happy-end loin de là, la
conclusion ne bascule pas dans le pur nihilisme du roman de Jim Thompson mais
le filet de lumière entraperçu ne donne pourtant que peu d’espoir quant au
futur des personnages. Succès d’estime à sa sortie, le film gagnera ses galons
de classique avec le temps et sera considéré par Patrick Dewaere comme sa
meilleure prestation.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez StudioCanal
Son meilleur film !
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