Vicky travaille le soir dans une boîte de nuit
alors que son copain Hao-hao est au chômage. Ce dernier est très jaloux
et la surveille étroitement. Elle ne le supporte plus et va se réfugier
chez son ami Jack, demi mafieux zen.
Après la veine biographique de ses premières œuvres des années 80 (Les Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985), Poussière dans le vent (1986), La Fille du Nil (1987)) , et le cycle des 90's sur l'histoire de Taïwan(La Cité des douleurs (1989), Le Maître de marionnettes (1993) et Good Men, Good Women (1995)), Millenium Mambo
participe à ancrer de nouveau Hou Hsiao Hsien dans une certaine
contemporanéité. Il s'agit ici de capturer le spleen et les doutes de la
jeunesse taïwanaise (mais le propos est plus universel) à l'aune du
nouveau millénaire à travers le destin de Vicky (Shu Qi).Les questionnements de la jeune femme s'incarnent à travers la
construction singulière du film. Vicky est partagée entre deux hommes,
le marginal, névrosé et maladivement jaloux Hao hao (Tuan Chun-hao) et
le plus posé et rassurant Jack (Jack Kao) qui néanmoins navigue dans de
dangereuses sphères criminelles. Hou Hsiao Hsien n'use pas d'une
narration linéaire pour définir la progression de ce triangle amoureux,
mais ne produit pas l'inverse non plus en construisant un récit en
kaléidoscope que le spectateur devrait reconstituer. Le réalisateur
façonne plutôt un espace mental doté de sa logique propre qui s'accroche
au point de vue de Vicky, où l'image traduit l'immédiateté et la
confusion de ses sensations tandis que la voix-off à la troisième
personne (qu'on peut interpréter comme la personne plus apaisée qu'elle
est devenue) explicite par avance les sentiments en creux et certains
évènements à venir. Ainsi la tumultueuse relation entre Vicky et Hao hao
semble comme former une boucle de conflits, d'abus et de réconciliation
sans que l'on distingue à quel stade de son union autodestructrice se
trouve le couple. C'est une manière de montrer la nature toxique et
conjointement alimentée par Vicky et Hao hao. Le sentiment d'insécurité
de Hao hao se traduit par ses excès opiacés mais également ceux de sa
jalousie psychotique qui le pousse à renifler sur Vicky l'odeur d'un homme à
chaque fois qu'elle rentre, et de frénétiquement fouiller son sac à la
recherche d'une preuve de son infidélité. Hou Hsiao Hsien alterne
filmage où ces abus s'exposent crûment à la face du spectateur et une
sorte de distance et hauteur où l'on observe de loin (et l'usage de
longue focale) le mécanisme de cette relation toxique. Ce dispositif
laisse donc la tension s'amplifier par de long plan fixe et des
panoramiques dans l'exiguïté de l'appartement, où l'on est dans
l'attente de l'explosion. Hao hao n'est paradoxalement jamais explicitement
violent (dans le sens brutal physiquement), il tourmente Vicky par le verbe et la répétition de ses
attitudes qui trahissent sa propre vulnérabilité. Hou Hsiao Hsien joue
alors de l'espace restreint de l'appartement où il filme Hao hao qui
suit et invective Vicky se déplaçant pour échapper à ce harcèlement
psychologique. La voix-off tout comme une scène explicite nous fait
comprendre que Vicky est libre de partir et l'a déjà fait, mais pour
toujours revenir à Hao hao. Le sentiment d'insécurité de Vicky existe
donc par cette inexorabilité de renouer avec Hao hao, de se repaître de
cette jalousie voire de provoquer et d'attendre les dérapages de ce
dernier. C'est ce double régime de filmage, frontal et distancié qui
nous fait progressivement comprendre la nature plus complexe de cette
relation toxique. La photo de Mark Lee Ping-bin par la récurrence de
certaines couleurs prolonge ainsi le malaise qui habite Vicky au-delà de
son seul couple, le motif du bleu existant à la fois dans l'appartement
(la première apparition de Hao hao plongée dans une obscurité bleutée)
et la boite de nuit peuplée de fréquentations peu recommandables qui
enferment également Vicky dans son cycle destructeur. Lorsque Vicky quitte enfin Hao hao pour emménager chez Jack, Hou Hsiao
Hsien atténue ses effets mais suit la même logique. Le filmage distant,
les panoramiques passant de l'un à l'autre sont toujours là mais le
fossé latent entre les personnages a remplacé le conflit permanent et
finalement la passion. C'est une autre forme de vide qui s'exprime,
Vicky était tout pour Hao hao qui l'étouffait, elle n'est qu'un élément
parmi d'autres des préoccupations de Jack et ses affaires douteuses. Les
séparations vont dans ce sens, laborieuses et douloureuses avec Hao hao
qui poursuit Vicky de son amour tourmenté, et radicale pour Jack qui
disparait du jour au lendemain quand il se sentira menacé par ses
acolytes criminels. Le bien ou le mal ne réside ainsi pas seulement dans
l'autre, mais surtout dans l'environnement vicié dont il faut
s'échapper. Les échappées au Japon (eldorado culturel de la jeunesse
chez Edward Yang et plutôt refuge intime avec Hou Hsiao Hsien)
constituent donc une respiration qui déleste Vicky du bruit et de la
fureur de Taïwan. Les couleurs chaudes et le tumulte incarnaient Taïwan
et la confusion de Vicky, la quiétude d'Hokkaido et la blancheur
immaculée de son hiver symbolisent l'âme plus paisible de notre héroïne.
L'aspect flottant et chaotique s'estompe pour un bonheur plus simple,
l'amorce d'une romance plus légère. Ce sera le rôle de la reconnaissance
internationale (ratée une première fois en abandonnant le tournage de Tigre et Dragon
d'Ang Lee) pour une incroyable Shu Qi qui crève l'écran par une mise à
nu fascinante, une aptitude inouïe à s'oublier et capturer l'écran pour
être l'incarnation de la jeune fille moderne dans ses doutes,
indécisions et égarements.
Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 vidéo
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