Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 4 mai 2021

The Aimed School - Nerawareta gakuen, Nobuhiko Obayashi (1981)


 Yuka, une lycéenne qui mène une vie paisible avec son ami Koji se découvre un pouvoir. Son existence et celles de ses camarades se voit alors bouleversée par l'arrivée d'une nouvelle élève, Takasawa. Après les élections des délégués de classe, cette dernière décide de changer les mœurs...

Avec House (1977), Nobuhiko Obayashi avait brillamment intégré les expérimentations de ses premiers travaux (courts-métrages, films publicitaires) à un tout inclassable où s'entremêlaient le film de maison hanté, la comédie nonsensique et le shojo adolescent. Nourri de ses essais précédents au format court, House fonctionnait à la fois selon la logique du rêve en progressant sur une suite de "moments" extravagants qui trouvaient néanmoins une cohérence thématique qui seraient plus lisible dans les travaux suivants du réalisateur. The Aimed School se situe à mi-chemin des écarts de House et des grands récits fantastiques féminins à venir comme le cycle Onomoshi (I are you, You am me (1982), The Little Girl Who Conquered Time (1983), Lonelyheart (1985) et Chizuko's Younger Sister (1991)). L'histoire nous plonge dans un lycée comme tant d'autres, partagé entre l'exigence des résultats et la volonté de laisser s'épanouir. La jeune Yuka (Hiroko Yakushimaru), brillante et sociale élève représente ces deux extrêmes avec son ami Kohji (Ryôichi Takayanagi) sportif adepte du kendo mais plus laborieux dans ses résultats scolaires.

Obayashi s'amuse de ces deux facettes, nous plongeant avec délices dans toutes les spécificités lycéennes japonaises comme les clubs (superbe scène de rentrée où tous se donnent en spectacle), se jouant de chaque facéties des élèves comme débarquer en cours en roller. En toile de fond règne cependant une certaine angoisse à la fois universelle mais aussi spécifique au contexte scolaire japonais (et asiatique si l'on étend). La même tension règne dans le corps enseignant entre le professeur de sport soucieux du bien-être des élèves et le directeur soucieux d'améliorer la côte de son établissement. C'est donc un va et vient où sous les rires la pression parentale (plus attachée à la comparaison aux résultats de l'élève du voisin que de la vraie réussite de l'enfant) s'exerce notamment pour Kohji, mais que l'insouciance et l'amorce de romance avec Yuka estompe tel ce moment où elle lui donne des cours en subterfuge pour aller à ses entraînements de kendo.

Le surnaturel intervient pour manifester de façon dramatique cette dualité, notamment lorsque Yuka se découvre des pouvoirs télékinésiques. Un mystérieux individu extraterrestre va alors l'aborder pour qu'elle se range à ses côtés et use de son don pour dominer les autres. C'est une manière symbolique pour l'héroïne de se ranger du côté de la norme du dominant, se singulariser et sortir du rang étant une manière d'être mis à la marge dans la société japonaise. Devant le refus de Yuka, une nouvelle élève, Takasawa (Masami Hasegawa) va endosser le rôle et ôter toute joie futile au quotidien des élèves pour en faire des automates soumis. Le film est adapté du roman de l'auteur de science-fiction japonais Taku Mayumura (qui sera adapté une seconde fois en 1998 et en série d'animation en 2012 avec Psychic School Wars) et ce socle narratif solide rend le film plus simple à suivre que House tout en déployant la même furie visuelle. Tout cela reste cependant toujours parfaitement cohérent dramatiquement, notamment le jeu sur la gamme chromatique où le noir et blanc s'insère dans la couleur et inversement selon qu'on se situe dans le monde intérieur de Yuka ou la réalité, ou lorsque l'on bascule du quotidien lycéen radieux au totalitarisme scolaire. 

Les effets de collages et de matte-painting déploient un arrière-plan inquiétant qui s'impose à l'environnement lycéen et urbain pour adopter le pont de vue anxieux des lycéens, la fameuse crainte de sortir du rang et être jugés par les autres s'exprime par la manifestation des pouvoirs d'une Takazawa à la présence glaciale. Obayashi use d'effets à la fois enfantins et angoissants avec ces éclats de lumière dans le regard, cette aura qui en émane et vous écrase pour ôter tout libre-arbitre. A l'inverse les pouvoirs de Yuka ne se révèlent bien souvent que malgré elle, poussée dans ses retranchements et désireuse d'aider l'autre, jamais dans une logique d'assujettir l'autre. La charismatique Hiroko Yakushimaru dégage ainsi un sentiment de douceur et de bienveillance innée sans jamais tomber dans la niaiserie, confirmant le talent exprimé dans ses rôles chez Shinji Somai comme Sailor Suit and Machine Gun (1981) et Tonda Couple (1980).

La dernière partie est l'occasion de plonger de plain-pied dans la démesure pour Obayashi avec nombre de scènes folles : un affrontement onirique dans les rêves, une traversée de miroir, duels télékinésiques grandiloquent. Les effets visuels usent de toute la palette d'incrustations, décors pop bariolés et maquillages inquiétants pour exprimer la bascule dans une autre dimension. Une nouvelle fois malgré le kitsch et la cacophonie visuelle, tout est parfaitement cohérent sur le fond et exprime un thème qui courre tout au long de la filmographie d'Obayashi, le combat entre le totalitarisme, la tyrannie, et l'innocence juvénile que l'on se doit de conserver. C'est un sujet tenant à cœur à Obayashi qui vécut dans sa petite enfance les horreurs de la guerre car vivant dans la région d'Hiroshima. 

Il n'est donc pas étonnant de voir les lycéens lobotomisés et formant désormais une milice de bon comportement arborer l'uniforme de l'armée impériale japonaise durant la Deuxième Guerre Mondiale, tandis que leurs visages zombifiés reprennent le folklore esthétique du fantôme nippon. Alors bien sûr il faut suivre ce déluge d'images et d'informations dans la frénésie du récit, mais tout cela sera présent sous une forme plus épurée et accessible dans les films suivants comme Bound for the Fields, the Mountains, and the Seacoast (1986) et Beijin Wartemelon (1989) pour le message pacifiste et d'entraide, ou Chizuko's Younger Sister pour le questionnement adolescent. Là on savourera tout d'abord un spectacle aussi charmant que furieux dont la superbe conclusion (Yuka renonçant à son pouvoir et laissant le destin s'accomplir) est une belle leçon dans ce que cherche à nous dire Obayashi.

Sorti en bluray et dvd japonais

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