Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Train de luxe -Twentieth Century, Howard Hawks (1934)
Dans le train Twentieth Century Limited reliant
Chicago à New York, Oscar Jaffe, un producteur de théâtre imbu de sa
personne, dont les dernières productions ont fait des fours, retrouve
Lily Garland, une actrice qu'il a lancée quelques années auparavant et
qu'elle a quitté pour Hollywood, ne supportant pas sa jalousie et son
égocentrisme. Il rêve de remonter un spectacle avec elle, mais elle ne
veut plus travailler avec lui.
Twentieth Century est avec New York-Miami
de Frank Capra sorti cette même année 1934 un des films fondateurs de
la screwball comedy. Il s'agit de l'adaptation de la pièce éponyme de
Ben Hecht et Charles MacArthur jouée à Broadway en 1932. Cette dernière
était inspirée Napoleon of Broadway, pièce
avortée de Charles Bruce Millholland qui y narrait son expérience
douloureuse auprès du producteur de théâtre David Belasco connu pour son
excentricité. Cet arrière-plan au vitriol sur le monde du théâtre se
marie ici à un récit à la Pygmalion dévoyé, et qui se joue d'ailleurs
autant en coulisse que dans l'histoire elle-même. En 1926, Carole
Lombard âgée de 17 ans végète dans des petites productions où elle tient
des seconds rôles, et arrondit ses fins de mois en tant que danseuse
dans des boites de nuit comme le Cocoannut Grove. C'est là qu'un John
Barrymore déjà star établie croise sa route et décèle son potentiel
dramatique et lui arrange un essai à la Fox qui va s'avérer
satisfaisant. Carole Lombard signe un contrat avec le studio et doit
donner la réplique à Lionel Barrymore dans le film Tempest
(1928). Malheureusement l'actrice victime d'un incident de voiture est
pour un temps défigurée et ne retrouvera de sa superbe qu'après un
passage par la chirurgie esthétique. Fox rompt le contrat et Carole
Lombard retournera pour quelques années à l'anonymat et une période de
vache maigre. Quelques années plus tard elle est sous contrat à la
Columbia qui ne sait trop que faire d'elle jusqu'à ce que Howard Hawks
l'impose pour le premier rôle féminin de Twentieth Century.
Les bases de l'histoire oscillent donc entre ce côté Pygmalion ou pré Une étoile est née
avec une Carole Lombard débutante qui fait face à celui qui lui mit le
pied à l'étrier, John Barrymore. Howard Hawks joue habilement de ce
passif, notamment dans les premières scènes où Mildred Plotka (Carole
Lombard) est littéralement façonnée dans son jeu et sa manière d'être
par le producteur de théâtre Oscar Jaffe (John Barrymore). Jaffe manie à
merveille la caresse et le fouet pour guider les pas de sa protégée
rebaptisée pour la scène Lily Garland, alternant attitude faussement
doucereuse et colère noire pour l'amener où il le souhaite. C'est
littéral quand il guide ses déplacements scéniques à la craie, implicite
quand il lui invente un autre moi avec ce nom de scène, et loufoque
quand pour lui tirer un cri de douleur il lui pique les fesses de façon
impromptue avec une épingle.
Cette attitude rustre sort la jeune actrice
timide de ses gonds et en fait finalement le personnage et la diva que
Jaffe a vu en elle. Sur le plateau Carole Lombard sans doute intimidée
ne convainc pas les producteurs et John Barrymore jusqu'à ce que le rusé
Howard Hawks la prenne à part et lui demande quelle serait sa réaction
si un des hommes sur le plateau parlait d'elle de manière désinvolte
derrière son dos. La réponse ne se fait pas attendre, I would kick him in the ball
et Hawks ment à bon escient à Carole Lombard en lui disant que John
Barrymore s'est exprimé en ces termes à son sujet. Dès lors Carole
Lombard furieuse n'aura plus aucune appréhension à répondre du tac au
tac à Barrymore lors de leur confrontation dans le film. Quelques années
plus tard mise au courant de la supercherie, ce I would kick him in the ball deviendra source de plaisanterie entre elle et Hawks.
Dans le film cela fonctionne merveilleusement bien lorsque une fois
devenue star Lily Garland souffre de la jalousie étouffante de Jaffe. Ce
postulat au lieu de tirer vers le drame va plutôt se déplacer vers une
hystérie jubilatoire. Oscar Jaffe est un manipulateur né qui use de
stratagème sur scène et dans leur couple pour soumettre Lily qui
désormais n'est plus dupe. La rupture est inévitable et tandis que Lily
devient une vedette de cinéma, Jaffe sans sa muse vogue d'échec en
échec. Un concours de circonstances les place des années après dans le
même train où ils vont peut-être pouvoir se réconcilier et retravailler
ensemble. Howard Hawks joue de l'espace vertical du train comme d'une
scène, un théâtre de vaudeville fait d'allées et venues furibondes où
les personnages se heurtent, s'invectivent, se dissimulent où s'impose à
l'autre dans la plus grande hystérie. Les portes de compartiments de
wagons claquent, les hurlements fusent et autour de notre couple
naviguent des acolytes plus azimutés les uns que les autres.
Il y a
d'abord le duo d'employés de Jaffe, Oliver Webb (Walter Connolly) sorte
de punching-ball soumis aux colères insensées de son patron, et à l'inverse
le bien trop détendu O'Malley (Roscoe Karns) prenant tous les drames en
cours à la rigolade et désamorçant la tension avec une rasade de whisky
bien sentie. Il y a également les intrus de ce périple en train avec
Mathew J. Clark (Etienne Girardot) sorte d'anguille semant la zizanie
avec ses tares contradictoires : multiplier les chèques sans provisions
et coller des prospectus évangéliste dans tout le train. Il reste
également des traces de quelques piques corrosives de Ben Hecht et
Charles MacArthur, notamment envers les Passion Play,
forme de théâtre religieuse et empesée dont les personnages se moque
quand on se risque à leur proposer de jouer dans l'une d'entre elles.
L'atout principal reste cependant l'alchimie entre Carole Lombard et
John Barrymore, couple qui ne peut se rapprocher que dans l'outrance et l'hystérie, en permanente représentation.
Chaque échange, amoureux comme vindicatif ne fait que dans les cris
d'orfraies, les postures maniérées et les roulements d'yeux
intempestifs. Carole Lombard déploie tout son potentiel comique en
passionaria constamment dans la démesure émotionnelle et John Barrymore
est un histrion toujours en représentation, entre rage noire et
auto-persuasion sur son propre génie. On aurait peut-être aimé ne
serait-ce qu'une scène sentimentale à cœur ouvert sans hystérie, mais
Howard Hawks semble assumer que c'est la seule manière de s'aimer pour
son couple - Carole Lombard qui conserve comme une précieuse relique l'aiguille qui lui arracha son premier cri d'actrice. C'est un prémices de toutes les grandes screwball comedy à
venir du réalisateur (L'Impossible monsieur bébé (1938), La Dame du
vendredi (1940)) et cela prépare aussi à toutes les prestations entre
glamour et exagération cartoonesque de Carole Lombard, de Mon homme Godfrey (1936) à To be or not to be (1942). Ereintant mais terriblement drôle.
Sorti en bluray anglais doté de sous-titres anglais chez Indicator
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