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jeudi 13 mai 2021

La Fille de Trieste - La ragazza di Trieste, Pasquale Festa Campanile (1982)


 Le dessinateur Dino Romani croise sur une plage de Trieste la jeune et sculpturale Nicole, qui vient d'être sauvée de la noyade par deux hommes. Nicole rend visite Dino le jour même à son domicile, où ils font aussitôt l'amour. Dino est fasciné par la beauté de Nicole et la relation entre les deux se poursuit. Cependant, Dino remarque vite des manies bizarres chez Nicole.

Pasquale Festa Campanile possède un talent certain pour développer des intrigues dépeignant des pathologie et névroses psychiques singulière qu’il parvient à mettre en scène avec originalité. Sous couvert de comédie sexy, il était parvenu avec deux de ses films les plus fameux, L’Amour à cheval (1968) et Ma femme est un violon (1971), à marier humour et drame autour des fantasmes de ses protagonistes dont la nature obsessionnelle les poussait vers des situations dérangeantes. La Fille de Trieste creuse le même sillon mais cette fois le mariage ne se fera pas entre drame et comédie, mais plutôt avec le thriller, genre auquel le réalisateur avait montré de grandes aptitudes avec La Proie de l’auto-stop (1977). 

C’est ainsi le mystère qui domine initialement à travers la rencontre entre l’homme mûr Dino (Ben Gazzara) et la séduisante Nicole (Ornella Muti). Le taciturne et solitaire quadragénaire est troublé par la présence de la jeune femme qui après avoir été sauvée de la noyade le poursuit de ses assiduités pour mieux disparaître après une nuit d’amour. Nicole, tour à tour pleine d’assurance ou vulnérable, sincère ou menteuse pathologique, est insaisissable pour un Dino bientôt obsédé et amoureux mais qui doit s’en tenir aux disparitions et réapparitions inattendue de sa maîtresse. Nicole réclame une attention et un amour exclusif dont le moindre écart, même le plus superficiel (la crise de larme lorsque Dino fermera la porte des toilettes) suscite crise et nouvelle fuite. 

Comme elle l’avouera, cette mise à nue à la fois émotionnelle mais aussi plus trivialement physique sont des provocations destinées à susciter l’attention des autres et donc à lui prouver qu’elle est toujours vivante. La bienveillance de Dino, différent des hommes ne désirant que son corps, est un choc pour Nicole qui y espère une voie de guérison à son mal. On découvrira en effet qu’elle suit un traitement pour ce que l’on pourrait qualifier de bipolarité ou de syndrome maniaco-dépressif qui expliquent ses soudains changement d’humeur. Les termes et l’illustration de ce type de maux n’était pas très courant à l’époque de réalisation du film (adapté par lui-même d’un de ses romans par Pasquale Festa Campanile) et le traitement de Campanile est toujours juste et captivant.

On alterne avec les points de vue de Nicole et Dino tout au long du récit. Passé l’illusion initiale d’assurance sexy, Nicole nous apparaît dans toute sa fragilité, magnifiquement interprétée par Ornella Muti. Lorsqu’elle est lucide, son inconséquence repose sur l’espoir d’être aimée et la peur d’être abandonnée en dévoilant ses troubles, et explique son l’alternance en fuite et expression amoureuse. Quand elle perd pied, c’est comme un précipice sans fond qui s’ouvre sous ses pieds, un monde menaçant qui se révèle par les pics de paranoïa et d’angoisse, et qui du coup réveille sa nature sombre et dangereuse seule à même d’affronter l’environnement hostile. Dino exprime quant à lui le mélange d’incompréhension, d’amour dévoué et de peur et fuite face à un proche insaisissable et imprévisible. Pasquale Festa Campanile en équilibrant le drame et le thriller amène donc un ressenti et des atmosphères contrastées où l’on entrevoit une lueur d’espoir et rémission dans les pires instants de malaises, ou à l’inverse l’inquiétude est toujours sous-jacente même lorsque le couple nage en plein bonheur. 

La dernière partie est magistrale de ce point de vue, nous faisant ressentir à quel point le moindre petit élément perturbateur peut faire basculer Nicole de l’autre côté. Une nouvelle fois les acteurs excellent à exprimer cela, la fébrilité se devinant dans les airs attendris de Ben Gazzara et la folie latente passant dans le moindre geste ou regard intense d’Ornella Muti. Le réalisateur laisse subtilement se pourrir l’environnement du couple (la maison en désordre miroir de l’esprit fuyant et incompatible au quotidien de Nicole) pour le propager à leur psyché, leur langage corporel et leur allure. Au fur et à mesure que cet enlisement se fait explicite, les protagonistes comme pour retarder l’inévitable vont à contre-courant du début du film en ne s’interrogeant plus, en laissant les sujets sensibles de côté lors de conversations devenues neutres et superficielles. 

Il n’y a plus de mystère, la vérité et l’issue sont connus et il s’agit de les retarder en n’évoquant pas les sujets tabous. Ornella Muti devient la créature maléfique que Dino dessine sur ses planches, passant de la nymphe étrange du début à la succube harcelant et tourmentant les hommes. Cette alliance de thriller et drame atteint son sommet lors de l’ultime scène sur la plage, nous secouant entre la tension extrême face au geste fou de Nicole et le pathétique du mélo à travers le regard impuissant de Dino qui n’esquisse pas un geste. La romance n’aura été qu’un aparté fragile entre la boucle que forme le début et la fin du film dans cette inexorable fuite en avant vers la démence.

Sorti en dvd zone 2 français chez Artedis

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