Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 9 avril 2020

Chizuko's Younger Sister - Futari, Nobuhiko Obayashi (1991)

Mika est une jeune fille de dix-sept ans timide et réservée, qui depuis sa plus tendre enfance a toujours vécu dans l’ombre de sa grande sœur, la talentueuse Chizuko, aimée de tous. Si Mika aime sa sœur plus que tout au monde, elle ne peut s’empêcher de se trouver inférieure en tout, y compris aux yeux de ses parents... Un jour, Chizuko est victime d’un terrible accident, laissant Mika seule face à son destin... seule ?...

Futari est une nouvelle belle et poignante incursion de Nobuhiko Obayashi dans le monde adolescent, ce sillon s'incarnant souvent dans le cadre de sa ville natale d'Onomashi. L'argument surnaturel sert souvent de révélateur pour les jeunes héros d'Obayashi à travers un quotidien qui bascule par la magie d'un lieu dans House (1977), le voyage dans le temps pour The Little Girl Who Conquered Time (1983) ou un échange de corps avec I are you, You am me (1982). L'élément fantastique transforme ce quotidien qui ne retrouvera l'équilibre qu'à travers la maturité des personnages acquise dans l'aventure. Futari change légèrement la donne puisque c'est un drame bien réel qui change la vie de la Mika (Hikari Ishida lumineuse de bout en bout) et duquel va découler un surnaturel à la nature incertaine.

Mika entretient une relation fusionnelle avec sa grande sœur Chizuko (Tomoko Nakajima) depuis toujours, avant que celle-ci ne disparaisse tragiquement dans un accident. Ce dernier ne se révèle que plus tard en flashback, le présent nous montrant plutôt le vide laissé par l'absente au sein de la famille. Mika hante l'ancienne chambre de Chizuko, tandis que cette dernière hante les pensées de leur mère (Junko Fuji) fragilisée psychologiquement (cette place et ce bol réservée à l'absente lors du petit déjeuner) et que le père est dans un déni qui lui fait fuir le foyer (Ittoku Kishibe). Si les adultes n'ont que la vulnérabilité ou le silence pour affronter leur maux, Mika a la candeur et/ou l'imagination en éveil qui lui permet d'être en contact avec le fantôme de sa sœur.

Cette présence spectrale est à la fois une béquille (mentale ou d'outre-tombe) et un fardeau dans la vie de Mika. Toutes les nouvelles expériences, rencontres et aléas lycéens sont vus par les autres et notamment ses parents à travers le prisme du parcours passé de Chizuko. Celle-ci est donc une aide, mais avant tout pour marcher sur ses traces, que ce soit un concert de piano, une course d'endurance scolaire ou même la rencontre d'un ancien amoureux. La mise en scène d'Obayashi appuie cela en exprimant toute son emphase et excentricité pour relier le cheminement de Mika à celui de Chizuko. Lors du concert de piano, les contrechamps se multiplient entre Mika, Chizuko et Kaminaga (Toshinori Omi acteur fétiche d'Obayashi) et les panoramiques s'emballent pour signifier les encouragements de Chizuko envers sa cadette qui s'enhardit sur ses touches. La scène de course scolaire fonctionne de la même manière, la dimension mentale s'illustrant par la bascule des plans d'ensemble réalistes de la ville provinciale à un cadre plus resserré et à l'imagerie fantaisiste où une nouvelle fois Chizuko pousse Mika à se dépasser. Dans les deux cas malgré le franchissement de l'obstacle Mika reste dans l'ombre de sa sœur, et dans l'impossibilité de dominer une absente idéalisée par son entourage.

L'intérêt vient de la manière dont interviendront les failles, dans une approche tout en retenue où la rêverie n'a plus court. L'absence de Chizuko est-elle la cause où le révélateur de l'adversité multiple que va rencontrer Mika. Le scénario laisse longtemps supposer la première solution en faisant hériter notre héroïne des inimitiés et jalousies envers sa sœur avec notamment sa camarade Mariko (Yuri Nakae) qui la persécute secrètement. C'est cependant une manière pour Obayashi de montrer un autre pendant du vécu d'un drame familial pour Mariko, tandis qu'on en verra un versant lumineux (et donc un exemple à suivre) avec la meilleure amie Mako dans une scène aussi simple que bouleversante où elle révèle la mort subite de son père. Tous ces éléments développent un regard nouveau chez Mika qui découvre les difficultés que sa si parfaite sœur lui avait cachées (un amoureux que ses parents lui avait interdit de voir) et surtout le fossé affectif entre ses parents.

Chaque aspect négatif s'avère donc une conséquence en filigrane plutôt que le résultat du deuil, subtilement amené par Obayashi qui ne perd jamais de vue l'éveil de son héroïne. Quand les épreuves s'avèrent moins superficielles, Chizuko est absente ou inactive face aux évènements que doit affronter Mika, et déleste donc ses passages de la fantaisie initiale. La découverte cruelle de l'adultère dans le couple que forme ses parents passe par un long plan fixe dialogué, celle de la malveillance d'une camarade fonctionne quant à elle en deux plans, celui de la réaction vindicative de Mika puis ensuite de son départ des lieux.

Chacune de ces scènes place Mika en observatrice distanciée des faits, annoncés par le passage où elle renonce au rôle principal de la pièce scolaire pour s'occuper des effets de scène en coulisse. Mika ne recherche pas la perfection et l'admiration de celle qui aime à être regardée comme Chizuko, mais la réserve de celle qui regarde et retranscrit de manière imagée le spectacle des autres. Dans cette idée (et comme le soulignera un dialogue) la fameuse ville d'Onomashi revêt un aspect plus labyrinthique, plus claustrophobique et oppressant que dans d'autres films d'Obayashi où la rêverie domine, le temps de décloisonner la psyché de son héroïne.

Alors que durant tout le film Mika emprunte des chemins détournés pour aller à l'école ou rentrer chez elle, la dernière scène la voit enfin réemprunter le chemin fatal où elle perdit sa sœur. Obayashi use d'un des effets horrifiques les plus mémorables de House (un personnage regardant le reflet d'un autre dans un miroir) pour offrir une magnifique scène d'adieu et un Sayonara chuchoté bouleversant. Cette réconciliation avec elle-même signe son passage à l'âge adulte pour Mika, l'ange-gardien comme le cocon parental ne sont plus nécessaires, ces doux sentiments passeront par son talent d'écrivain en devenir. Une vraie belle fresque intime (les 2h30 filent à toute vitesse) porté par un mémorable score mélancolique de Joe Hisaishi (la chanson et le thème principal rappellant beaucoup son travail chez Miyazaki).

Sorti en dvd zone 2 japonais 


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