Le tsar Saltan choisit
son épouse parmi trois sœurs. Tandis que la cadette devient tsarine, les deux
aînées, pleines de jalousie, font tout pour lui nuire. Alors que le tsar est
parti guerroyer, la tsarine met au monde le prince Gvidon. Avec l’aide du traître
conseiller, les deux sœurs parviennent à se débarrasser de la mère et du fils
en les jetant à la mer dans un tonneau. Naufragé sur l’île de Bouïane, le
prince grandit à une vitesse déconcertante. Un jour, il sauve un cygne des
griffes d’un aigle. Le cygne est en fait une princesse victime d’un sort, et va
l’aider à faire justice.
Le Conte du tsar
Saltan est l'avant-dernier film d'Alexandre Ptouchko, maître de
l'imaginaire au sein du cinéma soviétique. Alexandre Ptouchko est une sorte
d'alliance entre Walt Disney et Ray Harryhausen, sa poésie et ses visions
extraordinaires s'étant exprimées à la fois au sein du cinéma d'animation et
dans celui en prise de vues réelles. Il débute dans le cinéma muet où il se
spécialise donc dans l'animation à travers sa maîtrise des marionnettes et
signe son premier long-métrage parlant en 1932. Le succès arrive en 1935 avec
une adaptation de Les Voyages de Gulliver
avec des marionnettes et va diriger la section animation du studio Mosfilm.
Durant la Deuxième Guerre Mondiale il se spécialise dans les effets spéciaux ce
qui l’oriente vers le cinéma live à travers des adaptations de contes
traditionnels russe. La Fleur de pierre
(1946, inspiré des contes de l'Oural de Pavel Bajov) est ainsi une réussite
récompensée d’un prix à Cannes et du Lion d’argent à Venise. Même s’il reste
relativement confidentiel en occident, les amateurs de cinéma fantastique
célèbreront des œuvres comme Le Tour du
monde de Sadko (1953) ou encore Le
Géant des steppes (1956), comptant parmi les plus belles réussites de
Ptouchko. Le Conte du tsar Saltan
arrive donc en fin de carrière et témoigne de la maîtrise à la fois technique
et poétique acquise par le réalisateur.
Le film est adapté d’Aleksandre Pouchkine et s’inscrit dans un
cycle de contes en vers écrits entre 1830 et 1934 parmi lesquels on trouve Le conte sur la Princesse dormante, Le conte sur le pêcheur et le poisson et
donc Le conte du tsar Saltan. Ces
contes innovaient au sein de la littérature russe en étant les premiers à
aborder des sujets populaires à travers cette tonalité poétique, ce qui leur
donnait une dimension sophistiquée et accessible. Il reste donc de cela dans l’adaptation
filmée (la version la plus célèbre en Russie restant l'opéra de Rimsky-Korsakov)
qui à travers le rythme de ses dialogues en quatre vers (totalement respectés
dans les sous-titres du Blu-ray Artus, ainsi que sur la vf) possède une sorte d’innocence
surannée qui se marie pleinement aux images d’Alexander Ptouchko. L’histoire
débute avec l’union du tsar Saltan (Vladimir Andreyev) avec une jeune femme (Larisa
Golubkina) qu’il a choisi parmi trois sœurs qu’il observait en cachette, frappé
par la beauté, la douceur et la nature humble de la cadette. Seulement les deux
autres sœurs, jalouses, ne l’entendent pas de cette oreille et vont au côté du
perfide conseiller (Sergey Martinson) multiplier les manigances pour séparer le
couple.
On reste dans l’archétype du conte pour la notion du bien et du mal, qui s’illustre par le jeu expressif des méchants tandis que le couple royal fait preuve d’une confondante candeur (ce jeu enfantin faisant office de nuit de noce). Cette douceur se traduit également dans le travail sur les décors et la couleur. Ptouchko donne dans une forme d’épure et de démarcation qui se fait géométrique à travers certains cadrages, ou qui en tout cas exprime une démarcation par strates dans les somptueuses compositions de plan. La dimension féérique opère dans les lignes séparant les différents éléments de paysages, où les éléments réels se marient à d’autres plus factices. Le procédé n’est d’ailleurs pas figé, un plan d’ensemble nous montrant en début de film la vraie construction du décor du château du tsar tandis que plus tard lorsque d’autres espaces s’ajouteront, le ciel et la terre formeront des lignes horizontales réelles tandis que le château sera un matte-painting. C’est cette dynamique constante qui donne un côté à la fois rêvé et concret à l’univers du film, Ptouchko alternant brillamment espace chargé et couleurs outrées avec d’autres plus évanescents où dominent les teintes pastels dans des environnements abstraits.
Cette séparation travaille la notion de croyance au sein du
récit. Le tsar Saltan a perdu malgré lui femme et enfant et vit dans la torpeur
d’une cour qui le manipule. La tsarine et son fils Gvidon (Oleg Vidov) exilés
deviennent par leur bonté les protégés d’une Princesse Cygne (Kseniya
Ryabinkina) qui leur façonne un monde à l’image de leur pureté d’âme. Les
contours de ce monde magique sont plus incertains et surgissent par les grâces
d’un effet visuel, d’une brume qui s’estompe et par la grâce des apparitions
oniriques de la Princesse Cygne. La bonté de Gvidon l’a rendu digne de voir et
de croire ces merveilles tandis que son père par sa culpabilité en est
incapable, ne serait-ce que par la simple évocation verbale. Le film retrouve
la notion répétitive des contes et travaille aussi par le montage et la
narration cette idée de vers en chorégraphie de quatre pieds. Gvidon relance
ainsi plusieurs fois son père par l’intermédiaire de marchands lui rapportant
les prodiges qu’ils ont vu, que le tsar balaie d’un revers de la main en sollicitant
d’autres prodiges que Gvidon demandera à la Princesse Cygne.
L’émerveillement est constant à travers des idées de trucages multiples où se déploie tout le savoir-faire de Ptouchko. Les marionnettes nous offre quelques prodiges avec cette écureuil musicien, les effets de fondus et rétroprojection sur les chevaliers surgis des eaux rappellent le travail de Ray Harryhausen, délesté de la volonté d’action de ce dernier mais uniquement celle de la sidération formelle. La naïveté et bienveillance constante de l’ensemble n’est jamais niaise et l’émotion fonctionne totalement lors de la superbe conclusion réconciliatrice. Un magnifique et inoubliable livre d’images.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Artus Film
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