Marseille, sa vie, ses
habitants, son port. Lors du débarquement du bateau Le Mauritanie éclate un
incident. Une bande de malfrats s'empare d'une cargaison d'opium cachée dans le
siège d'un passager invalide et l'emporte sous le feu nourri des douaniers. Justin,
figure notoire du tout Marseille, lui-même chef de gang, n'apprécie pas ce coup
d'éclat qui fait des vagues et désorganise le marché de la contrebande. Il
apprend bien vite que l'auteur du vol est Esposito, ambitieux parrain
napolitain, et prend sur lui de le remettre à sa place.
Justin de Marseille
est une œuvre novatrice tant par son esthétique que son genre dans le cinéma
français des années 30. Le cinéma américain durant cette période vit l’âge d’or
du film de gangster avec des films aussi efficaces que provocateur comme Scarface de Howard Hawks (1932), L’Ennemi public numéro 1 (1934) ou Le Petit César (1931) de Mervyn LeRoy. Le
scénario de Carlo Rim importe donc ce courant en France mais l’adapte avec brio
à son contexte en le situant à Marseille. Le film allie ainsi la verve et la
truculence de la trilogie Marseillaise (Marius
d’Alexander Korda (1931) et Fanny de
Marc Allégret (1932)) de Marcel Pagnol qui triomphe alors sur les écrans avec
le polar pour un résultat détonant.
Cela se fait tout d’abord en saisissant les spécificités criminelles
qu’offrent cette cité portuaire de Marseille avec en ouverture une surprenante
mise à sac de contrebande, à la dissimulation inattendue. Le film dépeint l’opposition
entre Justin (Antonin Berval) le parrain local et Esposito (Alexandre Rignault),
nouveau venu prêt à toutes les bassesses pour se faire sa place. Justin est
introduit comme un bienfaiteur qui fait ses affaires en coulisse et veille à la
paix du quartier quand Esposito est un franc-tireur tapant des business (le
trafic de drogue) et méthodes discutables voire déloyales où l’assassinat n’est
pas exclu. Dès lors le bagout et la malice de Justin déjouent constamment les
vilénies de son adversaire tandis qu’en toile de fond Tourneur dépeint avec
brio tout un microcosme. L’aspect melting-pot inhérent à un cadre portuaire
nous voit ainsi croiser des asiatiques, des noirs, autant aux basses besognes
ouvrière que dans les activités illégales, et les quelques tirades racistes
(visant d’ailleurs aussi les italiens dont la migration en France augmente à
cette période) achèvent de constituer un vrai documentaire de l’époque.
Tous les protagonistes « du cru » du second rôle
au figurant furtif, dégagent une bonhomie pittoresque (Le Bègue incarné par
Pierre Larquey en tête) associée à cette cité de Marseille où le mal vient de l’extérieur :
Esposito ou la petite frappe Silvio sont italiens, le proxénète qui tentera d’assassiner Justin
est noir, le trafiquant d’opium est chinois… L’idéologie est donc discutable
mais bien sûr à rattacher au contexte de la société française d’alors. Cela est
atténué par le brio formel de Maurice Tourneur, notamment le brio de ses scènes
d’action. Les travellings véloces suivants les personnages en fuite ou le
montage heurté des scènes de bagarres (l’incroyable et très originale scène de
l’enterrement) offrent des propositions visuelles inédites dans le cinéma
français des années 30.
Tourneur excelle dans le mouvement lorsque la violence
parle, mais également pour capturer en un mouvement de caméra une atmosphère,
comme ce travelling arrière dans une salle de jeu enfumée. Le vrai morceau de
bravoure est cependant le plus abstrait, lorsque Justin emmène Esposito à l’écart
de la ville pour le défier. La tension du moment repose sur des plans isolés du
lieu de l’affrontement que l’on ne verra pas, le travail sur la bande-son
(porte qui grince, bruit des vagues de la mer toute proche, souffle du vent),
qui positionnent à l’extérieur et rendent longuement incertaine l’issue du face
à face seulement connu à la scène suivante. Antonin Berval dans le rôle-titre
est magistral de charisme tranquille et aurait naturellement dû devenir
incontournable après pareille prestation, ce qui n’arrivera pas (Raimu
phagocytant peut-être les rôles méridionaux comme le suggère Bertrand Tavernier
dans les bonus). En tout cas belle découverte pour cette tentative qui n’a pas
à rougir face aux modèles américains.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Pathé
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