Dans les nombreux portraits d’adolescentes de la
filmographie de Nobuhiko Obayashi, l’évolution et la maturité des héroïnes est
souvent un voyage. Le voyage est avant tout intérieur bien sûr mais Obayashi le
fait reposer sur un argument fantastique et/ou psychanalytique : le voyage
dans le temps de The Little girl who conquered time (1983), l’échange de corps de I are you, You am me (1982), les compagnons rêvés ou fantômes de Lonely Heart (1985) et Chizuko’s Younger Sister (1991). The Island Closest to Heaven repose sur
la même thématique sauf que cette fois le voyage sera intérieur et concret pour
sa jeune fille, en l’occurrence en Nouvelle-Calédonie.
Le film adapte le roman éponyme de Katsura Morimura qui
séjourna en Nouvelle-Calédonie dans les années 70 et qui, tombée sous le charme
d’Ouvéa y transposa le récit qu’elle était en train d’écrire. Le roman remporta
un immense succès au Japon, au point de faire d’Ouvéa une des destinations
privilégiées des jeunes mariés et touristes japonais. Cependant le livre ne
faisait en fait que raviver un lien bien plus ancien entre le Japon et la
Nouvelle-Calédonie puisque de 1892 à 1919, le Japon en plein expansion
économique fournit pas moins de 5000 travailleurs aux compagnies minières et
établit ainsi ses bases au sein de la colonie française. Obayashi se nourrit
donc à la fois de cet attrait récent et factice ainsi que de l’histoire
unissant les deux contrées pour développer son récit.
Le film s’ouvre comme un conte de fée lorsque Mari (Tomoyo
Harada parfaite de candeur) se voit raconter enfant par son père les merveilles
que recèle la Nouvelle-Calédonie où il vécut. La photo adopte une teinte pastel
lorgnant sur Le Magicien d’Oz, le
cadre élargit l’horizon sur la voix-off du père décrivant « l’ile la plus
proche du paradis » et ce lieu se teinte d’une aura mythologique dans les
yeux émerveillés de la fillette. Quelques années plus tard, le père est décédé
mais Mari a l’occasion de raviver son souvenir puisqu’elle doit aller en voyage
scolaire en Nouvelle-Calédonie. L’expérience est d’abord décevante puisque
reposant un parcours touristique superficiel où Mari ne retrouve pas la
fantastique contrée qui a enchantée ses rêves d’enfants. Le regard d’Obayashi
se montre fort acerbe envers ses compatriotes, touristes consommateurs bruyants
et totalement désintéressés du cadre qui les entoure si ce n’est les aspects
les plus criards.
Mari erre donc, livrée à elle-même, autant en quête de
quelqu’un que de quelque chose. Cela se traduit plus précisément par une quête
du père en se liant au beau parleur Fukaya (Tôru Minegishi) qui lui fait
partiellement miroiter cet Ouvéa hypnotique (sublime scène de coucher de
soleil) mais qui s’avère malgré tout attiré par le clinquant des salles de
casino. Le voyage intérieur intervient donc en laissant Mari ne se reposer sur
personne, oser aller vers l’inconnu et vivre ses expériences. Obayashi adopte
un rythme lent, contemplatif et entièrement soumis au point de vue de Mari. Les
premières images, même les plus belles, cédaient à une imagerie de carte
postale mais lorsque le vrai voyage commence le contour devient plus flou. La
forme adopte une texture plus organique, terrienne à travers une approche
hallucinée (l’épisode de la blessure) et anthropologique dans le rapport de
Mari aux locaux. C’est d’ailleurs amusant pour un spectateur français qui
constate plus directement l’amateurisme des acteurs locaux (sans doute engagés
pour l’occasion) lorsque les autochtones s’expriment dans la langue de Molière,
et d’autant plus lorsque les japonais s’y essaient.
En découvrant l’autre Mari se connaît également mieux et
peut entretenir un autre rapport au passé. Elle trouve en Taichi (Shigeru
Izumiya) un jeune japonais fermier et descendant des fameux travailleurs du
début du XXe siècle. Le fantasme de l’enfance laisse place à des racines réelles,
un passage à l’âge adulte qui s’illustre par un charmant début de romance avec
Taichi. Pour le spectateur occidental c’est aussi une manière de découvrir de
façon plus authentique ce méconnu ancrage du Japon en Nouvelle-Calédonie. D’autres
éléments liés à une fin comme une renaissance viendront alimenter le
cheminement de Mari (le dernier deuil d’une veuve, le couple ressoudé de
Fukaya) jusqu’à une poignant et intimiste conclusion qui scelle la dimension
historique comme sentimentale du récit. La voix de Mari se confond à celle de
son père pour réitérer la tirade d’ouverture, l’émerveillement exprimé n’exprimant
plus un fantasme mais une belle expérience commune. Dépaysant, original et
touchant, une jolie réussite pour Obayashi.
Sorti en dvd et bluray japonais
Clip de la chanson du film chantée par Tomoyo Harda agrémenté de quelques extraits
Clip de la chanson du film chantée par Tomoyo Harda agrémenté de quelques extraits
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