Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

mercredi 22 avril 2020

The Island Closest to Heaven - Tengoku ni ichiban chikai shima, Nobuhiko Obayashi (1984)


Dans les nombreux portraits d’adolescentes de la filmographie de Nobuhiko Obayashi, l’évolution et la maturité des héroïnes est souvent un voyage. Le voyage est avant tout intérieur bien sûr mais Obayashi le fait reposer sur un argument fantastique et/ou psychanalytique : le voyage dans le temps de The Little girl who conquered time (1983), l’échange de corps de I are you, You am me (1982), les compagnons rêvés ou fantômes de Lonely Heart (1985) et Chizuko’s Younger Sister (1991). The Island Closest to Heaven repose sur la même thématique sauf que cette fois le voyage sera intérieur et concret pour sa jeune fille, en l’occurrence en Nouvelle-Calédonie.

Le film adapte le roman éponyme de Katsura Morimura qui séjourna en Nouvelle-Calédonie dans les années 70 et qui, tombée sous le charme d’Ouvéa y transposa le récit qu’elle était en train d’écrire. Le roman remporta un immense succès au Japon, au point de faire d’Ouvéa une des destinations privilégiées des jeunes mariés et touristes japonais. Cependant le livre ne faisait en fait que raviver un lien bien plus ancien entre le Japon et la Nouvelle-Calédonie puisque de 1892 à 1919, le Japon en plein expansion économique fournit pas moins de 5000 travailleurs aux compagnies minières et établit ainsi ses bases au sein de la colonie française. Obayashi se nourrit donc à la fois de cet attrait récent et factice ainsi que de l’histoire unissant les deux contrées pour développer son récit.

Le film s’ouvre comme un conte de fée lorsque Mari (Tomoyo Harada parfaite de candeur) se voit raconter enfant par son père les merveilles que recèle la Nouvelle-Calédonie où il vécut. La photo adopte une teinte pastel lorgnant sur Le Magicien d’Oz, le cadre élargit l’horizon sur la voix-off du père décrivant « l’ile la plus proche du paradis » et ce lieu se teinte d’une aura mythologique dans les yeux émerveillés de la fillette. Quelques années plus tard, le père est décédé mais Mari a l’occasion de raviver son souvenir puisqu’elle doit aller en voyage scolaire en Nouvelle-Calédonie. L’expérience est d’abord décevante puisque reposant un parcours touristique superficiel où Mari ne retrouve pas la fantastique contrée qui a enchantée ses rêves d’enfants. Le regard d’Obayashi se montre fort acerbe envers ses compatriotes, touristes consommateurs bruyants et totalement désintéressés du cadre qui les entoure si ce n’est les aspects les plus criards. 

Mari erre donc, livrée à elle-même, autant en quête de quelqu’un que de quelque chose. Cela se traduit plus précisément par une quête du père en se liant au beau parleur Fukaya (Tôru Minegishi) qui lui fait partiellement miroiter cet Ouvéa hypnotique (sublime scène de coucher de soleil) mais qui s’avère malgré tout attiré par le clinquant des salles de casino. Le voyage intérieur intervient donc en laissant Mari ne se reposer sur personne, oser aller vers l’inconnu et vivre ses expériences. Obayashi adopte un rythme lent, contemplatif et entièrement soumis au point de vue de Mari. Les premières images, même les plus belles, cédaient à une imagerie de carte postale mais lorsque le vrai voyage commence le contour devient plus flou. La forme adopte une texture plus organique, terrienne à travers une approche hallucinée (l’épisode de la blessure) et anthropologique dans le rapport de Mari aux locaux. C’est d’ailleurs amusant pour un spectateur français qui constate plus directement l’amateurisme des acteurs locaux (sans doute engagés pour l’occasion) lorsque les autochtones s’expriment dans la langue de Molière, et d’autant plus lorsque les japonais s’y essaient.

En découvrant l’autre Mari se connaît également mieux et peut entretenir un autre rapport au passé. Elle trouve en Taichi (Shigeru Izumiya) un jeune japonais fermier et descendant des fameux travailleurs du début du XXe siècle. Le fantasme de l’enfance laisse place à des racines réelles, un passage à l’âge adulte qui s’illustre par un charmant début de romance avec Taichi. Pour le spectateur occidental c’est aussi une manière de découvrir de façon plus authentique ce méconnu ancrage du Japon en Nouvelle-Calédonie. D’autres éléments liés à une fin comme une renaissance viendront alimenter le cheminement de Mari (le dernier deuil d’une veuve, le couple ressoudé de Fukaya) jusqu’à une poignant et intimiste conclusion qui scelle la dimension historique comme sentimentale du récit. La voix de Mari se confond à celle de son père pour réitérer la tirade d’ouverture, l’émerveillement exprimé n’exprimant plus un fantasme mais une belle expérience commune. Dépaysant, original et touchant, une jolie réussite pour Obayashi. 

Sorti en dvd et bluray japonais 

Clip de la chanson du film chantée par Tomoyo Harda agrémenté de quelques extraits

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire