Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 17 avril 2020

Bound for the Fields, the Mountains, and the Seacoast - Noyuki yamayuki umibe yuki, Nobuhiko Obayashi (1986)


Nobuhiko Obayashi fut profondément marqué dans sa tendre enfance par l’expérience de la guerre, observant notamment de près les ravages d’Hiroshima car vivant dans la région. La guerre hante donc nombre de ses films, à commencer par l’inaugural House (1977) dont l’esprit maléfique est celui d’une femme n’ayant jamais vu son amour revenir du front. On retrouvera ce thème dans son avant-dernier film Hanagatami (2017) que préfigure grandement ce magnifique Bound for the Fields, the Mountains, and the Seacoast

L’histoire se déroule en 1937, dans une petite ville située au sein des îles de la mer intérieure du Japon. C’est précisément l’année où se déclare la guerre sino-japonaise et qui voit le pays basculer dans une folie militariste et nationaliste. Le cadre de l’île constitue ainsi un microcosme de ce contexte par le prisme d’un récit essentiellement à hauteur d’enfant. Le jeune et facétieux Sudo (Yasufumi Hayashi) va vivre une relation amour/haine avec le nouvel élève Sakae (Jun'ichirô Katagiri), intimidant car plus grand et plus âgé. L’astuce de Sudo s’oppose à l’agressivité de Sakae, notamment lorsque le premier va tomber amoureux de Oshi (Isako Washio) la sœur plus âgée du second. La violence des enfants va s’élever à l’échelle de l’école dans une sorte de Guerre des boutons à la japonaise, en métaphore de l’esprit guerrier fanatique des adultes puisqu’en arrière-plan les militaires rôdent et cherchent à enrôler les jeunes gens de l’île.

L’enjeu amoureux et affectueux du conflit tisse cependant la frontière entre les enfants guidés par des émotions pures qu’ils expriment encore maladroitement, et les adultes obéissant sans recul à une idéologie belliqueuse. La tonalité juvénile lorgne clairement sur Ozu par le côté potache des situations, de l’inventivité et du rythme des gags. Mais le personnage d’Oshi ramène la dimension féministe et romanesque chère à Obayashi, l’adolescente vivant une romance avec batelier pacifiste mais menacé par la conscription. Le rythme languissant accompagne donc ces deux facettes de l’innocence, enfantine et pas complètement entrée dans l’adolescence (Sudo/Sakae) et l’adolescence sur le point d’entrer dans l’âge adulte avec Oshi. La corruption de leurs aînés menace cet équilibre par ce contexte militaire, mais aussi par la démission des parents. Toute l’opposition de caractère de Sudo et Sakaé s’explique par cela, Sudo élevé par un père médecin et progressiste se montrant plus mesuré quand Sakaé fils de concubine livré à lui-même n’a trouvé que la force pour s’affirmer.

Obayashi lie donc ce monde de l’enfance à celui des adultes par la noirceur de ce dernier dont la violence va rattraper nos jeunes héros. La pression d’être « un homme » pousse ainsi le batelier à endosser l’uniforme, les enfants par leur batailles en culottes courtes offre un mimétisme aux adultes et Oshi s’apprête à perdre douloureusement son innocence en étant vendu par ses parents endettés à une maison close. Ces trois enjeux se rejoignent pour célébrer l’insoumission juvénile dans la dernière partie où les enfants s’unissent enfant dans un stratagème destiné à sauver Oshi du destin de geisha. Obayashi par un jeu de répétition rejoue la scène de poursuite de la guerre enfantine qui a précédée pour faire reprendre le même parcours au personnage dans leur sauvetage des malheureuse adolescentes. On a tout un côté « club des cinq » candide dans la campagne japonaise où le réalisateur multiplie les idées formelles ludiques.

Le film suit dans l’ensemble une forme de ligne claire toute à cette hauteur d’enfant où le côté expérimental d’Obayashi se restreint (si ce n’est une scène de tempête qui voit surgir un militaire à cheval, ou pour souligner les élans shojos rêveurs de la douce Oshi lorsqu'elle chante) jusqu’à la bouleversante conclusion où intervient un noir et blanc saturé dans un chaos d’eau et de flamme pour un acte aussi sacrificiel que rétif à cette autorité psychotique. L’escalier du phare où iront se nicher Sudo et un élégant et malfaisant militaire est une sorte d’antichambre des âmes, puisque les barbelés qui mènent à son sommet laisseront l’enfant indemne quand ils larderont l’officier semblable à une créature vampirique – suçant la pureté des autres de son fanatisme. La dernière scène onirique et rageuse porte haut le sceau de l’insoumission pour ces êtres arrachés à l’enfance. Une fable pacifiste captivante et inventive, que l’on peut deviner être très personnelle pour Obayashi. Par ailleurs il existe une version du film totalement en noir et blanc mais ce n’est pas celle que j’ai vu.

Sorti en dvd zone 2 japonais dans sa version couleur, cela semble compliqué par contre pour voir celle en noir et blanc

2 commentaires:

  1. la version en noir et blanc est disponible sur YouTube en VOSTA, Obayashi archive (uploader name) a une belle petite collection.

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    1. Tout à fait c'est disponible depuis je mets le lien https://www.youtube.com/watch?v=wwCQq_R2LwM

      Plusieurs Obayashi rares dispo sur cette chaîne, parmi ceux évoqués sur le blog notamment l'excellent "His mortorbike, her island" vivement recommandé.

      Merci du rappel pas évident de voir du Obayashi sans passer par ces voies en France !

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