His Motorbike, Her
island est une charmante romance où toute la fantaisie dont est capable
Nobuhiko Obayashi se déploie dans le regard de l’autre. Reste cependant à
trouver, voire ne serait-ce qu’avoir l’intérêt de le chercher cet autre. C’est
la problématique du désinvolte Ko (Riki Takeuchi) livreur à moto qui s’évade de
la moindre contrariété en chevauchant son engin. Il vient d’ailleurs de rompre
avec Fuyumi (Noriko Watanabe), charmante jeune fille dans une relation où
symboliquement il était le pilote. Le rapprochement se fait quand elle le
sollicite pour apprendre la moto, mais ce qu’elle cherche surtout c’est s’accrocher
amoureusement à Ko pour qu’il l’emmène où bon lui semble.
Elle hésite mais cède
à la moindre fantaisie (l’amusante scène des motards nus) et même la première
étreinte sera une concession plutôt qu’un désir réel. Obayashi ne fustige pas
le comportement de Ko, tout comme il ne victimise pas Fuyumi qui représente une
forme classique de jeune fille japonaise romantique. C’est manifeste lors de la
belle scène de rupture dans leur bar fétiche, où l’attitude abrupte de Ko est
une manière de ne pas rendre les choses plus difficile, alors que Fuyumi expose
toute sa vulnérabilité dans un numéro de chant (sur un morceau écrit pour elle
par Ko) filmé avec une infinie délicatesse par Obayashi.
Le film précédent d’Obayashi, Lonely Heart (1985) voyait une jeune fille imaginaire surgir dans
le quotidien solitaire d’un adolescent. C’est la même idée ici sauf que notre
héros n’attend explicitement rien et se satisfait de sa condition, ce qui n’empêchera
pas une nymphe ravissante de surgir dans son quotidien en la personne de Miyako
(Kiwako Harada). L’attirance se construit à travers un objet et un espace,
Miyako étant fascinée par la moto de Ko négligemment garée au bord d’une falaise
où il se repose. Une photo fige donc la machine et son pilote mais la jeune
fille n’insiste pas et Ko malgré un certain intérêt, reprend la route. La
thématique de Lonely Heart est
inversée puisqu’il s’agit cette fois insérer l’obsession pour une jeune fille
dans un cœur désinvolte. Miyako ne poursuit donc pas Ko de ses assiduités, mais
ressurgit, l’intrigue et le trouble dans ses pérégrinations, comme un sentiment
amoureux qui s’imprègne à notre insu. Obayashi intègre cela par l’attitude décomplexée et
joyeuse de Miyako (sa nudité exposée dans le onsen, là aussi en opposition à la nudité recroquevillée de Fuyumi précédement), qui s’oppose à la
mélancolie de Fuyumi. Miyako ne cherche pas à suivre docilement Ko, mais à l’accompagner en partageant sa passion pour la moto.
Si les sentiments de Miyako naissent à travers un objet et
son propriétaire, pour Ko ce sera par un lieu et son habitante en l’occurrence l’île
de Shikoku dont est originaire Miyako et où il va la rejoindre. Notre héros s’épanouit
enfin en mentor d’une élève si passionnée, son individualisme cédant sous l’influence de
cette ancienne île de pèlerin et de ses traditions bienveillantes comme cette
danse aux disparus. Obayashi use d’une imagerie 50’s avec ce culte de la moto,
par l’ivresse de la vitesse, l’évasion et du risque mais aussi sa célébration
virile lors d’une époustouflante scène de duel filmée avec une tension
virtuose. On reste dans une tradition machiste où l’homme s’affirme par sa
dextérité mais cela est bousculé par l’introduction de Miyako, tout autant en
quête d’adrénaline. Le film n’invente pas la figure de la motarde juvénile (célébrée
dans les films sukeban - délinquantes japonaises - des années 70) mais ne l’associe
plus à la mauvaise graine pour en faire un équivalent aventureux des hommes.
Obayashi conjugue constamment cette nature féminine émancipée
à la romance, cette liberté séduisant et échappant à Ko. Le cadre du bar est un
révélateur essentiel pour l’éveil amoureux de Ko, celui y comprend ce qui le
charme en Miyako comme l’interprétation enhardie et lumineuse de
la même chanson précédemment chantée par Fuyumi. Le filmage différent des deux scènes l'exprime implicitement, dans la première la caméra va de la partition à Fuyumi en plan d'ensemble par un travelling arrière pour signifier la distance de Ko, alors que dans la seconde on part du plan d'ensemble pour se rapprocher de plus en plus de Miyako signifiant son regard captivé et aimant du garçon. C'est logiquement dans ce bar où il s'était fut si froid qu’il se montre
enfin ardent et actif dans la romance lorsqu’il verra que Miyako a passé son permis pour
rouler à ses côtés. Sillonner les routes donne donc lieu à des séquences
radieuses où Obayashi traduit magnifiquement dans le béton et la verdure des
routes rurales japonaises le ressenti tant associé aux grands espaces américains
de « tailler la route » dans une connexion amoureuse où les
vrombissements des moteurs se conjugue à la caresse du vent (« Je voudrai
que nous soyons le vent » ne cesse de dire Ko à sa dulcinée).
En s’éveillant
à l’amour, Ko se confronte aussi à ses tourments avec une subtile scène de
jalousie ou Miyako va essayer la moto d’un autre homme et où la métaphore
sexuelle est manifeste (« Si tu n’es pas satisfaite, refait un tour avec. »).
Dès lors ce sera bien à Ko de devenir le poursuivant, d'éprouver l'ultime peur de le l'amoureux (la perte lors de la poignante conclusion) et de rejoindre Miyako sur
son île pour faire montre de son
engagement. La superbe conclusion les voit donc rouler l’esprit libéré,
confiant et amoureux, le jeu sur les paysages qui les unit, la route qui les
sépare par intermittence mais qui toujours les fait se rejoindre symbolisant
leur lien désormais inaltérable. C'est signifié par le motif final de la photo en couple face à la moto, répondant celle identique mais solitaire aperçue plus tôt.
Un des éléments les plus intéressants est le travail sur la
couleur où comme souvent Obayashi passe fréquemment du noir et blanc à la
couleur. C’est surtout dans une volonté d’atmosphère pour le réalisateur mais
cette fois la répétition du procédé accompagne les humeurs et émotions
changeantes de Ko, celles dont il est conscient (il souligne dans un monologue
ne rêver qu’en monochrome) et celles qu’il ignore encore mais dont nous
constatons les sursauts illustrés par la somptueuse photo de Yoshitaka Sakamoto
- tout comme le montage entre urgence motorisée, nonchalance neutre ou grâce
poétique. Le film qui vous donne envie d’aller rouler vite, loin et
certainement pas seul.
Sorti en bluray japonais
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