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mercredi 15 avril 2020

His Motorbike, Her Island - Kare no ootobai, kanojo no shima, Nobuhiko Obayashi (1986)


His Motorbike, Her island est une charmante romance où toute la fantaisie dont est capable Nobuhiko Obayashi se déploie dans le regard de l’autre. Reste cependant à trouver, voire ne serait-ce qu’avoir l’intérêt de le chercher cet autre. C’est la problématique du désinvolte Ko (Riki Takeuchi) livreur à moto qui s’évade de la moindre contrariété en chevauchant son engin. Il vient d’ailleurs de rompre avec Fuyumi (Noriko Watanabe), charmante jeune fille dans une relation où symboliquement il était le pilote. Le rapprochement se fait quand elle le sollicite pour apprendre la moto, mais ce qu’elle cherche surtout c’est s’accrocher amoureusement à Ko pour qu’il l’emmène où bon lui semble. 

Elle hésite mais cède à la moindre fantaisie (l’amusante scène des motards nus) et même la première étreinte sera une concession plutôt qu’un désir réel. Obayashi ne fustige pas le comportement de Ko, tout comme il ne victimise pas Fuyumi qui représente une forme classique de jeune fille japonaise romantique. C’est manifeste lors de la belle scène de rupture dans leur bar fétiche, où l’attitude abrupte de Ko est une manière de ne pas rendre les choses plus difficile, alors que Fuyumi expose toute sa vulnérabilité dans un numéro de chant (sur un morceau écrit pour elle par Ko) filmé avec une infinie délicatesse par Obayashi.

Le film précédent d’Obayashi, Lonely Heart (1985) voyait une jeune fille imaginaire surgir dans le quotidien solitaire d’un adolescent. C’est la même idée ici sauf que notre héros n’attend explicitement rien et se satisfait de sa condition, ce qui n’empêchera pas une nymphe ravissante de surgir dans son quotidien en la personne de Miyako (Kiwako Harada). L’attirance se construit à travers un objet et un espace, Miyako étant fascinée par la moto de Ko négligemment garée au bord d’une falaise où il se repose. Une photo fige donc la machine et son pilote mais la jeune fille n’insiste pas et Ko malgré un certain intérêt, reprend la route. La thématique de Lonely Heart est inversée puisqu’il s’agit cette fois insérer l’obsession pour une jeune fille dans un cœur désinvolte. Miyako ne poursuit donc pas Ko de ses assiduités, mais ressurgit, l’intrigue et le trouble dans ses pérégrinations, comme un sentiment amoureux qui s’imprègne à notre insu. Obayashi intègre cela par l’attitude décomplexée et joyeuse de Miyako (sa nudité exposée dans le onsen, là aussi en opposition à la nudité recroquevillée de Fuyumi précédement), qui s’oppose à la mélancolie de Fuyumi. Miyako ne cherche pas à suivre docilement Ko, mais à  l’accompagner en partageant sa passion pour la moto.

Si les sentiments de Miyako naissent à travers un objet et son propriétaire, pour Ko ce sera par un lieu et son habitante en l’occurrence l’île de Shikoku dont est originaire Miyako et où il va la rejoindre. Notre héros s’épanouit enfin en mentor d’une élève si passionnée, son individualisme cédant sous l’influence de cette ancienne île de pèlerin et de ses traditions bienveillantes comme cette danse aux disparus. Obayashi use d’une imagerie 50’s avec ce culte de la moto, par l’ivresse de la vitesse, l’évasion et du risque mais aussi sa célébration virile lors d’une époustouflante scène de duel filmée avec une tension virtuose. On reste dans une tradition machiste où l’homme s’affirme par sa dextérité mais cela est bousculé par l’introduction de Miyako, tout autant en quête d’adrénaline. Le film n’invente pas la figure de la motarde juvénile (célébrée dans les films sukeban - délinquantes japonaises - des années 70) mais ne l’associe plus à la mauvaise graine pour en faire un équivalent aventureux des hommes.

Obayashi conjugue constamment cette nature féminine émancipée à la romance, cette liberté séduisant et échappant à Ko. Le cadre du bar est un révélateur essentiel pour l’éveil amoureux de Ko, celui y comprend ce qui le charme en Miyako comme l’interprétation enhardie et lumineuse de la même chanson précédemment chantée par Fuyumi. Le filmage différent des deux scènes l'exprime implicitement, dans la première la caméra va de la partition à Fuyumi en plan d'ensemble par un travelling arrière pour signifier la distance de Ko, alors que dans la seconde on part du plan d'ensemble pour se rapprocher de plus en plus de Miyako signifiant son regard captivé et aimant du garçon. C'est logiquement dans ce bar où il s'était fut si froid qu’il se montre enfin ardent et actif dans la romance lorsqu’il verra que Miyako a passé son permis pour rouler à ses côtés. Sillonner les routes donne donc lieu à des séquences radieuses où Obayashi traduit magnifiquement dans le béton et la verdure des routes rurales japonaises le ressenti tant associé aux grands espaces américains de « tailler la route » dans une connexion amoureuse où les vrombissements des moteurs se conjugue à la caresse du vent (« Je voudrai que nous soyons le vent » ne cesse de dire Ko à sa dulcinée). 

En s’éveillant à l’amour, Ko se confronte aussi à ses tourments avec une subtile scène de jalousie ou Miyako va essayer la moto d’un autre homme et où la métaphore sexuelle est manifeste (« Si tu n’es pas satisfaite, refait un tour avec. »). Dès lors ce sera bien à Ko de devenir le poursuivant, d'éprouver l'ultime peur de le l'amoureux (la perte lors de la poignante conclusion) et de rejoindre Miyako sur son île pour  faire montre de son engagement. La superbe conclusion les voit donc rouler l’esprit libéré, confiant et amoureux, le jeu sur les paysages qui les unit, la route qui les sépare par intermittence mais qui toujours les fait se rejoindre symbolisant leur lien désormais inaltérable. C'est signifié par le motif final de la photo en couple face à la moto, répondant celle identique mais solitaire aperçue plus tôt. 

Un des éléments les plus intéressants est le travail sur la couleur où comme souvent Obayashi passe fréquemment du noir et blanc à la couleur. C’est surtout dans une volonté d’atmosphère pour le réalisateur mais cette fois la répétition du procédé accompagne les humeurs et émotions changeantes de Ko, celles dont il est conscient (il souligne dans un monologue ne rêver qu’en monochrome) et celles qu’il ignore encore mais dont nous constatons les sursauts illustrés par la somptueuse photo de Yoshitaka Sakamoto - tout comme le montage entre urgence motorisée, nonchalance neutre ou grâce poétique. Le film qui vous donne envie d’aller rouler vite, loin et certainement pas seul. 

 Sorti en bluray japonais

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