Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 6 août 2020

Beijing Watermelon - Pekin no suika, Nobuhiko Obayashi (1989)

Le film est basé sur de vrais événements. Il se concentre sur Shunzo, un marchand de légumes populaire qui vit dans une ville près de Tokyo. Sa vie, et celle de sa femme, Michi et de leurs deux enfants, subit un changement dramatique lorsqu'il rencontre Li, un pauvre étudiant chinois.

Sorti de ses œuvres plus psychédéliques et tapageuses comme House (1977) ou de ses nombreux récits adolescents (I are you, you am me (1982), The Little girl who conquered time (1983), Lonely Heart (1985), Chizuko’s Younger Sister (1991)), on trouve dans la filmographie de Nobuhiko Obayashi une vraie veine humaniste et pacifiste. Cela s'explique par la douleur précoce de l'expérience de la Deuxième Guerre Mondiale et il prônera alors l'échappée par l'enfance, la rêverie où le spectre du souvenir face à ces maux dans Bound for the Fields, the Mountains, and the Seacoast (1986) ou dans le cycle pacifiste de ses derniers films comme Casting Blossoms to the Sky (2012), Seven Weeks (2014) et Hanagatami (2017). On retrouve cela dans le méconnu Beijing Watermelon qui s'il ne se déroule pas et n'évoque pas directement la guerre, propose un message de fraternité entre deux pays qui s'y sont farouchement livrés l'un contre l'autre, le Japon et la Chine.

Inspirée d’une histoire vraie, le film suit Shunzo (Bengaru), truculent marchand de légumes dans la banlieue tokyoïte. Son quotidien monotone, fait de réveil aux aurores, d'achat rudement négociés au marché et de vente dans son magasin, lui pèse mais il coule des jours heureux avec son épouse Michi (Masako Motai) et leurs deux enfants. Un beau jour un jeune étudiant chinois démuni déambule timidement devant sa boutique et tente de négocier des légumes au rabais. A la fois amusé et agacé par l'insistance de l'intrus, Shunzo joue la ristourne au "pierre-ciseau-feuille" et perd. Problème le jeune chinois Li revient à la charge le lendemain et tente de refaire le coup mais se heurte au refus de Shunzo. Au détour d'une livraison Shunzo recroise la route de Li quelques jours plus tard, au bord de la syncope pour malnutrition. Notre commerçant va alors prendre le migrant chinois sous son aile le temps de la guérison. Touché, Li en informe ces compatriotes chinois étudiants qui vont désormais solliciter Shunzo à leur tour tant pour ses légumes au rabais que pour des services divers et variés. Contre toute attente, Shunzo se prend au jeu et devient le bienfaiteur de la jeune diaspora chinoise au Japon, au grand dam de son entourage.

Le fossé entre la lassitude initiale de Shunzo et son entrain à aider ses protégés de toutes les manières possibles exprime finalement comment se consacrer aux autres peut soudainement donner un sens à notre vie. Obayashi se déleste de tout son style sophistiqué et expérimental pour traduire ce rapprochement dans une forme de quotidien. C'est l'accumulation des bienfaits plus que leur échelle qui traduit l'importance prise par Shunzo pour les chinois, et c'est le plaisir amusé qu'il prend à le faire qui exprime cette fraternité naissante. Cela passe par un montage percutant qui façonne une musicalité rieuse, travaillant le comique de situation lorsque Shunzo (pancarte en idéogrammes chinois mal écrits à la clé) doit aller chercher la fiancée d'un étudiant à l'aéroport, où la pure énergie burlesque chaleureuse quand Shunzo traverse Tokyo en camionnette pour qu'un chinois étudiant en architecture puisse observer toutes les constructions de la ville. Cette énergie fonctionne aussi sur le style à la Robert Altman que développe Obayashi sur le film.

Dans Beijing Watermelon, les personnages ont le choix entre être seuls, égoïstes et silencieux ou entourés, nombreux et bruyants. L'intégration et la fraternité n'existe que par ce sentiment de trop-plein et d'anarchie, où le nouveau venu se sent alors pleinement accepté. Dans un premier temps le dispositif fonctionne avec un chinois frêle et sans le sous que Shunzo invite à manger dans sa famille, à fêter le nouvel an avec ces amis. Cela s'inverse ensuite avec Shunzo considéré comme un père et d'ailleurs appelé ainsi (le "otōsan" japonais a d'ailleurs un sens plus fort, en Asie comme en Afrique d'ailleurs, l'emploi de ce titre pour un bienfaiteur aillant une portée intime très forte) par la communauté chinoise qui l'accueille avec entrain en son sein. Dès lors Obayashi construit des moments à la MASH où seule l'ambiance et la connexions des présents compte, dans de longs plans fixes (dans le magasin où tous les jeunes chinois viennent désormais, dans des scènes de bars) où ils laissent volontairement la confusion régner dans le grouillement de personnes, dans la cacophonie des dialogues. Et le miracle de tout cela, c'est qu'il parvient par là à idéalement caractériser toutes cette communauté, que ce soit le groupe de chinois ou le voisinage d'amis japonais qui auront chacun leur petit moment qui nous laissera un souvenir à la fin du film.

Tout cela n'ira pas sans heurts, entre la méfiance d'un entourage parfois jaloux, égoïste et/ou raciste, mais aussi à l'excès de générosité de Shunzo qui délaisse sa famille et son affaire. Finalement mis à mal financièrement et au niveau de sa santé, Shunzo va pourtant trouver une formidable récompense à sa prodigalité. Bengaru est excellent de bonhomie bourrue et de truculence en bon samaritain qui s'ignore et est formidablement accompagné par Masako Motai, pour montrer l'empathie fragile à laquelle tient cette générosité. Obayashi parvient à montrer la rudesse de ce quotidien prolo (la scène où Michi fond en larmes en voyant que Shunzo a offert son pendentif - qu'elle n'a jamais eu le temps de mettre pour se faire belle car submergée de travail - à une migrante chinoise) et la valeur de cette dévotion aux autres. Mais réussite totale du film tient à son épilogue. Obayashi avait prévu de tourner la dernière partie du film à Pékin pour montrer les retrouvailles entre Shunzo invité par ses anciens protégés qui avaient réussis dans leur pays. Les tragiques évènements de Tiananmen obligent le réalisateur à tourner ce final émouvant en studio au Japon.

Pourtant au lieu de chercher à donner l'illusion d'un tournage en Chine, le film se déleste de son ton réaliste et révèle totalement l'artifice tant visuellement (décors studios et équipe de tournage bien visibles) que narrativement avec un Shunzo qui brise le quatrième mur en nous expliquant que tout cela a été tourné au Japon. Obayashi met son style expérimental au service du récit et du contexte politique qui s'avère explicite sans être évoqué nommément. L'émotion s'en trouve décuplée, notamment l'ellipse touchante sur la réminiscence d'un dialogue où Shunzo et un jeune chinois se disputaient sur la pastèque ayant le meilleur gout, la japonaise ou la chinoise - la réponse nous en est donc donnée. Un vrai petit bijou qui appelle l'individu à toujours surmonter le clivage des nations (détail amusant au vu du gouvernement japonais actuel dans le déni de son passé belliqueux, Shunzo pour obtenir un logement à ses amis chinois raillera le propriétaire en lui disant qu'il a à se faire pardonner car son grand-père à probablement tué beaucoup de chinois durant la guerre).

Sorti en dvd japonais 

Extrait

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