Dans un futur
alternatif, après des décennies de guerre, le monde a fini par arriver à une
paix durable. Mais les Terriens ont désespérément besoin de retrouver un peu
d'action. Pour apaiser ses citoyens, le gouvernement met alors en place un
cycle de guerres d'un genre nouveau : celles-ci seront désormais organisées par
des sociétés militaires privées, dans le seul but de divertir la population. C'est
alors que la dernière recrue à rejoindre les pilotes de Sky Crawlers se
retrouve impliquée dans un nouveau projet militaire, visant à rendre les
pilotes infaillibles...
Mamoru Oshii signe avec The
Sky Crawlers ce qui reste son dernier long-métrage d’animation à ce jour. Il
adapte là le premier volet d’une série de six romans d’anticipation d’Hiroshi
Mori. Oshii va bien sûr s’approprier ce matériau pour l’imprégner de ses thèmes
majeurs. L’histoire nous plonge dans un futur alternatif où un groupe de pilote
d’élite mène une guerre à Lautern lors de périlleuses joute aériennes. Le récit
se déleste de toute contextualisation géopolitique, l’ennemi se réduit aux
avions ennemis et le plus coriace d’entre se nomme « Le Professeur »,
identifiable par le tigre noir qui orne sa carlingue.
C’est dans ce cadre que
débarque Yuichi Kannami en remplacement d’un autre pilote. Dès cette entrée en
matière, tout se joue de façon étrange alors que l’on est supposé découvrir ce
nouvel environnement à travers les yeux du personnage. Le chien de la base (un
basset bien sûr leitmotiv d’Oshii qui place son chien dans tous ses films)
accoure vers Yuichi descendant de son appareil, comme s’il le connaissait et
que c’était une habitude. Yuichi a la déconctraction de l’habitué des lieux et
tique lorsqu’il voit la mécanicienne Towa Sasakura, ayant l’impression de l’avoir
déjà vue. Il en va de même lors de l’entrevue avec la mystérieuse Suito
Kusanagi qui lui lance un « je vous attendais » qui semble plus lourd
de sens que cette simple première rencontre.
Le récit alterne ainsi entre quotidien morne et combats
aériens, tout en distillant les indices quant à la raison d’être des
personnages. Tous les pilotes sont des « kildrens », des êtres
destinés à ne pas vieillir et qui servent ainsi de chair à canon pour ce
conflit grâce à leur dextérité aux commandes de leur appareil. Cette vie ne
tenant qu’à un fil ne semble pourtant pas les affecter, la répétitivité de leur
existence se répercutant ainsi si l’attitude éteinte de Yuichi et ses
comparses. La raison s’en expliquera peu à peu, la boucle de ce quotidien
constituant finalement leur seul souvenir concret. Le postulat rappelle
grandement celui du roman Auprès de moi
toujours de Kazuo Isiguro (et de son adaptation Never Le me go de Mark Romanek (2011), avec ces jeune gens élevés
et conditionnés au sacrifice, placide et sans rébellion quant au sort funeste
et répétitif qui les attends. On ne prend vraiment conscience de cela que par
ce sentiment de redite qui s’inscrit de manière subtile et subjective, par le
regard des autres qui y répondent par une insouciance amusée ou glaciale (quand
ils comprennent vraiment le rôle qu’ils ont à jouer) ou par une attitude
passive qu’induit ce conditionnement. Notre héros pose plusieurs fois les
questions qui agite également le spectateur, mais qu’il ait ou pas sa réponse,
aucun doute, aucune défiance ne s’éveille en lui et il revient son comportement
éteint.
Dès lors on fera aisément le reproche à Oshii d’avoir livré
une œuvre désincarnée. Si cette répétitivité pouvait perdre dans l’expérimental
Ghost in the Shell 2: Innocence
(2004), elle fait sens dans The Sky
Crawler où l’être sans identité, sans définition de ce qu’il est et sans
perspective d’où il va, vit dans l’éternel recommencement d’une existence sans
but. C’est précisément le sujet de Lamu :Beautiful Dreamer (1984) qui conceptualise cette boucle de façon ludique,
de Ghost in the Shell (1995) qui
réfléchit plutôt au niveau de la conscience, mais aussi d'Avalon (2001) explorant lui la notion de quête par le prisme du jeu
vidéo. Il s’agit à chaque fois de personnages cherchant à échapper à une prison
à la fois mentale, sociétale et métaphysique et The Sky Crawlers s’inscrit dans cette continuité. Le chara-design
très simple et le manque d’expression des personnages (on rejoint les
protagonistes opaques de Ghost in the
Shell ou Avalon, être artificiels
ou évoluant dans un environnement qui l’est) va dans ce sens. Si la virtuosité
des scènes de vols impressionne, la cohabitation des techniques d’animation
entre la texture 3D des avions, les environnements aériens numériques et la 2D
des personnages, créent quelque chose d’abstrait et d’artificiel qui correspond
à la perception limitée des héros.
Pour ceux qui ressentent l’impasse où ils se
trouvent, la seule alternative semble être la mort, mais cette dernière n’est
qu’une manière de rejouer la même partition, sous une forme légèrement
différente. C’est en fait une des œuvres les plus désabusée d’Oshii, car d’habitude
le cheminement existentiel chez lui amène vers une mue qui transfigure les
personnages (en bon adorateur du 2001
de Kubrick). Il n’en est rien ici et c’est le renoncement plus que la tension
dramatique qui berce le climax où Yuichi défie le « Professeur » dans
les airs, la créature ne peut vaincre son Frankenstein et accéder à une autre
dimension. Malgré cette résignation d’ensemble, l’émotion fonctionne de façon
frontale comme rarement chez Oshii, grâce à la mélancolie du score de Kenji
Kawai et à la fascination dégagée par la figure de Suito Kusanagi.
Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side
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