Dans une ville fictive
d'Europe centrale, Ash est une accro de jeux vidéo et de réalité virtuelle.
Solitaire, le seul compagnon qu'on lui connaisse est son chien. Elle était
membre du groupe Wizard, constitué de véritables aficionados d'un jeu de guerre
illégal nommé "Avalon", en référence à l'île légendaire où reposent
les âmes des héros. Mais depuis que la bande s'est dissoute, Ash joue seule. Un
jour, elle apprend que son ancien amant, Murphy, est devenu un zombie, un
"non-revenu. Son sort intrigue Ash qui décide alors de refaire le chemin
qu'il a pris en jouant dans une zone interdite baptisée "Class A".
En 1986 Mamoru Oshii signe avec l’expérimental L’œuf de l’Ange une de ses plus belles
réussites mais s’aliène du même coup le soutien des producteurs suite au four
commercial du film. Passé en indépendant à l’occasion du film, Oshii subit
ainsi de plein fouet cet échec puisqu’il va passer quasiment trois ans au
chômage technique avant d’être sollicité pour la réalisation de Patlabor (1989) qui va le relancer. Durant
cette période d’inactivité, il s’achète un ordinateur et s’immerge totalement
dans les derniers jeux vidéo sur lesquels il passe des heures. L’intrigue d’Avalon
germe dans son esprit à cette période, en considérant que les nombreuses heures
passées sur les jeux pourraient être lucratives pour les participants mais avec
aussi le risque de s’y perdre et de ne plus distinguer le réel du virtuel. C’est
une idée visionnaire qui anticipe de 20 ans le jeu en réseau et même l’idée du
jeu vidéo comme une compétition sportive à la manière de l’E-sport actuel.
Vu
le peu de crédit dont jouit Oshii à l’époque, le projet ne verra pas le jour mais
va refaire surface après le succès du fameux Ghost in the Shell (1995). Le sujet est désormais bien plus
pertinent à l’aune de l’essor d’Internet et du développement des technologies
numériques. La première mouture du script se déroulait au Japon mais le paysage
nippon n’inspire plus forcément Oshii qui souhaite un environnement différent
pour exprimer cette confusion réel/virtuel. L’idée des pays de l’est mûrit dans
son esprit, à la fois imprégné de l’imagerie emblématique d’évènements
historiques comme le Printemps de Prague, mais aussi de sa propre cinéphilie à
travers les films de Jerzy Kawalerowicz ou Andrzej Wajda qu’il découvrit lors
de sa période étudiante. Avalon va donc se tourner en Pologne avec un casting
et dans la langue locale.
On y suit le destin d’Ash (Malgorzata Foremniak), jeune
femme au quotidien morne qui ne vit que pour les parties clandestines d’Avalon, jeu vidéo en réalité virtuelle
rémunérateur qui réunit une communauté secrète de joueurs. La saisissante
première scène nous immerge effectivement dans une vision stylisée des pays de
l’Est, dont le déroulement et l’arrière-plan ramène à un passif historique
tragique (une scène de panique urbaine face à l’irruption de char d’assaut)
tandis que les éléments qui la constituent apportent la touche futuriste qui
atteste que nous ne sommes pas dans la réalité. Les transitions qui nous font
passer d’un espace à un autre, la façon dont disparaissent les antagonistes et
surtout les véhicules high-tech à l’armement illimité convoque la
science-fiction au sein d’un cadre archétypal. Ash, mèche blanche cendrée y
apparaît comme une figure guerrière iconique et véloce. La photographie sépia
dominant ce monde d’Avalon achève d’en
faire la photographie, le fantasme d’un temps révolu où l’on vient greffer des
éléments anachronique à des fins ludiques (la fascination d’Oshii pour une
certaine imagerie militaire issue de la Deuxième Guerre Mondiale parcourant son
œuvre notamment Jin-Roh (1999)). Le
retour à la réalité ne semble paradoxalement pas plus « réel »
puisque Oshii y travaille tout autant l’esthétique (y compris le jeu des
comédiens modifié en post-production) mais à des fins différentes.
Si la gamme
chromatique du jeu oscille entre le sépia, le jaune pâle voire le blanc, le
monde réel accentue les tons sombre, entre le noir, le gris et le brun. Le but
n’est plus là de traduire la spécificité d’un monde factice mais une forme d’introspection
pour Ash, dont la vie hors du jeu est terne et monotone. Oshii y injecte une
matière très intime puisque la répétition narrative sur Ash prenant le tramway
fait écho aux propres trajets du réalisateur qui prenait la ligne circulaire de
ce même moyen de transport toute la journée alors qu’il séchait les cours,
laissant son imagination divaguer. De même la seule éclaircie du quotidien de
Ash réside dans les retrouvailles avec son chien basset, seul être dont elle
semble se préoccuper et prendre soin, là aussi lubie d’Oshii grand misanthrope
mais très attaché à son chien de cette même race qu’il réussit à placer dans
tous ses films. Le scénario se sert du mythe Arthurien pour façonner le mystère
en toile de fond du film, un passage secret du jeu qui permettrait aux plus
doués d’accéder à un niveau supérieur et mystérieux qui correspondrait ainsi à
la symbolique d’Avalon, l’île où vont reposer les plus valeureux tels le Roi
Arthur après leur haut fait. Cette quête revêt un challenge pour la joueuse Ash,
mais surtout pour la femme qu’elle est puisque peut-être y séjourne Murphy,
ancien coéquipier (et que l’on suppose amant) réduit à l’état végétatif dans le
réel en ayant tenté d’accéder à cette classe « Spéciale A ».
Avalon dans sa première partie pose donc un monde virtuel
chargé d’action et d’adrénaline que l’on suit pourtant avec détachement, à l’inverse
d’un réel sans éclat mais qui suscite mystère et fascination quant à son
héroïne opaque. C’est une forme d’austérité et d’exigence pour Oshii qui fait d’Avalon une sorte d’anti Matrix (1999) même si les films se
rejoignent sur le thème du virtuel et même de certaines thématiques. Matrix inscrit les archétypes du mythe
dans le cadre futuriste pour une opposition manichéenne du mal associé à la
machine contre le bien que représente l’humain. Le personnage de Cypher (Joe
Pantoliano) dans Matrix, par sa
préférence de l’illusion virtuelle aux privations du présent est
schématiquement montré comme un traitre et un méchant quand Murphy (Jerzy
Gudejko) poussés par les même choix et préoccupations s’avère bien plus
touchant dans Avalon - même si les
deux suites de Matrix (2003) viendront
apporter une plus grande complexité à la simplicité commercialement nécessaire
du premier opus.
Cela tient au fait que c’est cette confusion réel/virtuel qui
intéresse Oshii et que c’est la perception différente, peut-être supérieure qui
en naît qui pousse les personnages. La taciturne et solitaire Ash est le double
de Motoko Kusanagi dans Ghost in the
Shell, Oshii lui en faisant d’ailleurs reprendre la coiffure (l’actrice
étant plutôt blonde aux cheveux court dans la réalité) et le look - les
producteurs du remake hollywoodien de Ghost in the Shell (2016) ont d’ailleurs certainement pioché dans Avalon pour l’allure de Scarlett
Johansson. Kusanagi s’interrogeait sur ce qu’elle était, Ash questionne quant à
elle l’état qui suit celui du monde réel et du monde virtuel. Le jeu du chat et
de la souris entre Kusanagi et l’adversaire omniscient quest le Marionnettiste
est ici repris entre Ash et le mystérieux Bishop (Dariusz Biskupski) à la fois
guide et manipulateur.
Ce trouble atteint des sommets lors de la dernière partie du
film où ce qui se rapproche le plus de la réalité pour le spectateur (les
couleurs, l’urbanité, les vêtements des passants) s’avère une strate inconnue d’Avalon. Murphy s’est arrêté à cette
avant-dernière marche, satisfait de cette confortable facticité où il vit mieux
que dans le monde réel et ne prend plus de risques comme dans l’univers
guerrier d’Avalon. Le duel est
inévitable et laisse pleinement se déployer en montage alterné le magnifique
score de Kenji Kawai lors d’une somptueuse scène de concert où la cantatrice
dans les paroles de la chanson exprime toute la portée thématique et symbolique
du film. Là encore à la manière de la mythique conclusion de Ghost in the
Shell, Oshii stoppe son récit au moment de passer de l’autre côté, en Avalon
où les notions de réel et virtuel n’ont plus court. Captivant et de très loin
la tentative live la plus réussie de
Mamoru Oshii.
Sorti en dvd zone 2 français chez StudioCanal
Bonjour Justin,
RépondreSupprimerUn présent désenchanté et un futur condamné, un jeu vidéo illégal particulièrement addictif, le mythe arthurien et l’île légendaire d’Avalon où reposent les âmes des guerriers, un niveau caché nommé Spécial A ou encore Classe Réelle, des non-revenus (ou morts-vivants) à l’état végétatif dans les hôpitaux, sans oublier les Ombres, les Evêques, le Maître du jeu et les Programmeurs...
J'ai vu ce film à sa sortie en DVD et je l'ai revu plusieurs fois depuis mais j'ai à chaque fois le sentiment qu'il m'échappe. En cela, il reste fascinant à sa manière et j'aime ça.
Mention spéciale pour l’Orchestre Philharmonique de Varsovie, qui accompagne la cantatrice soprano polonaise Elżbieta Towarnicka sur la musique du film Avalon, composée par Kenji Kawai.
A+
Hello Sentinelle ça faisait longtemps !
SupprimerDécouvert en salle à l'époque aussi et je craignais un peu qu'il ait vieilli à la revoyure mais pas du tout. Ambiance, mystère et pouvoir de fascination intacts et plein de lien thématique à faire avec d'autres films d'Oshii, en plus d'une belle réflexion philosophique. Et effectivement le final avec l'orchestre de Varsovie magnifie totalement la superbe musique de Kenji Kawaii.