Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
La Fille du Nil - Ni luo he nu er, Hou Hsiao-hsien (1987)
A la suite du décès de sa mère, la jeune Lin
Hsiao-yang doit s'occuper de son frère et de sa soeur, tout en
travaillant comme serveuse et en suivant des cours du soir. Une bande
dessinée, dont l'héroïne est "la fille du Nil", lui permet de s'évader
de son quotidien.
Les précédents de Hou Hsiao-hsien étaient, par leur dimension
biographique et/ou leur cadre rural, souvent situé dans le passé ou en
dégageait néanmoins l'aura nostalgique. La Fille du Nil est une œuvre de transition située entre les cycles biographiques (Les Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985), Poussières dans le vent (1986)) et historiques (La Cité des douleurs (1989), Le Maître de marionnettes (1993) et Good Men, Good Women
(1995)) de Hou Hsiao-hsien où il décide pour la première fois de
regarder frontalement à la fois le présent mais aussi la modernité,
l'urbanité et la jeunesse de Taipei.
Nous allons y suivre le destin de la jeune Hsiao-yang (Lin Yang) et de
sa famille. Dès la scène d'ouverture, les images et la voix-off de la
jeune fille dresse le passé douloureux (la mort de la mère) et même le
futur funeste (l'annonce de la fermeture du restaurant du frère) de la
famille. Hou Hsiao-hsien construit une dichotomie entre cette cellule
familiale et le monde extérieur. On retrouve ce leitmotiv d'un plan
iconique signifiant la douceur de ce foyer avec cette image de
l'embrasure d'une porte donnant sur une table de salle à manger, où l'on
fait ses devoirs, mange, discute et qui en arrière-plan donne sur un
extérieur où défilent d'autres personnalités chaleureuses comme le
truculent grand-père (Li Tianlu qui retrouve un rôle proche de Poussière dans le vent).
C'est l'espace où l'on vient se réfugier après les mésaventures à
l'extérieur (y compris sous forme de rêve), celui où on laisse sa pensée
divaguer (Lin Hsiao-yang écoutant son walkman dans sa chambre) et qui
réserve les petits instants complices et taquins entre la grande et la
petite sœur.
L'extérieur est synonyme d'hédonisme, de tentation mais
aussi de danger. Hou Hsiao-hsien observe une jeunesse en avide de
sensations et évoluant dans une Taipei nocturne grouillante et illuminée
de néons, aux lieux de plaisirs multiples avec ses boites de nuits
bouillantes. Cet ancrage dans le présent se ressent particulièrement
dans ces moment-là, de manière intra diégétique (la bande-son gorgés de
tubes anglo-saxon contemporains, les personnages allant voir Chambre avec vue
(1986) de James Ivory au cinéma) et extra diégétique puisque l'actrice
Lin Yang est une star de la pop taïwanaise du l'époque. Cette quête
d'adrénaline pousse également ces jeunes gens vers la délinquance et ces
risques. La tranquillité du foyer et le confort matériel ne suffit pas
au grand frère Hsiao-fang (Jack Kao) comme à son ami Ah-sang (Fan Yang)
qui se placent dans des situations périlleuses, comme si le menace son
excitation était une façon de se sentir en vivant en fin de compte.
La force du film est de ne pas expliciter ces écarts, de laisser leurs
raisons sous-jacente (le conflit avec le père, une expérience
douloureuse d'exil aux Etats-Unis) et de ne faire reposer cette fuite en
avant que sur un mal existentiel dégagé par les visages juvéniles et
taciturnes des personnages. Cette mélancolie fonctionne dans l'errance
urbaine et les vues splendides de Taipei by night,
et mêmes les instants de d'insouciance se teinte des angoisses du
contexte socio-politique (le professeur dénoncé pour ses idées et forcé à
partir). Il n'y a pas ici le côté ample des précédents films, c'est une
photographie immédiate et moderne où Hou Hsiao-hsien fait pourtant
peser le même poids d'inéluctable sans l'idéalisation du souvenir.
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