Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

mercredi 24 février 2021

Harry dans tous ses états - Deconstructiong Harry, Woody Allen (1998)


 Harry Block est un écrivain tourmenté qui écrit des romans inspirés de sa vie. Certains de ses proches sont furieux de se reconnaître dans les personnages et évènements décrits. Il doit recevoir un hommage à son ancienne école mais il n'a personne avec qui y aller, il s'y rend finalement avec un ami cardiaque, une prostituée noire et son fils qu'il a kidnappé devant son école.

Woody Allen signe avec Harry dans tous ses états un de ses films les plus fous tout en revisitant certaines figures bien connues de son cinéma. Allen retrouve son personnage d’artiste névrosé et immature qu’il place ici dans une situation référentielle à lui-même et à ses influences. Harry Block (Woody Allen) est un écrivain qui nourrit largement sa fiction de son vécu au grand dam de son entourage sur lequel il se dédouane de ses petites lâchetés. Cette attitude se retourne contre lui lorsqu’il s’apprête à être honoré par son ancienne université et qu’il ne trouvera personne pour l’y accompagner. En amont et durant le périlleux voyage, Harry va refaire le film de ses déboires passés et peut-être se remettre en question. 

Le postulat est le même que Stardust Memories (1980) qui était lui-même emprunté à Les Fraises sauvages d’Ingmar Bergman (1957). Seulement Woody Allen troque la mélancolie de ces deux films pour une véritable furie irrévérencieuse et hilarante qui met à mal le personnage d’Harry. On a une autre réminiscence de Stardust Memories à travers la narration qui entremêle réalité et fiction de l’imaginaire d’Harry à la manière du Huit et demi de Federico Fellini (1963). L’emprunt est moins explicite ici (pas de reprise du noir et blanc, la dimension existentielle et référentielle moins marquée) et le film trouve une fois de plus son identité dans son ton hystérique et vachard. Le titre original Deconstructing Harry est bien plus explicite, puisque le récit s’applique à explorer par strates la psyché d’Harry, entre fiction à charge auto-complaisante et flashbacks faisant office de retour de bâton cinglant. 

Woody Allen ne cherche cependant pas à nous perdre dans ces différents niveaux narratif, mais plutôt à créer un contrepoint permanent qui vise à appuyer la mauvaise foi d’Harry et le conforter dans ses névroses ou à l’inverse l’accabler et le confronter à ces mêmes névroses. Le réalisateur joue la carte de l’absurde avec un festival de dialogues en dessous de la ceinture (qui démontre encore si besoin était qu’Allen est le père de la sitcom moderne), de situations décalées et d’idées formelles aussi folles qu’inventives. Ainsi l’anxiété d’Harry face au regard des autres se manifestera (dans la fiction avec Robin William et dans le réel par lui-même) par le fait de devenir flou aux yeux de son entourage ce qui donne des images incroyables, où l’expérimental sert le gag génial. Les effets de répétitions ou de coupures du montage montrent aussi la manière dont la réalité se vrille pour Harry qui perd pied. 

Woody Allen déploie dans un même film l’incarnation de son personnage et la manière dont il la délèguera à d’autres acteurs lors de ses films suivants (et ce dès Celebrity (1998) à suivre) mais dans une dimension méta où ses autres « lui-même » endossent des atours flatteurs, que ce soit par le casting prestigieux (Robin Williams, Tobey Maguire, Stanley Tucci…) ou le tempérament. Les ex-femmes se dédoublent aussi avantageusement dans la fiction (Demi Moore, Julia Louis-Dreyfus…) et le versant méta vient interroger et juger Harry dans le réel pour le placer face à ses contradictions.

Cette gymnastique narrative et psychanalytique conduit à des mélanges inattendus quand la fiction d’Harry charge à la fois l’ex-femme (en reprenant leur vie conjugale), sa sœur dont il moque la bigoterie juive et règle son compte avec son père. Woody Allen ne se refuse aucune extravagance, ce qui culmine avec un passage aux enfers entre inspiration de Milton et esthétique de peep-show dans un décor incroyable de rutilance rococo obscène. Au final Allen juge avec sévérité l’homme qu’il est tout en étant bien conscient que ses multiples failles nourrissent son art comme le montre un final émouvant et jubilatoire. 

Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire