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vendredi 26 février 2021

Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier - Pepi, Luci, Bom y otras chicas del montón, Pedro Almodóvar (1980)

Pepi cultive de la marijuana sur son balcon. Un flic qui habite en face, le remarque et vient chez elle pour le lui reprocher. Son regard est concupiscent si bien qu'elle soulève sa robe et lui propose de faire l'amour en échange de son silence. Le flic accepte. Pepi décide alors de se venger de ce viol avec l'aide de Bom et son groupe de musiciens, mais aussi celle de Luci, la femme masochiste, mais abandonnée du policier…

Premier film de Pedro Almodovar, Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier est un vrai témoignage du vécu du jeune réalisateur, mais aussi un portrait des mutations de la société espagnole d’alors. Almodovar grandi dans un milieu rural et une famille conservatrice dont il va chercher à s’émanciper lorsqu’il ira faire ses études à Madrid. Malgré le dénuement économique de cette nouvelle vie urbaine, c’est une nouvelle vision du monde qui s’offre à lui et l’épanouit lorsqu’il va découvrir la faune nocturne madrilène où se croisent artistes, groupe punk et communauté gay. A la même période la société espagnole vit une période de transition entre les années qui suivent la mort de Franco et le début des 80’s où se reconstruit le paysage politique. Le conservatisme d’antan cohabite alors avec l’émancipation sociale en cours et l’émergence de la Movida, ce qu’illustre parfaitement le galop d’essai d’Almodovar. Après s’être fait la main sur quelques court-métrages, Almodovar parvient à signer ce premier long grâce à l’aide financière et artistique de tout le cercle underground gravitant autour de lui au fil des années. 

Tourné pendant un an et demi durant les week-ends, Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier est l’illustration de la somme d’influence et d’expérience d’Almodovar à cette époque. Le film s’attache plus à témoigner d’une atmosphère et d’une époque que de proposer une vraie trame construite. La liberté de ton frappe dès la mémorable scène d’ouverture où Pepi (Carmen Maura) est violée par le policier violent (Félix Rotaeta) à cause de sa culture de cannabis. On y ressent la désinvolture sexuelle qui aura court tout au long du film (et préfigure l’usage du viol comme ressort dramatique toujours déroutant dans des œuvres à venir comme Kika (1993) ou Parle avec elle (2002)). 

C’est aussi une manière d’opposer d’emblée l’Espagne vieillissante et répressive d’avant et celle juvénile et ouverte d’aujourd’hui. L’aspect conservateur passe donc par ce personnage de policier (et des dialogues très significatifs qui lui sont attribués) duquel va tenter de se venger Pepi. Le meilleur moyen de le briser est d’infiltrer ce monde déluré dans son foyer par l’entremise de sa femme Luci (Eva Siva). En bon macho conservateur, le policier réserve ses écarts divers à l’extérieur et réduit sa femme à ses tâches domestiques sans autoriser la moindre fantaisie sexuelle dans leur vie de couple. Seulement il se trouve que Luci est une masochiste qui s’ignore et souffre d’être traitée « comme une mère » par son mari. Pepi va donc se rapprocher d’elle pour l’ouvrir à des mœurs et un milieu interlope qui vont la déniaiser.
Almodovar y va brut de décoffrage dans les situations avilissantes qui font jubiler une Luci qui n’attendait que cela, malmenée de façon diverse et variée dont une séquence où elle se fait uriner dessus. Almodovar capture à la fois avec réalisme et décalage toute l’excentricité de cet underground madrilène entre concert punk, figures queers outrancières et tenues vestimentaires criardes. La forme du film bien que très brut avec son format 16 mm, fait preuve d’une stylisation qui tend à montrer comment ce mouvement culturel de la Movida contamine les foyers et l’imaginaire espagnol. La narration est entrecoupée de cartons aux dessins pop art (signé du dessinateur BD qui s’occupera plus tard de la direction artistique des Jeux Olympiques de Barcelone), on aura de fausses publicités à la forme parodiques et au message provoquant où l’on devine l’influence du roman-photo dans le passif d’Almodovar.

Cette liberté offre un vrai souffle rafraîchissant au film qui nous fait naviguer d’un excès à l’autre avec un humour ravageur. Il est cependant intéressant d’analyser la manière dont s’illustre cette mutation sociétale. La division des deux mondes ne change pas à la fin du film, les parias excentriques restent dans leur monde et n’ont finalement apporté au conservateur qu’une manière plus outrancière et amusante de reproduire l’ancien modèle sociale. Pepi et ses amis restent dans une provocation bonne enfant alors que Luci peut enfin gouter à la jouissance en étant placée sous l’autorité plus explicitement brutale de son époux, ce qui satisfait ses fantasmes de soumission. C’est déjà passionnant sous cette forme brouillonne et se développé avec une finesse croissante par Almodovar dans ses films suivants. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Bac Films

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