Isak Borg (Victor
Sjöström) est invité à Lund pour y recevoir une distinction honorifique
couronnant sa longue carrière de médecin. Bousculant ses plans à la suite d’un
rêve énigmatique, il décide de s’y rendre en voiture, et sa belle-fille
Marianne (Ingrid Thulin) se joint à lui à la dernière minute. Ce voyage sera
l’occasion pour lui de revenir, tant géographiquement qu’émotionnellement, sur
les moments qui ont marqué sa vie, et d’en retrouver les protagonistes...
Dans la filmographie d’Ingmar Bergman, Les Fraises sauvages suit Sourire
d’une nuit d’été (1955) et Le
Septième Sceau (1957), œuvres qui permettront d’assoir sa renommée
internationale - les deux films étant respectivement récompensés du « prix
de l'humour poétique » au Festival de Cannes 1956 et Prix spécial du jury
également à Cannes en 1957. Les Fraises
sauvages s’avère également une parfaite synthèse de ces films, alliant les questionnements
métaphysiques du Septième Sceau avec
le ton espiègle d’un Sourire d’une nuit d’été
bien éloigné de l’image austère que l’on se fait parfois du cinéma de Bergman.
Ces deux approches serviront ainsi un portrait touchant et nostalgique d’un
homme au soir de sa vie.
Isak Borg (Victor Sjöström) est un vieillard solitaire,
froid et distant qui s’apprête à recevoir une distinction honorifique célébrant
ses 50 ans d’exercice en tant que médecin. Depuis quelques temps et alors que l’évènement
approche, Isak est pourtant hanté par des rêves morbides qui trouble sa
quiétude détachée. Il décide alors de se rendre à la cérémonie en voiture, en
compagnie de sa belle-fille Marianne (Ingrid Thulin) et le voyage sera l’occasion,
à travers les paysages chargés de souvenirs et les rencontres réminiscences de
son passé d’une véritable introspection pour Isak. La silhouette solitaire dans
son bureau ainsi que la voix-off où il nous dépeint sans passion ses petites
habitudes et son entourage cerne ainsi le caractère misanthrope d’Isak. A l’image
du film jamais pesant pour évoquer ces questionnements existentiels, l’indifférence
du personnage au monde qui l’entoure est ainsi masquée par une certaine
bonhomie.
Ce n’est qu’à travers le regard des autres que se devinera la
froideur qu’il dégage, que ce soit sa gouvernante dévouée qu’il sollicite sans
égards au moment du départ ou Marianne lui rappelant certaines de ses cruelles
attitudes au début du voyage. Isak n’exprimera son humanité que par l’esprit,
le conscient avec les flashbacks revisitant son enfance et inconscient dans les
songes oppressants où tous ses manques reviennent le hanter.
Les flashbacks seront l’occasion de séquences élégiaques
somptueuses sous influence impressionniste et la photo de Gunnar Fischer baigne
dans une imagerie immaculée et subtile dans ces jeux d’ombres, sa manière de capturer
la lumière. Les nuances se font voir dès que les sentiments sont en jeu (la
photo plus voilée lors du flirt entre Sara et Sigfrid, la pénombre des
escaliers lorsque Sara culpabilise sa trahison à venir de Isak) tandis que les
pures séquences nostalgiques (merveilleuse scène de repas) compose des tableaux
éclatants.
Les rêves/cauchemar d’Isak prendront un tour beaucoup plus stylisé,
à l’image de son esprit bien plus tourmenté que sa placidité de façade. Le
premier cauchemar s’orne d’une photo désaturée dans un décor urbain désertique
et étrange où Isak va croiser son âme morte reposant dans un cercueil. Plus
tard le second songe formera un dédale ténébreux en faisant un accusé et le
confrontant aux conséquences de ses actes, son indifférence en couple l’amenant
à revivre l’adultère de son épouse. Chaque échappée est en tout cas un reflet
cruel de sa solitude du réel, les flashbacks exprimant le regret pour ce
paradis perdu et les cauchemars le reproche pour le propre enfer qu’il s’est
façonné par ses attitudes.
C’est par ses rencontres durant le voyage que le réel va s’avérer
peu à peu plus avenant. Le passé ressurgira ainsi avec ce couple d’automobiliste
détestable qui rappellera à Isak son mariage dysfonctionnel, mais aussi par ce
trio de jeunes autostoppeurs dont le triangle amoureux reprend celui qu’il forma
avec son frère pour sa cousine (Bibi Andersson) qui lui préfèrera ce dernier.
Le réel va alors peu à peu constituer un miroir positif des errements du passé.
Bibi Andersson incarne simultanément les rôles de la cousine perdue et de la
voyageuse enjouée. Si le triangle amoureux constituera un souvenir douloureux
pour Isak rejeté, c’est un marivaudage léger et insouciant qui anime les jeunes
gens voyageant avec notre héros ragaillardi.
Le présent devient enfin vivant et
plaisant, futur qui se dessine avec la rencontre de la mère solitaire et
desséchée (dans tous les sens du terme) constituant une destination fort
déplaisante. Isak s’ouvrant au monde peut donc enfin être caractérisé sous un
jour positif (la rencontre avec le pompiste joué par Max Von Sydow rappelant
son passé dévoué de médecin), par son enjouement non feint, sa complicité avec
Sara. Le rapport avec Marianne se fait subtilement plus tendre également, entre
confidence et entente muette magnifiée par les jeux de regard. L’élégance et la
force tranquille d’Ingrid Thulin font merveille tandis que Victor Sjöström
(pionnier du cinéma suédois déjà sollicité par Bergman sur Vers la joie (1950)) excelle à exprimer la vulnérabilité et l’humanité
retrouvée d’Isak.
Grand absent de ses propres flashbacks (prolongeant l’absence
à son existence), Isak apaisé a enfin droit de s’y intégrer dans le poignant
final tout en y conservant ses traits de vieillard. La nuit n’est plus synonyme
de cauchemar tourmentés et teinté de de culpabilité. Au contraire, c’est l’occasion
de ranimer une image magnifique où les êtres aimés et disparus sont aussi
insaisissables qu’inoubliables. Un des plus beaux témoignages des sentiments
qui nous anime au crépuscule de la vie, récompensé par l’Ours d’or au festival
de Berlin 1958.
Sorti en dvd zone 2 et en bluray somptueux chez Studiocanal
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