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samedi 25 avril 2015

Les Fraises sauvages - Smultronstället, Ingmar Bergman (1957)

Isak Borg (Victor Sjöström) est invité à Lund pour y recevoir une distinction honorifique couronnant sa longue carrière de médecin. Bousculant ses plans à la suite d’un rêve énigmatique, il décide de s’y rendre en voiture, et sa belle-fille Marianne (Ingrid Thulin) se joint à lui à la dernière minute. Ce voyage sera l’occasion pour lui de revenir, tant géographiquement qu’émotionnellement, sur les moments qui ont marqué sa vie, et d’en retrouver les protagonistes...

Dans la filmographie d’Ingmar Bergman, Les Fraises sauvages suit Sourire d’une nuit d’été (1955) et Le Septième Sceau (1957), œuvres qui permettront d’assoir sa renommée internationale - les deux films étant respectivement récompensés du « prix de l'humour poétique » au Festival de Cannes 1956 et Prix spécial du jury également à Cannes en 1957. Les Fraises sauvages s’avère également une parfaite synthèse  de ces films, alliant les questionnements métaphysiques du Septième Sceau avec le ton espiègle d’un Sourire d’une nuit d’été bien éloigné de l’image austère que l’on se fait parfois du cinéma de Bergman. Ces deux approches serviront ainsi un portrait touchant et nostalgique d’un homme au soir de sa vie. 

Isak Borg (Victor Sjöström) est un vieillard solitaire, froid et distant qui s’apprête à recevoir une distinction honorifique célébrant ses 50 ans d’exercice en tant que médecin. Depuis quelques temps et alors que l’évènement approche, Isak est pourtant hanté par des rêves morbides qui trouble sa quiétude détachée. Il décide alors de se rendre à la cérémonie en voiture, en compagnie de sa belle-fille Marianne (Ingrid Thulin) et le voyage sera l’occasion, à travers les paysages chargés de souvenirs et les rencontres réminiscences de son passé d’une véritable introspection pour Isak. La silhouette solitaire dans son bureau ainsi que la voix-off où il nous dépeint sans passion ses petites habitudes et son entourage cerne ainsi le caractère misanthrope d’Isak. A l’image du film jamais pesant pour évoquer ces questionnements existentiels, l’indifférence du personnage au monde qui l’entoure est ainsi masquée par une certaine bonhomie. 

Ce n’est qu’à travers le regard des autres que se devinera la froideur qu’il dégage, que ce soit sa gouvernante dévouée qu’il sollicite sans égards au moment du départ ou Marianne lui rappelant certaines de ses cruelles attitudes au début du voyage. Isak n’exprimera son humanité que par l’esprit, le conscient avec les flashbacks revisitant son enfance et inconscient dans les songes oppressants où tous ses manques reviennent le hanter.

Les flashbacks seront l’occasion de séquences élégiaques somptueuses sous influence impressionniste et la photo de Gunnar Fischer baigne dans une imagerie immaculée et subtile dans ces jeux d’ombres, sa manière de capturer la lumière. Les nuances se font voir dès que les sentiments sont en jeu (la photo plus voilée lors du flirt entre Sara et Sigfrid, la pénombre des escaliers lorsque Sara culpabilise sa trahison à venir de Isak) tandis que les pures séquences nostalgiques (merveilleuse scène de repas) compose des tableaux éclatants. 

Les rêves/cauchemar d’Isak prendront un tour beaucoup plus stylisé, à l’image de son esprit bien plus tourmenté que sa placidité de façade. Le premier cauchemar s’orne d’une photo désaturée dans un décor urbain désertique et étrange où Isak va croiser son âme morte reposant dans un cercueil. Plus tard le second songe formera un dédale ténébreux en faisant un accusé et le confrontant aux conséquences de ses actes, son indifférence en couple l’amenant à revivre l’adultère de son épouse. Chaque échappée est en tout cas un reflet cruel de sa solitude du réel, les flashbacks exprimant le regret pour ce paradis perdu et les cauchemars le reproche pour le propre enfer qu’il s’est façonné par ses attitudes.

C’est par ses rencontres durant le voyage que le réel va s’avérer peu à peu plus avenant. Le passé ressurgira ainsi avec ce couple d’automobiliste détestable qui rappellera à Isak son mariage dysfonctionnel, mais aussi par ce trio de jeunes autostoppeurs dont le triangle amoureux reprend celui qu’il forma avec son frère pour sa cousine (Bibi Andersson) qui lui préfèrera ce dernier. Le réel va alors peu à peu constituer un miroir positif des errements du passé. Bibi Andersson incarne simultanément les rôles de la cousine perdue et de la voyageuse enjouée. Si le triangle amoureux constituera un souvenir douloureux pour Isak rejeté, c’est un marivaudage léger et insouciant qui anime les jeunes gens voyageant avec notre héros ragaillardi. 

Le présent devient enfin vivant et plaisant, futur qui se dessine avec la rencontre de la mère solitaire et desséchée (dans tous les sens du terme) constituant une destination fort déplaisante. Isak s’ouvrant au monde peut donc enfin être caractérisé sous un jour positif (la rencontre avec le pompiste joué par Max Von Sydow rappelant son passé dévoué de médecin), par son enjouement non feint, sa complicité avec Sara. Le rapport avec Marianne se fait subtilement plus tendre également, entre confidence et entente muette magnifiée par les jeux de regard. L’élégance et la force tranquille d’Ingrid Thulin font merveille tandis que Victor Sjöström (pionnier du cinéma suédois déjà sollicité par Bergman sur Vers la joie (1950)) excelle à exprimer la vulnérabilité et l’humanité retrouvée d’Isak.

Grand absent de ses propres flashbacks (prolongeant l’absence à son existence), Isak apaisé a enfin droit de s’y intégrer dans le poignant final tout en y conservant ses traits de vieillard. La nuit n’est plus synonyme de cauchemar tourmentés et teinté de de culpabilité. Au contraire, c’est l’occasion de ranimer une image magnifique où les êtres aimés et disparus sont aussi insaisissables qu’inoubliables. Un des plus beaux témoignages des sentiments qui nous anime au crépuscule de la vie, récompensé par l’Ours d’or au festival de Berlin 1958. 


Sorti en dvd zone 2 et en bluray somptueux chez Studiocanal

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