Aurora a élevé seule
sa fille Emma, excluant tout homme de sa vie. Pourtant, Emma quitte à la
première occasion cette mère abusive. Seule, Aurora rencontre alors Garret, qui
est un ancien cosmonaute désormais alcoolique... Des liens entre ces deux
personnes prennent forme.
Réalisateur à la filmographie aussi rare que précieuse (à
peine 5 films en 30 ans), James L. Brooks rencontrait le succès dès son premier
essai avec ce Tendres Passions. Ayant
débuté à la télévision dans les années 70 (support qu’il ne délaissera jamais
puisqu’il est un des producteurs des Simpson),
Brooks en instaure certains motifs dès ce premier film. Le choix délibéré d’une
narration prenant son temps, le travail sur les ellipses (le récit se déroulant
sur plus de 20 ans) et l’art de créer une proximité avec les personnages sur le
quotidien plutôt que les péripéties marquées, tous cela obéit à une logique
feuilletonnante qui pourrait être celle d’une série. Brooks en tire le meilleur
tout en concevant une vraie œuvre de cinéma, à la construction ambitieuse sous
sa dimension intimiste. Adaptant un roman de Larry McMurtry, le film dépeint la
relation fusionnelle et tumultueuse d’une mère et de sa fille, Aurora (Shirley
MacLaine) et Emma (Debra Winger).
L’histoire dessine un étonnant portrait de femme en ce début
des années 80. Après la mort de son époux, Aurora a élevé seule sa fille,
excluant toute nouvelle relation avec un homme si ce n’est cour qui l’admire
chastement. Dès la scène d’ouverture où angoissée elle préfère réveiller et
entendre pleurer son nourrisson plutôt que le laisser dormir (par crainte de la
mort subite du nourrisson) le lien fusionnel mère/fille s’amorce. En quelques
vignettes sur l’enfance et l’adolescence d’Emma, on devine la difficulté de cet
amour étouffant. Emma se mariera donc très jeune à Flap (Jeff Daniels) pour
échapper à cette mère envahissante et angoissée. Séparée par ce mariage et
bientôt par la distance géographique, les personnages se repoussent et se
poursuivent tout au long du film, chacun ayant une évolution en contradiction
inconsciente de l’autre pour le pire et le meilleur. Aurora semble ainsi être
un pur produit de deux décennies de féminisme tout en ayant la crainte du sexe
associée aux plus innocentes 50’s. Elle a élevée seule sa fille et
a su rester indépendante au prix d’une solitude qui ne semble pas l’affecter. A
l’inverse Emma en la fuyant et cherchant à se construire un foyer plus « traditionnel »
adoptera une pure existence de femme au foyer, enchaînant les grossesses, ne
travaillant pas et suivant fidèlement son époux partout où son métier d’enseignant
le guide.
Brooks n’avantage aucun de ses modes de vie mais chacun va
se fissurer peu à peu. Si le bonheur de voir ses enfants grandir est là, Emma
se confronte ainsi aux absences et à la possible infidélité de son époux tout
en contemplant le vide de son quotidien. Quant à Aurora, sa libido est loin d’être
aussi éteinte qu’elle ne le pense et elle découvrira tardivement les plaisirs
du sexe avec Garrett (Jack Nicholson), son voisin ancien astronaute quelque peu
déluré. Le montage alterné fait merveille pour illustrer ces destins en
parallèle, mère et fille partageant toutes leurs expériences au téléphone. La
distance et les désaccords ne sauraient briser cette connexion, seule planche
de salut lorsque tout s’effondre par ailleurs. Shirley MacLaine est fabuleuse
en psychorigide s’abandonnant peu à peu (et renouvelant magnifiquement son
registre elle pétillante d’habitude) et c’est cette raideur qui semble
canaliser un Jack Nicholson qui réfrène les tentations de cabotinage qu’on peut
craindre à certains moments.
La scène de leur première nuit est une pure merveille,
Nicholson perdant sa décontraction goguenarde face à la vigueur inattendue d’une
Shirley MacLaine qui a attendue trop longtemps. L’éveil, la liberté et le
plaisir d’un côté et la grisaille et monotonie de l’autre mais en détournant
les attentes quant au personnage concerné. Ce sentiment de temps qui passe est
superbement géré par le talent de narrateur de Brooks (aucun postiche de
vieillissement ou d’esthétique trop changeant pour signaler le défilement des
décennies), les voisins Aurora et Garrett passant quinze ans à s’épier, se
titiller et/ou s’ignorer avant d’avoir leur premier rendez-vous. Les choix de
vie « en réaction » semblent souvent voués à l’échec alors qu’en
cédant à ses désirs l’apaisement semble possible pour tous les protagonistes.
Visuellement la photo « terrienne » d’Andrzej Bartkowiak dessine une
Amérique d’aujourd’hui à travers le parcours d’Emma tandis que l’éveil d’Aurora
amène une facette plus stylisée même si feutrée, les envolées (la folle virée
en voiture sur la plage) n’en étant que plus marquantes. Le quotidien et le possible romanesque, la plus mûre des deux goutant le second avec une belle audace.
Ce voyage intime nous prépare ainsi à une bouleversante
conclusion où ces transformations auront eu pour but de rendre la mère et la
fille apte à répondre courageusement à un cruel destin. Là encore la finesse de
Brooks opère, l’émotion bouleversante ne cédant jamais au pathos (la scène de
mort vu en plan d’ensemble puis hors-champs, capturant la seule peine des
endeuillés), l’épilogue sur un enterrement semblant un nouveau départ plutôt qu’une
conclusion. Une œuvre magnifique, sensible et originale qui fera un triomphe
avec pas moins de 5 Oscars dont meilleur réalisateur, meilleure actrice
(Shirley MacLaine, meilleur acteur dans un second rôle (Jack Nicholson) et meilleur
scénario adapté. L’interprétation fougueuse et à fleur de peau de Debra Winger
l’aurait mérité aussi même si elle sera nominée.
Sorti en dvd zone 2 français et Bluray chez Paramount
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