Dans un bar populaire
d'Osaka, au Japon, la célèbre strip-teaseuse Sayuri Ichijo joue une scène dans
son spectacle, alors que la jeune Harumi fait son apparition et décide de ne
pas faire de cadeau à Sayuri, tentant de dépasser son niveau.
Le Pinku Eiga fut, sous les contraintes du cinéma
d’exploitation un formidable espace d’expérimentation qui permit à des
cinéastes novateur d’émerger. Tatsumi Kumashiro en est un bon exemple. Ayant
intégré la Nikkatsu en 1955 (après avoir débuté à la Shochiku en 1952),
Kumashiro végète de longues années en tant qu’assistant-réalisateur alors qu’il
rêve de passer à la mise en scène. Il se voit offrir une première opportunité
en réalisant Fan Life (1968) qui même
s’il recueille des critiques élogieuses est un échec au box-office et le renvoi
aux postes subalternes. C’est le virage de la Nikkatsu vers le « Roman
Porno » qui lui offrira une seconde chance. En difficulté face à la
concurrence de la télévision, le studio décide de se lancer dans un cinéma
érotique grand public, le pinku eiga. Les réalisateurs historiques du studio
n’acceptant pas ce changement quittent le studio, permettant l’avènement de
jeunes loups à l’univers singulier qui sauront se jouer des figures imposées (budget
restreint et tournage en dix jours, scénario devant se faire succéder les
séquences érotiques à intervalles régulier) pour imposer des œuvres novatrices.
Tatsumi sera même l’un des réalisateur les plus célébrés et populaire du pinku
eiga, dépassant ce cadre en obtenant les louanges de François Truffaut pour World of Geisha (1973) ou encore en
étant sélectionné à Cannes en 1983 pour Appassionata.
Sayuri, strip-teaseuse est un film
emblématique de son approche avec ce mélange d’esthétique stylisée et très
brute au service d’une œuvre féministe où la provocation sexuelle est synonyme
d’acte politique.
Comme dans nombre de ses films, Kumashiro s’intéresse aux
bas-fonds avec ici un curieux objet mettant en lumière la vraie strip-teaseuse Sayuri
Ichijo. Celle-ci fut une figure à scandale du Japon des années 70 par ses
spectacles provocateurs où elle transgressait notamment le fameux tabou local
interdisant de montrer ses poils pubiens. Cela (en plus de son attrait pour le sadomasochisme)
lui valut quelques démêlées avec la justice et ce premier film de celle qu’on
surnommait « la reine du désir humide » est ainsi un vrai
prolongement de sa popularité d’alors. Assez inclassable, le film n’est pas un
biopic (bien qu’évoquant des épisodes réels de la vie de Sayuri Ichijo) mais
évoquerait plutôt un ancêtre du Show
Girls (1995) de Paul Verhoeven qui en plus de l’inspiration du All About Eve (1950) de Joseph L.
Mankiewicz a peut-être aussi vu le film de Tatsumi Kumashiro.
Nous allons ainsi assister à une féroce rivalité dans une
boite de strip-tease du quartier d’Osaka entre Sayuri Ichijo (qui joue donc son
propre rôle) et la nouvelle venue Harumi (Hiroko Isayama). Obsédée par sa
rivale déjà installée, Harumi s’invente un passé similaire tout en essayant de
calquer ses performances sur celle de Sayuri. Ce comportement trahi l’absence
d’identité d’Harumi qui se prolonge par son rapport soumis au hommes la voyant
s’acoquiner à un ancien détenu violent ou un gangster dominateur. A l’inverse
Sayuri semble bien plus insoumise, répondant aux attaques publiques de ses
détracteurs (cet homme qui l’alpague violemment sur son métier) et dont les
déboires judiciaires rythment le film. C’est par l’illustration de leurs
performances scéniques que Kumashiro situera le fossé séparant la prétendante
et la vraie artiste. Sayuri Ichijiro délivre une prestation incroyablement
libérée et provocatrice mêlant danse traditionnelle, sadomasochisme et
attouchements lascif.
Les éclairages baroques confèrent un érotisme vénéneux
aux tortillements fiévreux de son corps, la scène devient un espace mental
célébrant l’abandon et le plaisir ressenti par Sayuri dans de longs plans
séquences où son plaisir semble non feint et où le public reste invisible. S’il
y a bien des spectateurs pour assister à ce spectacle sulfureux et si Sayuri
est heureuse de les émoustiller, le plus grand plaisir est incontestablement
pour elle sur cette scène où elle est une reine.
Harumi n’aura pas droit au
même traitement avec un show lesbien nettement plus racoleur et simulé (les
deux partenaires se disputant à peine sorties de scène) et où cette fois la
caméra s’attarde sur le regard concupiscent du public masculin. Sayuri
s’abandonne réellement et c’est cette offrande qui lui attire faveurs comme
déboires malgré elle alors que Harumi est dans le calcul, la recherche de notoriété.Le réalisateur fait d’ailleurs de Sayuri une figure inaccessible
qui n’existe et ne vit que quand elle est sur scène (elle n’aura guère de
conversation lors de sa seule vraie rencontre avec Harumi), une artiste opaque
qui doit conserver son mystère.
A l’inverse Harumi est longuement suivi dans
son quotidien au rythme de ses amants et arrestations policières. Le personnage
certes moins fascinant y est néanmoins attachant par cette proximité maladroite répondant à la
distance qu’impose Sayuri. La narration décousue et sans fil conducteur ne
laisse deviner que progressivement ses enjeux à travers le style chaotique de
Tatsumi Kumashiro. Le portrait de Sayuri est fascinant car opaque et déférant à
la fois, sa rivale étant émouvante par sa maladresse. Les corps même des deux
héroïnes trahissent cette différence, la silhouette malingre et le visage
poupin de Harumi faisant pâle figure face aux formes généreuses et au charisme de Sayuri, sorte de Brigitte
Bardot japonaise.
Jusqu’au bout l’une sera vu sous un angle décalé et
humoristique tandis que l’autre imposera une présence hypnotique. Les adieux à
la scène de Sayuri offriront donc une ultime séquence mémorable que Kumashiro
met en montage alterné avec les facéties d’Harumi en ville. Si cette fois les
spectateurs de Sayuri sont visibles, c’est pour les montrer bouche bée et
au-delà de la simple concupiscence face à l’artiste quand le libidineux
ordinaire reprendra ses droit avec l’arrivée d’Harumi qu’ils cherchent
immédiatement à toucher. Le strip-tease relèvera donc de l’art ou du racolage
selon l’interprétation, Kumashiro célébrant la féminité dans ce qu’elle a de
plus sincère et rebelle. Une œuvre déroutante.
Sorti en dvd zone 2 français chez Zootrope/Ciné Malta
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