Ophtalmologue réputé
et vieillissant, Judah Rosenthal cache à sa femme Miriam sa liaison avec
Dolores, dont il supporte de moins en moins les exigences. Cliff Stern est un
documentariste sous-employé, dont les quatre beaux-frères connaissent une
carrière brillante. Alors qu'il entreprend un documentaire sur Lester, l'un
d'entre eux, son destin croise celui de Judah...
Woody Allen signe là sa variation toute personnelle et
caustique du Crime et Châtiment de Dostoïevski.
Le conflit moral de Dostoïevski se divisera en deux chez le réalisateur, une
variante ouvertement dramatique et l’autre plus légère questionnant à chaque
fois les idéaux des protagonistes. D’un côté nous avons Judah Rosenthal (Martin
Landau) brillant ophtalmologue, père de famille heureux et éminence de sa
communauté. Il entretient pourtant depuis de plusieurs années une liaison avec
Dolores (Anjelica Huston), une maîtresse névrosée se faisant de plus en plus
pressante et menaçant de tout révéler à sa femme. Son univers manque ainsi de s’effondrer
d’autant que Dolores est au courant de certaines de ses opérations financières
douteuses. Deux choix s’offrent à lui, la franchise et tout avouer à son épouse
ou un autre plus radical pour lequel son frère Jack (Jerry Orbach) aux
relations douteuses, pourrait l’aider à sa manière.
Versant plus léger nous auront Cliff (Woody Allen)
réalisateur idéaliste de documentaire sans travail et malheureux dans son
mariage. Une promesse de jours meilleurs s’offre à lui lorsqu’il devra faire le
portrait flatteur de son beau-frère Lester (Alan Alda) affreux producteurs
cynique et arriviste totalement à l’opposé de ses idéaux. Là aussi l’argent et
les opportunités professionnelles en vue s’opposeront à la conscience
artistique de Cliff, d’autant plus quand il tombera amoureux de sa productrice
Halley (Mia Farrow) que Lester poursuit de ses assiduités.
Le Raskolnikov de
Dostoïevski se voit ainsi revisité dans son conflit moral à travers les deux
situations, Judah représentant le versant criminel et celui du remord tandis
que Cliff évoquera lui l’ambition et la quête d’élévation sociale. On prend au
départ plus au sérieux la dimension existentialiste des mésaventures de Judah
(magnifiquement interprété par un Martin Landau fébrile) qui poussé à bout va
commettre l’irréparable. Le remord fait ainsi ressurgir l’éducation religieuse
qu’il a toujours reniée, le poussant à une introspection permettant à Allen de
déployer une magnifique scène onirique où plane l’ombre de son mentor Ingmar
Bergman. Le flashback dans sa maison d’enfance rappellera donc à Judah ce
conflit vivace entre conscience et cynisme, l’idée reprenant une séquence
identique dans Les Fraises sauvages
(1957).
Le personnage perd pied, hanté par ce qu’il a commis mais finalement ce
rongement intérieur relève plus de la peur superstitieuse du divin que d’une
vraie culpabilité. Le temps passant et l’absence de conséquence de ses actes
avec, il s’en accommodera pour poursuivre sa vie avec plaisir. Une issue qui
annonce le mémorable Match Point
(2005) et contredit la rédemption présente chez Dostoïevski qui pouvait naître
par l’amour. Le cynisme contemporain et la fin des utopies religieuses (le
gangster et le rabbin constituant les anges et démons guidant les sentiments de
Judah, explicite dans une scène clé) semblent pourtant rendre une telle issue impossible pour un Woody Allen
désabusé.
Le réalisateur croit pourtant en la droiture et à compassion
de l’humain à travers le personnage de Cliff. Risquant finalement peu et
pouvant gagner énormément en cédant à l’arrivisme, Cliff s’aliène pourtant son
entourage en ne bafouant pas ses idéaux. Le sérieux de l’intrigue de Judah nous
amenait vers un constat ironique tandis que de la légèreté de la trame de Cliff
(baigné de cet humour juif qui est à la fois le plus drôle et le plus désespéré) nait finalement le vrai drame du récit. La carrière et l’amour se dérobe à
celui qui aura su rester juste, la conclusion nous offrant une séquence
magnifique lorsque Cliff recroise Halley après leur longue séparation.
L’interprétation
est d’ailleurs complexe quant à cette conclusion. La sens moral ne naît plus d’une
destinée guidée par une force supérieure dont on doute désormais de l’existence,
empêchant du coup une conclusion « juste » façon Une place au soleil (1951) que Allen revisitera à rebours dans Match Point. Seul compte l’individu et
sa conscience propre mais la vertu le condamnera alors à la solitude. Un des
très grands Woody Allen.
Sorti en dvd zone 2 français chez MGM
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