Manuela vit aux Caraïbes. Elle est
promise au richissime maire de la ville mais n'en a cure ; elle rêve
d'aventure et de dépaysement et son héros est le redoutable pirate
Macoco. Un saltimbanque, tombé amoureux de Manuela, va utiliser ses
talents d'acteur, se faire passer pour ce pirate afin de se faire aimer
d'elle...
Vincente Minnelli signe avec Le Pirate
une œuvre paradoxale, constituant une de ses plus étourdissantes,
ambitieuse et novatrices comédie musicale mais aussi une des plus
incomprise et qui sera un échec commercial. Le film adapte la pièce
éponyme de S.N. Behrman qui fut un des grands succès à Broadway
lorsqu'elle y fut jouée à partir de 1942. L'interprétation qu'y
effectuaient Alfred Lunt et Lynn Fontanne dans un mélange des genres
qui en faisait un spectacle total (numéro de funambule, vaudeville et
commedia Del Arte s'y mélangeant joyeusement) qui serait une grande
influence pour transposition, Gene Kelly calquant grandement son jeu sur
celui d'Alfred Lunt. La MGM en acquiert rapidement les droits mais
l'adaptation sera de longue haleine (le mélange des genres s'avérant
complexe à mettre en forme) et passera entre de nombreuses mains dont
Joseph L. Mankiewicz mais le projet prend son envol avec l'arrivée du
producteur Arthur Freed.
Maître de la comédie musicale au sein de la MGM
(fort des succès du Le Chant du Missouri (1944), Yolanda et le Voleur (1945)
entre autres...), Freed aura carte blanche et va réunir une véritable
dream team à la réalisation, au casting et à la partition : Vincente
Minnelli, Gene Kelly, Judy Garland et un Cole Porter qui avait là
l'occasion de se relancer après quelques échecs et une popularité en
déclin. L'un des problèmes des scénarios initiaux était d'avoir au fil
des réécritures dénaturé la fantaisie du personnage de Serafin (Gene
Kelly) à l'origine un amuseur cabot se faisant passer pour un redoutable
pirate et qui devenait un bandit maquillé en acteur (un Scaramouche en
somme). Vincente Minnelli, féru de ses jeux de faux-semblants dans Yolanda et le Voleur
notamment va ainsi emmener le film entier dans cette dimension rêvée
qui annonce déjà les séquences oniriques des chefs d'œuvres à venir (Un Américain à Paris (1951), Brigadoon
(1954)). Le tournage se fera entièrement en studio, le réalisateur
créant un véritable univers fantaisiste et décalé avec ces Caraïbes
bariolées et factices pour une parodie très stylisée du film de pirate.
Tout
le film fonctionnera sur ce jeu d'enchevêtrement entre le mensonge et
le fantasme, tous les personnages s'ornant d'un masque inconscient ou
pas masquant leur vraie nature et aspiration. Manuela (Judy Garland)
jeune fille promise à une vie ennuyeuse par son mariage arrangé avec le
maire Don Pedro (Walter Slezak) ne rêve que d'aventures et de voyages
lointain, son idéal étant le légendaire pirate disparu Macoco. Ces idées
romanesques, elle ne les exprimera que dans son intimité tout en
suivant la mort dans l'âme le destin tout tracé par sa famille. La
rencontre avec le saltimbanque Serafin (Gene Kelly) va venir tout
bouleverser, ce dernier par son bagout et sa séduction agressive
révélant les élans fougueux de Manuela.
Cela s'exprimera ouvertement
mais néanmoins de façon subtile tant que l'on reste dans la "réalité"
(son agacement de façade ne l'empêchant d'aller au spectacle de Serafin)
puis inconsciemment avec cette scène d'hypnose amenant une
étourdissante et sensuelle chorégraphie sur la chanson Vaudou.
Mouvement survolté et torride (qui forceront MGM à faire retourner la
scène au départ trop osée dans le jeu d'une Judy Garland en pleine
dépression durant le tournage) et éclairages ténébreux renforceront la
tension érotique de la séquence où le désir ne peut se manifester que
par l'artifice mental et visuel. Logiquement quand Manuela prendra
Serafin pour Macoco (ce dernier ce faisant passer pour le mythique
pirate afin de la séduire) le film reprendra cette esthétique en plus
grandiloquent encore lorsqu'elle l'observera à travers ce regard
fantasmé. Cela donnera l'étourdissante séquence du Pirate Ballet
où Gene Kelly offre une présence véloce, virile et sensuelle à la fois
du pirate avec en toile de fond un décor baroque et infernal où se
rejouent scénettes tapageuses de piraterie.
Les scènes de rêves
et/ou d'hypnose offrent ainsi une féminité/masculinité exacerbée du
couple incapable de l'exprimer dans la réalité. Manuela ne s'acceptera
en femme aimante que sous hypnose et Serafin doit se faire passer pour
Macoco pour être digne de séduire Manuela. En poussant cette illusion
dans ces derniers retranchements, le film bascule dans la farce et
humanise ainsi son couple qui peut enfin se rapprocher. On pense à ce
moment où les masques tombent après une longue scène de séduction forcée
qui bascule dans une mémorable dispute où Judy Garland dévaste un décor
entier en balançant foule d'objet à Gene Kelly.
La féminité de Manuela
peut enfin s'exprimer dans le réel et par l'outrance (tordant moment où
elle se pomponne tout en simulant l'affliction auprès des villageois),
Judy Garland était étincelante de vivacité dans la comédie. Pour Gene
Kelly cette dualité s'exprime par le côté félin et bondissant de Serafin (mémorable numéro Nina en ouverture)
tandis qu'il impose une présence plus inquiétante en Macoco, le côté
cabot (et finalement peu sûr de lui et attachant) liant ces deux
identité et provoquant l'hilarité. Les claquettes n'existant pas à
l'époque dépeinte par le film, cela permet à l'acteur d'exploiter tout
un registre bien plus varié qu'il n'avait guère eu l'occasion de mettre
en valeur et permis par les ambiances musicales inédites.
Le
final offre un vertigineux aboutissement de ces thématiques, la
révélation par l'artifice étant implicite pour le couple désormais
complice dans l'illusion et servira au contraire à démasquer un
personnage extérieur, en l'occurrence Don Pedro (génial Walter Slezak
qui tout méchant qu'il soit parvient au final à toucher dans son
mensonge). Le tout se conclura sur un tonitruant Be a Clown,
chanson amusée exprimant par son texte et l'image l'acceptation de leur
masque et de l'attrait commun pour la fantaisie de nos amoureux. Trop
insaisissable et en avance sur son temps pour le public d'alors, The Pirate
sera pourtant un inattendu et injuste échec au box-office à sa sortie.
Reconsidéré mais toujours discuté aujourd'hui, un classique à réévaluer
donc !
Sorti en dvd zone 2 français chez MGM
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