Le MI6 reçoit un
message d'une secrétaire russe du consulat soviétique à Istanbul, Tatiana
Romanova, qui leur propose de leur apporter une machine de déchiffrement
"top secret" appelée Lektor, à condition qu'on l'aide à fuir à
l'Ouest. En réalité, elle a été engagée sans le savoir par Rosa Klebb, membre
important du SPECTRE et ancien colonel du KGB, afin d'éliminer James Bond, qui
est la cause de la chute d'un de leurs meilleurs éléments, le docteur No. La
nouvelle mission de James Bond s’annonce bien plus complexe et dangereuse que
la précédente...
Durant le tournage de Dr No (1962), Cubby Broccoli et Harry Saltzman envisagent déjà en cas de
succès de faire de Bons baisers de Russie
la seconde aventure de James Bond. Si Dr
No était le roman de Ian Fleming le plus facile à adapter pour un galop d’essai,
le choix de Bons baisers de Russie est logique puisque le roman facilita
indirectement le financement du premier film lorsqu’il figura parmi les dix livres
favoris de John Kennedy dans le magazine Life.
L’accueil positif (mais encore loin de la Bondmania qui verra le jour après Goldfinger) aura donc conforté les deux
producteurs et l’équipe du premier film est reconduite avec un budget doublé,
Terence Young à la mise en scène et bien sûr Sean Connery en Bond et même si
quelques éléments clé se désisteront pour cet épisode. Stanley Kubrick impressionné
par les décors de Dr No engagera en
effet Ken Adam pour créer la salle de contrôle de Docteur Folamour (1964), Syd Cain le remplace avec brio notamment sur la superbe salle de jeu d'échec.
On sait que Ian Fleming rêvait d’Alfred Hitchcock pour transposer
son héros à l’écran et cette influence n’aura jamais été aussi prégnante que
sur Bon baisers de Russie, surtout sa
deuxième partie lorgnant ouvertement sur La
Mort aux trousses (1959). Le scénario de ce Bond est celui se rapprochant
le plus d’un film d’espionnage classique. Le principal changement par rapport
au roman sera de détourner la pure trame de Guerre Froide de ce dernier (afin
de ne pas se mettre à dos les russes), les services secrets russes et
britanniques étant manipulés par la tentaculaire organisation du SPECTRE
introduite dans Dr No. L’appât sera
le Lektor, une machine de décodage russe que se propose de livrer l’agent russe
Tatiana Romanova (la beauté élégante de Daniela Bianchi) en échange d’un
passage à l’Ouest, le SPECTRE par cette manœuvre cherchant à s’approprier l’objet
et le revendre au plus offrant. Un scénario (signé Richard Maibaum et Johanna Harwood déjà à l’œuvre
sur Dr No) complexe que Terence Young
parvient à rendre limpide par sa narration habile.
Le monde ordinairement
glacial de l’espionnage au cinéma se pare d’un aspect ludique tout en demeurant
très rigoureux et loin de la démesure à venir. La longue introduction nous fera
ainsi découvrir plus avant le fonctionnement du SPECTRE (chaque épisode suivant
introduisant un sbire de plus en plus haut placé de l’organisation criminelle)
qui en plus de ses noirs desseins désire plus que tout se venger de Bond comme
le montrera le pré-générique (première scène du genre dans la saga) inquiétant.
Encore seulement nommé Numéro 1, le redoutable Blofeld se résume à des mains
caressant un chat persan et une voix aussi posée qu’inquiétante face à laquelle
tremble même la redoutable Rosa Klebb (Lotte Lenya). La frêle silhouette de l’actrice
(surtout connue pour ses performances à Broadway et en tant qu’épouse de Kurt
Weil) sied à merveille à ses attitudes rigides, sa présence
hargneuse constituant une menace complémentaire à celle physique de l’intimidant
Red Grand (Robert Shaw).
En plus de ces méchants hors-normes, l’autre aspect ludique
est amené par la ville d’Istanbul. Les cités turques servent décidément bien
les trames d’espionnage puisque après Ankara dans le chef d’œuvre de Mankiewicz L’Affaire Cicéron (1955), Istanbul s’avère
un cadre tortueux dont l’allure touristique n’est qu’un reflet illusoire au jeu
de dupes que constitue l’intrigue. Les ruelles bondées sont le théâtre de
filatures consenties entre services secrets, les beaux monuments comme les
mosquées servent à faire des transactions discrètes et les sous-sols recèlent
des passages secrets permettant d’aller surveiller son voisin - Red Grant
semant la mort sans un mot ajoutant une dimension inquiétante à tous ces lieux
traversés. Hormis la scène d’action dans le camp de gitans, toutes les scènes
furent tournées à Istanbul même et sans forcément retrouver l’atmosphère
exotique de Dr No la ville s’avère un
vrai personnage à part entière. La truculente prestation de Pedro Armendáriz
(dont ce fut le dernier rôle il se suicidera alors qu’il souffrait d’un cancer
en phase terminale) en Kerim Bey ajoute encore à ce plaisir.
Sean Connery reprend le rôle avec un égal panache, incarnant
un Bond encore plus outré dans sa dimension de jouisseur machiste (les deux
gitanes avec lesquelles il passent la nuit, une étant d’ailleurs incarné par
Martine Beswick qui reviendra avec un rôle plus consistant dans Opération Tonnerre (1965)), d’homme du
monde et de tueur impitoyable (voir comme il n’oublie pas de reboutonner sa
veste après le féroce combat avec Red Grant). L’érotisme est d’ailleurs bien
plus prononcé et ce dès le générique où les crédits apparaissent sur des formes
féminines rebondies et en mouvement, la première rencontre à l’horizontale avec
Tatiana Romanova (qu’on entraperçoit se glisser nue dans le lit de Bond) et la
grande tradition des blagues salaces à double sens de notre héros.
Tatiana: I think my
mouth is too big.
James Bond: I think
it's a very lovely mouth. It's just the right size - for me that is.
Tout ce jeu a pourtant un prix et la mort sera au bout comme
le démontrera la tension de la seconde partie contrebalançant le plaisir
initial. Le sommet sera atteint lors d’une des scènes d’anthologie de la saga,
le face à face entre Bond et Red Grand où la vivacité de la mise en scène de
Terence Young s’harmonise à merveille au montage heurté de Peter Hunt - Robert Bresson, aux antipodes de ce cinéma se montrera d'ailleurs admiratif du montages des James Bond. Toutes
les scènes d’actions du film fonctionnent d’ailleurs selon cette approche
novatrice, au départ pour corriger les imperfections techniques et le retard de
la production causant l’absence de nombreux plans raccords puis pour devenir un
style à part entière des premiers Bond qui renouvèle ainsi le cinéma d’action.
Même les gadgets ne s’avèrent pas encore trop envahissant (Desmond Llewelyn s’installant
dans le rôle de Q même s’il apparaissait déjà dans Dr No) avec cette valise
servant bien le suspense du train.
Le score de John Barry sait se faire
romantique (le main theme de la chanson titre entêtant), percutant dans l’action
avec le fameux morceau 007 et le
James Bond Theme s’installe définitivement dans l’inconscient collectif. La
filiation avec La Mort aux trousses s’affirment
définitivement lors du spectaculaire final où Bond est traqué par un
hélicoptère, la suite amenant la première grande course poursuite en hors-bord.
Ce virage de l’espionnage feutré tout en suspense psychologique vers la
pyrotechnie annonce déjà les changements à venir dans la saga. Le succès de ce
nouvel opus permettra donc l’arrivée de la vraie démesure avec Goldfinger (1964).
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Fox
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