Paris en 1908. Ruggles
est le valet de chambre anglais du comte de Burnstead. Lors d'une soirée
arrosée, le comte joue au poker avec un couple d'américains et « perd » Ruggles.
Le valet se voit bien malgré lui obligé de suivre les Floud, ses nouveaux
patrons, aux États-Unis. Après le choc des cultures, il va prendre goût à
l'égalité des conditions que lui propose la société américaine.
L'Extravagant Mr
Ruggles constitue le premier grand film de Leo McCarey, celui où son génie
comique s’entremêlera habilement à une fable sociale à la Capra. McCarey, passé
à la réalisation en 1929 avait déjà remporté plusieurs succès commerciaux mais
où il était le plus souvent l’illustrateur en retrait de personnalités
comiques hautes en couleur : les Marx Brothers dans Soupe au canard (1933), W.C. Fields pour 'Six of a kind (1934), Mae West sur Ce n’est pas un péché (1934) ou encore Harold Lloyd sur Soupe au lait (1936). L'Extravagant Mr Ruggles mélange ainsi
l’énergie comique et la veine dramatique engagée qui fera le sel des réussites
à venir. Le film est la troisième adaptation du roman éponyme de Harry Leon
Wilson parut en 1915 après celles muettes de 1918 et 1923.
Dans les premières œuvres de McCarey, l’énergie naissait
d’un mélange habile entre l’humour, l’émotion et le monstrueux à travers les
personnalités comiques mises en scène (on peut ajouter Laurel et Hardy à celles
précitées qui travaillèrent avec le réalisateur). Le facteur émotion parvient à
s’ajouter harmonieusement pour la première fois avec L'Extravagant Mr Ruggles car ce croisement sert l’histoire et non
plus une vedette à mettre en valeur qui vampiriserait le récit. Mr Ruggles
(Charles Laughton) valet de chambre dévoué auprès du comte Burnstead (Roland
Young) depuis des générations a la surprise de découvrir que son maître l’a
joué et perdu au cours d’une partie de poker arrosée.
Les gagnants ? Effie
(Mary Boland) et Egbert Floud (Charles Ruggles, truculent) un couple de nouveau riche
américain, l’épouse très snob souhaitant inculquer un semblant de bonnes
manières à son mari au contact du valet. Le film se divise en deux parties, la
première étant située en Europe, à Paris. McCarey y joue donc de l’opposition
entre les rustres américains et la sophistication du Vieux Continent. Là encore
on jouera sur cet équilibre entre monstruosité et tendresse.
Egbert est ainsi
une quasi caricature de « hillbilly » avec ses costumes criards à
carreau, sa moustache épaisse et son timbre de voix vociférant, le summum étant
atteint lorsqu’il croise un ami de sa ville en plein Paris et de joie se met à
hurler divers cris d’animaux). Effie dans ses tentatives de respectabilités est
tout aussi ridicule, minaudant et plaçant un mot de français d’un air pincé dès
qu’elle le peut. Ruggles est rapidement dépassé mais il ne le sait pas encore,
il aura plus à apprendre de ses nouveaux maîtres péquenauds que l’inverse.
Egbert n’a que faire de l’étiquette et traite Ruggles en égal, ce dernier se
déridant peu à peu et c’est par le gag que cela se manifestera d’abord à la
suite d’une cuite mémorable. Charles Laughton offre un contraste parfait entre
son attitude rigide et son visage rondouillard ne demandant qu’à se montrer
plus jovial et lorsqu’il lâche prise pour la première fois sous l’emprise de l’alcool
on jubile de voir l’armure se fissurer.
La seconde partie se déroulera dans le « Nouveau Monde »
en Amérique et plus précisément dans la petite ville de Red Gap. Le rigorisme
et l’opposition de classe a certes perdurée à travers quelques personnages
guindé comme l’infâme Belknap-Jackson (Lucien Littlefield) mais cette terre
sera celle de l’émancipation pour Ruggles. L’accueil viril, tendre et
chaleureux des locaux le traitant comme leur égal vont lui faire prendre
conscience que lui aussi est « quelqu’un ». La dévotion et l’oubli de
soi du valet peut laisser place aux aspirations de l’homme (notamments ses amours alors que cet effacement le rendait asexué au départ) dans ce monde de
tous les possibles, l’Amérique. McCarey amène cet éveil avec énergie et
spontanéité, ce sentiment d’appartenance se traduisant en deux scènes
magistrales.
D’abord celle où les locaux s’interrogent sur la nature du
discours de Lincoln sur l’égalité lors de la bataille de Gettysburg pour
appuyer la conviction de Ruggles. La caméra traverse l’ensemble du bar sans qu’aucun
des américains natif ne sache le contenu du discours et c’est Ruggles (comme
souvent c’est l’étranger reconnaissant à sa terre d’accueil qui en connaît le
mieux l’histoire) qui va le déclamer avec solennité magnifiquement servi par le
timbre habité de Charles Laughton. La seconde manifestation d’indépendance
interviendra lors du final où pris de haut une fois de trop par
Belknap-Jackson, Ruggles va se rebiffer avec énergie. Le domestique n’est plus
et les dogmes de la vieille Europe avec, c’est un américain libre de sa
destinée.
Sorti en dvd zone 2 français chez Bac Films
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