Fuyant la guerre
civile au Sri Lanka, un ancien soldat, une jeune femme et une petite fille se
font passer pour une famille. Réfugiés en France dans une cité sensible, se
connaissant à peine, ils tentent de se construire un foyer.
Un peu comme dans De rouille et d'os (2012), la peur du vide de Jacques Audiard aura fini par gâcher ce prometteur Dheepan.
Déjà dans De rouille et d'os le pathos lourdaud et l'ajout d'éléments
annexes finissaient par diluer l'intérêt principal, le rapprochement entre la
brute épaisse et handicapé sentimental et l'handicapée physique jouée par
Marion Cotillard. Malgré la prestation magnifique de son couple, le film par
ses maladresses évoquait une version sans nuance de Sur mes lèvres. Là
tout l'intérêt de Dheepan repose sur la construction et le rapprochement
de cette famille improvisée dans l'adversité, le vrai amour (filial comme
conjugal) naissant de la cohabitation forcée.
La difficulté d'apprendre à se connaître et s'aimer pour le
trio mari, femme et enfant de fortune se conjugue à l'environnement inconnu, la
perte de repère face à la langue et culture différente qui se ressent avec une
justesse rare. L’approche intimiste d’Audiard fait merveille, l’apprivoisement
de cette famille n’ayant rien de manichéen, Dheepan ancien exécutant des basses
besognes durant la guerre civile au Sri Lanka ou cette « mère » peu
aimante devant apprendre par le quotidien à se lier d’affection et être des
parents pour la fillette de 10 ans.
Toute la première partie avec ce cadre de
cité HLM inquiétante fonctionne bien tant que cela reste en arrière-plan, l’incompréhension
face à l’étranger causant autant d’anxiété que cet environnement urbain sordide
dont il est un reflet. Dès que la menace se fera plus concrète, le film s'écroulera
dans la dernière partie. Il est sous-entendu que le personnage de Dheepan a
fait des choses pas très propres durant la guerre au Sri Lanka et l'intérêt du
changement et de ses nouvelles responsabilité aurait été au contraire de ne plus
le faire céder à cette violence.
C’est l’inverse
ici avec cette atmosphère de guérilla urbaine et zone de non droit qui est une
incitation au réveil du guerrier. Le glissement du drame intimiste vers le film
de genre était tellement plus subtil et justifié dans Sur mes lèvres (2001), Un prophète (2009) ou De battre mon cœur (2005) s'est arrêté. La recherche d’émotion
se déleste de la rigueur scénaristique des grandes réussites du cinéaste et le
final cède au film de vigilante malvenu (où sur ce registre croisant réalisme
social et vendetta typique du film de genre un Harry Brown (2011) s’en sortait
mieux) jurant avec la finesse qui a précédée. Les belles idées formelles (l’assaut
de Dheepan dans poussière des balles évoquant un théâtre de guerre) ne saurait
rattraper la lourdeur du propos, renforcé par un épilogue idyllique en
Angleterre où c’est bien connu il n’y a pas de cité craignos et de racailles en
survêtement.
En salle
Bonsoir,
RépondreSupprimerVotre texte est passionnant! Par contre, j'ai très largement préféré la seconde partie.. D'ailleurs, même si elle était courue d'avance, la fin m'a bien plu. C'est un peu la fin que j'aurais souhaité pour "De battre mon coeur s'est arrêté" (que je trouve ratée) .
La construction d la seconde partie reprend en fait la structure de pas mal des meilleurs films d'Audiard notamment "Sur mes lèvres" avec le basculement vers le film de genre qui sert d'épreuve indispensable au rapprochement final des héros. Mais là je trouve vraiment cela abruptement amené alors que le scénario était limpide pour introduire cet aspect dans ses meilleurs film. C'est pareil du coup pour la fin apaisée, on l'attend et ça pourrait être satisfaisant si ce n'était pas aussi grossier. Je n'ai pas eu de problème avec la description de la banlieue alors que ça revient souvent dans les critiques, ce n'est pas forcément pensé comme réaliste ou politique (la prison tel que dépeinte dans "Un Prophète" n'est pas forcément réaliste mais ça fonctionne) mais le scénario maladroit et les raccourcis finissent par ramener la question c'est dommage. Audiard pensait revoir son montage après Cannes pour éviter les flous mais au vu de la Palme d'or il a préféré sortir le film tel qu'il a été récompensé. Il aurait peut être dû.
RépondreSupprimerMalgré les réserves j'ai quand même apprécié (la première partie en tout cas) et nettement préféré à De rouille et d'os. En tout cas on ne peut pas l'accuser de ne pas prendre de risques.