Marion (Gena
Rowlands), la cinquantaine, est professeur de philosophie en congé sabbatique.
Elle loue un pied-à-terre pour achever au calme l’écriture de son roman. Par le
truchement d’une bouche d’aération, elle surprend la conversation entre une
jeune femme (Mia Farrow) et son psychanalyste. Troublée par le désespoir de la
jeune femme, Marion décide de la suivre, puis de la rencontrer. Cette rencontre
l’amènera à s’interroger sur sa vie et sa relation aux autres.
Another Woman s’inscrit
dans la veine Bergmanienne de Woody Allen qui, de Intérieurs (1978) à Crimes et délits (1990) en passant par Comédie érotique d’une nuit d’été (1982) accompagna toutes sa filmographie des 80’s.
Another Woman constitue un hommage
explicite à Les Fraises sauvages
(1957) avec là également l’introspection d’un personnage à un moment clé de sa
vie. Si le vieillard du classique de Bergman posait un regard attendri,
nostalgique et lucide sur son passé, le bilan que fera la cinquantenaire Marion
(Gena Rowlands) sera nettement plus douloureux.
En apparence Marion a tout pour être heureuse entre un
second mariage réussi et une brillante carrière de professeur de philosophie. Alors
qu’elle écrit son prochain roman dans un appartement loué en ville, un défaut d’isolation
lui fait entendre les confessions des patients de son voisin psychanalyste. L’une
d’entre elle va l’interpeller par son mimétisme avec sa propre existence avec
le mal-être d’une jeune femme (Mia Farrow). Alors que l’inconnue est bien
consciente de ses névroses, l’expérience sert de révélateur pour Marion se
confrontant à sa froideur, son intellect lui faisant réfréner toute émotion.
Entre vrais souvenirs et rêveries ainsi qu’une réalité cruelle, les
conséquences passées, présentes et futures du caractère de Marion vont s’imposer
à elle.
Sa froide détermination lui aura toujours fait prendre la place d’un
autre : son frère moins doué pour les études négligé par ses parents, l’ex-épouse
de son mari qui la trompa avec elle durant de long mois d’adultère ou encore sa
meilleure amie d’enfance jamais remise d’un amoureux qu’elle lui ravit sans
même s’en rendre compte. Ce regard froid sur le monde s’avère détaché et
superficiel (on s’étonnera de sa participation à tant d’association caritatives
quand elle se montrera si peu compatissante envers son entourage) altère
également son rapport à ses proches, peu enclin à se confier face à ses
jugements de valeur impitoyable (sa belle-fille l’admirant tout en craignant
ses opinions). Son mariage sera l’élément le plus emblématique de cet état, son
époux Ken (Ian Holm) étant un vrai égoïste qui s’assume et auquel elle semble
bien assortie.
Le film dessine ainsi progressivement l’éveil de Marion,
prenant enfin conscience du vide de son existence et des occasions manquées
(belle romance fugace avec Gene Hackman) conséquence de son attitude. Woody Allen
évite le côté pesant d’Intérieurs, fragmentant
ce voyage intime dans une narration flottante. Le fil rouge sera la voix-off de
Marion, reflet discret de son caractère secret puisque l’émotion des images
devancera plus d’une fois celle plus contenues de la voix-off n’osant admettre
son dépit. Allen se montre d’une invention constante pour traduire par l’image
et les situations le mal-être que n’ose s’avouer Marion.
Des photos d’enfances
prendront vie pour refaire vivre des instants douloureux, une séquence de rêve
fait dire à ses amis les vrais sentiments qu’ils ont pour elle et parfois sans
artifice narratif Marion s’avère carrément omnisciente sur les échanges amers
de ses proches à son sujet. Cet aspect morcelé du récit dissémine ainsi les
informations au fil de l’aveu qu’ose se faire Marion, les actes les plus cruels
mais aussi les déceptions les plus profondes se révélant par la bouche d’une
autre.
L’apaisement des images se conjuguera à celle de cette voix intérieure
uniquement dans la dernière scène, lorsqu’elle sera enfin en paix. L’atmosphère
automnale et intimiste lorgne bien évidemment sur Bergman (la photo est signée Sven
Nykvist, directeur photo emblématique d’Ingmar Bergman) mais Woody Allen parvient
à en donner une interprétation réellement personnelle. Une œuvre méconnue et envoutante
d’Allen, portée par une Gena Rowlands magnifique. Et au passage c'est le 1500e texte de ce blog !
Sorti en dvd zone 2 français chez MGM
Mon film préféré de Woody Allen :-)
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