Héritier éloigné de la
maison ducale d'Ascoyne-Chalfont, Louis Mazzini élimine successivement, par des
méthodes aussi variées qu'inventives, tous les prétendants qui le séparent du
titre, avant finalement de tuer le duc lui-même lors d'une partie de chasse, en
maquillant l'assassinat en accident. Le soir où il est enfin proclamé duc, un
officier de police vient l'arrêter pour un meurtre qu'il n'a pas commis, celui
du mari de sa maîtresse. Condamné à mort, il écrit dans sa cellule de prison
des mémoires où il relate ses crimes réels.
Très loin de se résumer à la performance multiple d’Alec Guinness
qui y joue huit rôles, Kind Hearts and
Coronets est un des chefs d’œuvres du studio Ealing et un grand classique
du cinéma anglais. Sorti la même année que Passeport pour Pimlico, le film incarne avec celui-ci le grand virage du studio vers
la comédie caustique fustigeant la société anglaise. Pourtant Noblesse Oblige par son amoralité, la
virulence du propos et sa manière de bousculer absolument toutes les valeurs
anglaises détone même par rapport à d’autres productions Ealing qui suivront. Le
film sort durant les difficiles années d’après-guerre où le pays se reconstruit
et souffre encore des privations, ces valeurs et cette identité anglaise ayant
justement constitués un socle afin d’unifier le peuple face à l’adversité. Noblesse Oblige vient bousculer cet état
d’esprit avec son héros au froid individualisme, symbole de ce que la guerre a
bousculé à savoir l’impitoyable système de classe de la société anglaise.
Un
retour à cette injustice est impossible et Robert Hamer, certainement le
réalisateur Ealing aux préoccupations sociales les plus marquées (se souvenir
de son remarquable Il pleut toujours le dimanche (1947)) s’avère le plus indiqué pour donner un coup de pied dans
la fourmilière. Le film s’inspire du roman Israel
Rank: the autobiography of a criminal de Roy Horniman paru en 1907. Le scénario
reprend le postulat ainsi que le cadre de l’Angleterre édouardienne (symbole d’une
injustice remontant loin dans l’histoire du pays) mais effectue plusieurs
changements majeurs. Le héros meurtrier du roman était à moitié juif et cette
caractéristique pouvait autant signifier l’antisémitisme d’alors ou dénoncer au
contraire l’image intéressée que l’on se faisait des juifs à l’époque. Une
ambiguïté impossible à entretenir alors que se sont dévoilées récemment les
horreur d’Auschwitz mais Hamer souhaitant associer cette lutte des classe d’une
certaine forme de racisme fera du héros un italien. La cruauté du roman (où le
héros n’hésitait pas à tuer des enfants pour parvenir à ses fins) est
retranscrite par une ironie et un humour noir savoureux s’exprimant notamment
par la voix-off détachée de Dennis Price.
Sa mère ayant choisie l’amour plutôt que le rang en épousant
un ténor italien, Louis Mazzini (Dennis Price) se voit détourné de la
prestigieuse lignée des Ascoyne-Chalfont, prestigieuse famille noble anglaise.
Il aura malgré son milieu modeste été élevé dans le souvenir de cette parenté,
étudiant les arbres généalogique et interdit de se mêler aux autres enfants
indignes de son rang. Les D’Ascoyne n’ont pourtant que faire de cette famille
embarrassante, refusant d’aider financièrement Louis et sa mère ou de
contribuer à sa carrière. Forcé de travailler comme simple commis de magasin,
Louis voit pourtant sans rancœur prendre une toute autre dimension lorsqu’il
sera refusé à sa mère tragiquement décédée de reposer dans le caveau familial.
Il va alors radicalement reconquérir son rang, assassinant les huit héritiers
Ascoyne qui le sépare du duché.
Les D’Ascoyne représentent différentes facettes de l’éloignement
des réalités de cette aristocratie (arrogance, snobisme, bêtise, sens de l’honneur
par l’absurde l’amiral) et toutes endossent le visage d’un Alec Guinness qui s’en
donne à cœur joie dans un transformisme loufoque. « L’ennemi » nanti
par cette incarnation uniforme représente donc une métaphore de l’aristocratie
imbue d’elle-même tandis que Hamer proposera une illustration plus hétérogène
de la populace qui ne vaut guère mieux. Louis Mazzini représente le pont entre
les deux classes sociales, partageant la condescendance des riches pour les
classes inférieures et l’avidité des pauvres pour s’élever à tout prix dans la
société.
Dennis Price est parfait pour exprimer cette dualité. Si l’on peut
être tout d’abord touché par ses déconvenues (notamment la mort de sa mère,
seule scène où il semble exprimer une émotion sincère), sa froide détermination
dans le crime, les manières de plus en plus arrogantes de sa prestance de
gentleman et les répliques distanciées finissent par le rendre aussi
antipathique que ceux qu’il combat. Ce renvoi dos à dos s’exprime également à
travers les deux personnages féminins. La dépravation, l’ambition et le calcul
de l’amie d’enfance Sibella (Joan Greenwood) n’a d’égal que la pudibonderie, la
naïveté et la conscience de son rang de la belle Edith d'Ascoyne (Valerie
Hobson). La séduction provocante de la première répond à la prestance et à la
beauté élégante de la seconde, manifestation des deux mondes dont est issus
notre héros.
La mise en scène de Robert Hamer participe de cette approche
par son inventivité. Le visions majestueuses du luxe dans lequel vivent les D’Ascoyne
sont non seulement atténuée par leurs attitudes arrogantes mais aussi par leurs
morts ridicules que le réalisateur filme avec un sens du gag (l’amiral noyé, la
chute dans la cascade) et des situations grotesques (le prêtre empoisonné) qui
transforme l’ensemble en un réjouissant jeu de massacre où le rire atténue la
violence des situations – mais pas toujours comme ce coup de fusil dénué du
moindre trait d’humour. Bêtes, imbus d’eux-mêmes et éloigné des réalités dans
les hautes sphères et prêts à tout pour
réussir, froidement intéressés et immoraux au sein du peuple.
Les aristocrates
accrochés à leurs privilèges s’avèrent aussi méprisables que les roturiers qui
ne rêvent que de prendre leurs places. Telle est l’Angleterre bousculée que
nous dépeint Robert Hamer. Le final salue ainsi ce triomphe de la vilenie (et
le prolongement de façade de ces valeurs avec le bourreau et le personnel de la
prison si déférents envers le duc) et du cynisme calculateur, la luxure comme
le confort s’offrant à notre héros avec ces deux prétendantes dont une devra
radicalement s’effacer. Le montage américain tentera bien d’édulcorer l’ensemble
avec l’ajout d’un épilogue où le journal de confession est découvert mais c’est
bien le regard malicieux de Dennis Price qui marquera l’impression d’ensemble.
Un classique absolu.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Studiocanal
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Studiocanal
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