Le Charlatan est un des films noir les plus original et audacieux produit durant l'âge d'or Hollywoodien et dont la modernité frappe encore aujourd'hui. Il ne doit d'ailleurs son existence qu'à une suite d'heureux hasards. Au départ on trouve un roman de William Lindsay Gresham, écrivain aventureux aux penchants alcooliques et autodestructeurs qui y fait montre de son goût pour l'univers des fêtes foraines. Paru en 1946, le livre est un best-seller et George Jessel producteur à la Fox se hâte d'en acquérir les droits. Une initiative qui provoquera la colère de Daryl Zanuck tant le livre s'avère inadaptable sans risquer les foudres du Code Hays. Le projet est prêt à être enterré mais l'obstination de Tyrone Power qui s'est entiché de l'histoire aura raison d'un Zanuck dépité de voir la star du studio écorner son image dans un tel rôle.
La légende veut que Lana Turner, amante d'alors de Tyrone Power ait intercédé en sa faveur auprès de Zanuck en lui rappelant que son rôle de femme fatale dans Le Facteur sonne toujours deux fois n'avait nullement troublé son image auprès du public. Le choix du réalisateur sera tout aussi déroutant, Power choisissant de retravailler avec Edmund Goulding avec lequel il vient de tourner Le Fil du rasoir (1946). Plutôt associé à la production de prestige (Grand Hotel son plus grand succès de 1932) et au portrait de femme (la fructueuse collaboration avec Bette Davis dont il était un des réalisateur favoris sur Une certaine femme (1937), Dark Victory ou La Vieille fille (1939)) Goulding va donc signer son chef d'œuvre sur un titre bien éloigné son territoire habituel.
Stanton Carlisle (Tyrone Power) est un jeune homme ambitieux végétant dans une troupe de forain itinérante. Bonimenteur hors-pair, il s'entend pour tenir une foule en haleine et la mystifier mais il lui manque encore quelque chose pour tutoyer les sommets auxquels il aspire. Ce pourrait être le "code", moyen de communication secret et infaillible permettant d'échanger des informations en public et passer pour un médium. Le couple de vedette déchu Zeena (Joan Blondell) et Pete (Ian Keith) pourrait lui transmettre, même les cartes ont d'emblée promis à Stan une ascension aussi vertigineuse que sa chute et la mort sur son parcours. Goulding conjugue avec brio cet aspect mystique à la personnalité enjôleuse et égoïste de son héros.
Tyrone Power teinte son charme naturel d'une vraie noirceur se devinant dans le regard chargé de malice et de calcul sous l'allure séduisante. Sa mise en scène et la photographie de Lee Garmes font baigner l'ensemble dans une atmosphère quasi surnaturelle avec ses visions nocturnes et hallucinées du camp de forain. Les "freaks" y sont légions et font figure d'âmes damnées, pitoyable comme Pete ayant sombré dans l'alcoolisme ou monstrueuse comme la créature de foire dissimulant un vrai homme ayant sombré dans la folie. On ressent ainsi autant le poids d'une destinée tragique inéluctable que la détermination de Stan dans ses actions les plus cruelles où même s'il n'est pas directement responsable, sa soif de grandeur aura provoqué la mort.
Cette approche se fait plus subtile dans la seconde partie où Stan accède désormais aux hautes sphères du show business de Chicago. Son spectacle bien rôdé ne lui suffit plus de médium de foire il en vient à se prendre pour un véritable prophète révélant les vérités secrètes enfouies dans le cœur de ses interlocuteur (la remarquable séquence avec le shérif récalcitrant ayant brillamment introduit cela). Le film annonce à la fois Elmer Gantry (1960) de Richard Brooks dans sa dénonciation de la religion spectacle mais aussi Un homme dans la foule (1957) d'Elia Kazan sur la crédulité d'un public soumis à un beau parleur mégalomane.
A cela s'ajoute une vision particulièrement noire de la psychanalyse, moyen de manipulation plus que d'aide entre des mains cynique avec le personnage incroyablement moderne d'Helen Walker - la belle Coleen Gray représentant le seul îlot de sincérité dans tout ce cynisme. En ayant voulu défier Dieu Stan va pourtant se perdre à son tour, celle cruelle destinée lui faisant refaire le parcours de ce qu'il a écrasé et méprisé dans une terrible déchéance. Plus que le semblant de morale final, c'est réellement ce voyage au bout de la nuit d'une audace inouïe qui aura marqué le spectateur. Zanuck toujours aussi peu convaincu sabordera la sortie, en faisant un préambule la plus vendeuse prochaine production avec Tyrone Power, le film d'aventures Capitaine de Castille (1947) sortant en fin d'année. Avec le temps Le Charlatan aura néanmoins gagné ses galons de classique.
Sorti en dvd zone 2 français chez Sidonis
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