En 1961 dans la
capitale jamaïcaine Kingston, le chef de la section jamaïcaine du MI6, John
Strangways, est assassiné en compagnie de sa secrétaire Mary. À Londres,
l'agent secret James Bond, de matricule 007, est convoqué dans le bureau de son
supérieur et reçoit pour ordre d'enquêter sur la disparition de Strangways et
de déterminer si elle est liée ou non à une affaire sur laquelle il travaillait
avec la CIA, portant sur la perturbation par ondes radio de lancements de fusées
depuis Cap Canaveral.
Production modeste qui aurait pu rester une série B exotique
oubliée, James Bond contre Docteur No
est au contraire le point de départ d’un véritable mythe cinématographique.
Avant d’être un phénomène cinéma, James Bond l’est d’abord en littérature
lorsque Casino Royale première
aventure du personnage rencontre le succès en 1953. Projection de lui-même
fantasmée de son créateur Ian Fleming, le personnage en endosse le raffinement
et les goûts (culinaire, alcoolisés comme féminin) et fascinera immédiatement
le lectorat d’alors. Fleming poursuit donc ses aventures pour une série de
roman au succès croissant dont l’univers d’espionnage s’inspire de sa propre
expérience dans la Naval Intelligence Division de l'Amirauté britannique. Une première adaptation télévisée de Casino
Royale sera diffusée en 1954 à la télévision américaine (Bond étant incarné par
Barry Nelson) mais ne rencontrera guère d’écho. Fleming ne rêve pourtant que de
cinéma pour son héros, imaginant Alfred Hitchcock et Cary Grant (qui ont
pourtant conçu une sorte de matrice au James Bond cinéma avec La Mort aux trousses (1959)) derrière et
devant la caméra. Toutes les tentatives vont pourtant échouer, y compris une
première initiée déjà par Cubby Broccoli qui souhaite la coproduire avec son
partenaire Irving Allen. La première rencontre entre ce dernier et Fleming
s’avère pourtant si catastrophique (Allen n’ayant que mépris pour les romans)
que le projet est mort-né.
En 1961 l’idée d’une adaptation se fait plus urgente
encore, les ventes des romans explosant avec la publication des dix livres
favoris de John Fitzgerald Kennedy dans le magazine Life et où Bons baisers de
Russie figure en neuvième position. Le producteur Harry Saltzman s’en porte
immédiatement acquéreur pour six mois mais il n’a ni les moyens, ni les
contacts au sein des studios pour lancer la production d’un film. Cubby
Broccoli lui les a et, désormais séparé de Irving Allen cherchera à racheter
les droits à Saltzman qui au contraire lui propose une association qui
perdurera jusqu’à L’Homme au pistoletd’or (1974). Le roman le plus simple à transposer en termes d’intrigue, de
logistique et budget sera Dr No, sixième aventure littéraire de Bond. En dépit
du budget modeste, la réussite tiendra du savoir-faire exemplaire de
l’industrie britannique tant dès ce premier opus la série des James Bond tient
d’un vrai travail collectif.
Aucun nom ronflant (tous ceux envisagés autant
pour le rôle de Bond que d’autres secondaires seront écartés comme Noel Coward
qui refusera d’être le Docteur No) mais une solide et ambitieuse équipe dont un
Terence Young vieux routier de la série B et technicien rompu à l’action sur des titres comme Trois chars d’assauts (1950) ou Les Bérets Rouges (1953). Son style
punchy et heurté définira la charte des Bond suivants mais il aidera aussi
grandement Sean Connery à s’approprier le personnage. Choisi grâce à sa
gestuelle féline malgré son inexpérience, Connery est alors encore un jeune
homme mal dégrossi, issus d’un milieu modeste et ayant eu plusieurs vies
(engagé à 17 ans dans la marine britannique, culturiste et troisième au
concours Mister Univers en 1950, divers travaux manuels) avant d’être acteur.
La séduction animale est déjà là mais pas forcément la distinction et le
gentleman qu’est Terence Young lui apprendra à se tenir en société, affinera
ses goûts et le recommandera à son tailleur. Ian Fleming horrifié par ce jeune prolo
changera totalement d’avis après avoir vu le film, au point d’ajouter des
origines écossaises à Bond dans les opus littéraires suivants.
La première apparition graduée de Bond à une table de baccara
sera ainsi mémorable. Une ombre, une silhouette, une main puis cet homme à
l’allure aussi désinvolte que classieuse qui se présente cigare au bec d’un
dédaigneux Bond, James Bond.
L’alliance du voyou et du gentleman sied idéalement à un Sean Connery parfait.
C’est précisément ce mélange d’élégance et de férocité, de classe et de
vulgarité qui fera tout l’attrait du film, à tout point de vue. L’entrevue avec
le chef du MI6 M (Bernard Lee) teinté d’autorité militaro - paternelle
affectueuse voit son sérieux contrebalancé par le ping-pong séducteur avec la
secrétaire Moneypenny (Lois Maxwell). Bond est également un héros à la sexualité affirmée, poussant jusqu’au bout la logique du héros macho. Les femmes le
regardent avec désir et le poursuivent de leurs assiduités (Sylvia Trench à
peine rencontrée l’attendant en nuisette
dans son appartement), si ce n’est pas le cas sa séduction virile s’impose à
elles (la secrétaire agent du Docteur No dont il profite tout en connaissant sa
traitrise) tôt ou tard (Honey Rider méfiante mais sous le charme au final).
Cette dualité opère aussi dans l’exotisme du film, le dépaysement ne virant
jamais à la carte postale et toujours imprégnée d’une aura menaçante à travers
le folklore local (les pittoresques faux aveugles qui s’avèrent être des
assassins redoutables). Enfin, cela s’applique bien sûr à l’héroïsme tout
particulier de Bond. Adepte du jeu de mot macabre (loin cependant de la
surenchère grotesque d’un Roger Moore trop blagueur) après s’être débarrassé
d’un ennemi, Bond malmène et tue de sang-froid (le professeur Dent (Anthony
Dawson) désarmé et abattu froidement, presqu'avec plaisir) quiconque s’interposera sur son chemin,
faisant passer la chose avec un bon verre. C’est un véritable choc dans le
paysage cinématographique d’alors et ce Bond sera l’incarnation la plus fidèle
du personnage avant d’être progressivement adoucie à partir de Goldfinger (1964) et Sean Connery crève
l’écran par sa présence élégante et menaçante. Les ennemis seront à la hauteur de ce héros surdimensionné avec le Dr
No (Joseph Wiseman) où là encore l’apparat de bd entourant le personnage (la
forteresse, les traits eurasiens forcés par le maquillage d’un acteur canadien)
ne sont qu’un contrepoint à sa présence glaciale et inquiétante.
C’est bien tous ces éléments typiques du cinéma d’aventures
(dépaysement, action, érotisme) mais aux traits accentués qui font toute la
particularité de ce premier James Bond et qui seront affiné dans les opus
suivants. C’est déjà la promesse d’un divertissement plus corsé que la moyenne
en dépit d’éléments ayant forcément vieillis notamment les scènes d’actions
(cette poursuite en voiture en rétroprojecteur bien ratée).
Le style fait
pourtant tout dans la caractérisation du personnage (le Walter PPK, le vodka-martini) et marque la rétine (fabuleux décor de salle de contrôle par Ken
Adam qui signera d’autres créations folles pour la série, l’apparition d’Ursula
Andress en bikini posant les bases de la James Bond Girl) autant que les
oreilles avec le légendaire thème de Bond. D’un vague thème de Monty Norman,
John Barry fera un arrangement percutant, inventif et entêtant dont il ne
pourra pourtant pas s’attribuer la paternité. Il se rattrapera en signant onze
bandes originales pour la saga. Félin, bariolé, sensuel et brutal même si
encore perfectible, un premier épisode marquant : la légende était en
marche.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Fox
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