Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 25 octobre 2022

Libertarias - Vicente Aranda (1996)


 En 1936, le déclenchement de la guerre civile espagnole oblige Maria, une bonne soeur, à quitter son couvent. Elle trouve refuge dans un bordel, où elle fait connaissance avec un groupe de femmes anarchistes qui luttent contre le régime franquiste, mais aussi, plus généralement contre l'ordre établi.

Vicente Aranda signe une magnifique fresque sur la guerre civile espagnole sous un angle original, celui des femmes. Le récit s'ouvre sur les prémices agités et nourris d'espoir du conflit où plusieurs destins vont se croiser. En cette ère de remise en question de toutes les institutions ayant directement ou implicitement contribué à l'oppression des démunis, l'église est une des cibles privilégiées. Maria (Ariadna Gil), jeune nonne n'ayant connu que le couvent est contrainte à la fuite et évite le pire en échouant dans une maison close dont elle est sauvée par un groupe de femmes anarchistes. Elle va se lier d'amitié avec les meneuses Pilar (Ana Belén) et Floren (Victoria Abril) qui vont élargir son horizon. Aranda évoque là le Mujeres Libres, organisation féminine libertaire créée par les premières figures féministes espagnoles et qui prit une part active dans la Guerre civile contre Franco. Tout au long du film, le groupe incarne un idéal social et paritaire qui va se confronter dans leur camp comme dans celui de l'adversaire franquiste aux écueils machistes du supposé "ancien monde". 

On se familiarise à cette idéologie, à ces protagonistes à travers le regard innocent de Maria. La jeune femme est la fois brusquée par le mépris fait de la religion qui fut toute sa vie, mais aussi intriguée et éveillée par la liberté qui s'offre à elle. Aranda montre sans jugement sa crispation face à la destruction des icônes religieuses, expose crûment la violence "nécessaire" du mouvement avec les exécutions sommaires de prêtres, illustrant une violence primaire et revancharde toute masculine au sein de cette révolution. A l'inverse la sororité, l'entraide et l'utopie socio-politique règne dans le groupe notamment par la caractérisation attachante et fantasque des meneuses. Ana Belen, Victoria Abril et Laura Mañá forment un trio charismatique et touchant qui amène leur vision du monde sur un terrain humaniste bienveillant autant que politique. Un des grands moments du film intervient dès le début lors du sauvetage de Maria dans la maison close, lorsque Aura déclame une tirade pleine d'emphase aux prostituées pour leur expliquer que cette société où est exploité le corps des femmes n'a plus lieu d'être. La scène prend initialement un tour comique avec les prostituées ne comprenant pas ce charabia militant, avant qu’Aura prenne une métaphore crue qui leur parle et leur fait endosser la cause.

La cohabitation et la relation homme/femme sur un pied d'égalité occupe également une longue séquence de siège dans les tranchées où le quotidien tout comme la réalité du front concerne tout le monde sans exception. C'est dans ces moments de vie ordinaires que Aranda fait exister, s'incarner le message par des protagonistes plutôt que le discours. Maria a ainsi assimilé les ouvrages politiques qu'on lui a soumis mais c'est réellement cette vie commune qui va affiner sa vision. Cela occasionne d'ailleurs une scène comique où les belligérants s'invectivent par mégaphone interposés et lorsque Maria s'empare du micro pour naïvement lancer une harangue politique se fait copieusement insulter. 

Le spectateur sait pourtant bien malheureusement l'issue du conflit et la nature éphémère de cette communauté, et l'ombre de la tyrannie franquiste à venir plane sur le récit, notamment une scène comico-mystique annonçant les heures sombres à venir. Une des audaces du film est d'écarter toute velléité romantique à laquelle on soumet trop systématiquement les femmes. La bagatelle pour le simple plaisir charnel vaut autant pour elles que pour les hommes, et Maria malgré un certain éveil amoureux ne quittera jamais ses compagnes pour cela. La tournure du conflit s'annonce presque lorsque les réflexes machistes rattrapent le camp du bien, ramenant une rigueur militaire qui exclut les femmes du front pour les réduire aux tâches domestiques. La conclusion est incroyablement cruelle et brutale en contrepoint de la parenthèse enchantée à laquelle on a assisté, faisant du film une forme de paradis perdu.

Sorti en dvd espagnol

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