Une jeune anglaise est agressée par un groupe de chasseurs dans la campagne normande. Elle parvient à s’enfuir mais les notables décident de la traquer dans les marais.
Serge Leroy signe avec La Traque un des films les plus âpres et singulier du cinéma français de l’époque. Avec le Dupont Lajoie d’Yves Boisset sorti la même année, le film témoigne d’une mentalité violente et rétrograde d’une certaine France moyenne d’alors. Si Boisset dans la lignée de sa filmographie engagée assume la portée polémique de son propos, le cas de La Traque est différent. Si le film a une indéniable et d’autant plus forte portée féministe aujourd’hui au vu de ce qu’il dépeint, cela était assez inconscient, du moins pour le réalisateur et les acteurs si l’on en croit les souvenirs de tournage de certains en bonus de l’édition vidéo. C’est à l’inverse ce qui a sans doute attiré Mimsy Farmer qui en tant que femme a parfaitement perçu la portée du récit. Cet équilibre entre charge sociale, thriller et féminisme plus ou moins affirmé constitue justement la force du film. Le propos trop explicitement militant (à la Boisset des mauvais jours justement) aurait rendu l’ensemble moins noir et désespéré que l’éprouvant résultat auquel parvient Serge Leroy.
Le début du film équilibre immédiatement les forces en présence en cette journée de chasse. Il y a Helen (Mimsy Farmer), l’intruse vulnérable et ce groupe de chasseur se tenant chacun sous la coupe les uns des autres selon des attributs variés. Le trajet vers le pavillon de chasse puis le repas dans celui-ci nous montre les rapports de domination primaires et machistes que représente les frères Danville (Jean-Pierre Marielle et Philippe Léotard), sociale et financière que symbolise Sutter (Michael Lonsdale), tandis que les ambitions politiques de Mansart (Jean-Luc Bideau), les métiers de notaire de Rollin (Paul Crochet) ou d’assureur de Chamond (Michel Robin) les placent entre deux feux. Les inférieurs sont tout désignés, que ce soit par leur faiblesse de caractère, leur carrure moindre, statut social inférieur et secret honteux, tel le garde-chasse Maurois (Gérard Darrieu). Tout ce rapport s’expose de manière limpide dans des dialogues et situations triviales dont on ne comprendra l’importance que plus tard. A l’inverse, le sentiment d’insécurité d’Helen se devine de manière à la fois plus directe mais aussi insidieuse. Le regard appuyé de Philippe Léotard peu habitué à voir d’aussi élégante jeune femme alentour, la bienséance hypocrite de Mansart ne contredisant pas les allusions à une supposée liaison avec Helen, tout cela exprime un virilisme et une vision des femmes matérialisée par la passion de la chasse de ces hommes. Dès lors Helen dans sa confrontation au groupe symbolisera cette barbarie où elle ne se différencie pas du gibier que l’on traque et consomme pour le plaisir du geste. La résistance de la femme là aussi tout d’abord implicite, puis manifeste lorsqu’elle se défend d’un coup de fusil contre son agresseur revenu à la charge, représente la peur de ces hommes face à la modernité. Le gibier, le repos du guerrier inoffensif, ose mettre en danger leur toute puissance. Serge Leroy a la sagesse de filmer avec sobriété l’éprouvante scène de viol, et par la suite de caractériser de manière nuancée les chasseurs. Ils ne sont pas tout d’un bloc primaire, et c’est cette normalité et les différentes raisons qui les poussent à une cruauté commune (soumise au statut social et les apparences) qui les rend encore plus monstrueux. Philippe Léotard dégage un mal-être qui teinte son geste d’un contraste fait d’inéluctabilité et de regret, il marque un temps d’arrêt conscient pendant l’horreur, ce qui ne l’empêchera pas d’essayer de recommencer ensuite. Les autres hommes sont à l’avenant, pitoyables et abjects puisque tous ont une conscience morale et une peur des conséquences qui paradoxalement les entraîne plus profond dans l’ignominie. Serge Leroy fait subtilement fonctionner leur dynamique selon la scène du pavillon de chasse initiale, laissant entrevoir la volte-face possible de certains (Michel Constantin, Jean-Luc Bideau subtilement lâche), avant de faire voler tous les statuts en éclat et de démontrer une solidarité détestable entre eux. Tous les attributs initialement mis en lumière dans leurs interactions se dérobent pour illustrer leur vulnérabilité, notamment Michael Lonsdale diminué physiquement et délesté de son autorité de notable. Les scènes de poursuites en forêt (dont l'atmosphère de désolation automnale contribue à la noirceur) sont irrespirables, du fait de la fatalité que l’on devine dans l’issue de ce drame. Mimsy Farmer avec un rôle très peu parlant dégage un désespoir marqué par chacune de ses foulées à bout de souffle, par l’intensité de son regard. Sa silhouette fluette, isolée et désarticulée s’oppose toujours, dans les transitions de montage ou les compositions de plan, à la présence et entité unique que représentent les chasseurs. L’individualité fragile est écrasée par la force du collectif, qui n’aura même pas le courage d’aller au bout de son geste et en achevant leur proie. Une œuvre glaçante, éprouvante de nihilisme et de désespoir.
Sortie en bluray chez Le Chat qui fume
Un film incroyable , peut être le plus noir et désespéré du cinéma Français des années 1970
RépondreSupprimerIl y a concurrence avec "Série noire" de Alain Corneau qui se pose là aussi en la matière !
RépondreSupprimerTout à fait !
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