Mortimer Brewster vient annoncer à ses deux vieilles
tantes Abby et Martha qu'il va se marier. Puis il découvre, caché dans un
coffre, le cadavre d'un vieil homme. Ses deux tantes lui avouent alors qu'elles
se sont fait une spécialité de supprimer les vieux Messieurs seuls au monde en
vue de leur rendre service.
Arsenic et vieilles dentelles est un sommet de la comédie américaine qui constitue pour Frank Capra une pause plus légère après une série de films personnels, humanistes et engagés (L'Extravagant Mr. Deeds (1936), Horizons Perdus (1937), Monsieur Smith au Sénat (1939), L’Homme de la rue (1941)). On s’éloigne ici de cette prise avec le réel dans cette adaptation d’un succès scénique de Broadway. Arsenic and Old Lace est une pièce écrite par Joseph Kesselring et jouée à partir de 1941 pour un triomphe immédiat auprès du public. Une transposition cinématographique est très vite envisagée mais la pièce est encore un tel succès que les producteurs de la pièce font signer à la Warner un contrat stipulant que le film ne sortira pas tant que la pièce est encore jouée sur scène. Ainsi le film bien que tourné en 1941 voit sa sortie envisagée pour 1942 mais n’arrivera sur les écrans qu’en 1944. Si l’on ne retrouve pas la profondeur et les problématiques sociales des opus précédents de Capra, sa tendresse pour les petites gens transparaît grandement dans la manière de traiter la criminalité des protagonistes comme une folie douce. Dès la scène d’ouverture où Mortimer (Cary Grant), chantre médiatique du célibat, est démasqué lors de sa propre cérémonie de mariage, la nature schizophrène entre l’apparat et la vraie nature des Brewster se révèle. Si la persona filmique de Cary Grant appelle à ce grand écart loufoque dès cette entrée en matière, la surprise et l’effet comique est bien plus grand lorsqu’on découvre la tendance au meurtre « charitable » des deux tantes Abby (Josephine Hull) et Martha (Jean Adair). Leur présence douce et inoffensive, leur nature d’âmes chrétiennes charitables amènent une sidération et un décalage comique que Capra fait entièrement reposer sur les réactions outrées de Cary Grant. La dimension de comédie noire repose plus sur ce décalage que de vraies visions macabres, mais néanmoins le film gère brillamment ses ruptures de ton. La folie s’empare du récit par l’excentricité des personnages, et son acceptation par l’entourage. L’introduction de l’oncle Teddy (John Alexander) se prenant pour Roosevelt et dont la nature fantasque est assimilée par tous (les policiers l’appelant « président ») insère ainsi cette folie dans un panorama quotidien qui se substitue au réel.Dès lors on comprend le choix de Frank Capra d’avoir en grande partie gardée un dispositif filmique se rapprochant du théâtre. Hormis quelques « extérieurs » dans la rue, presque tout le film se déroule la pièce principale de la maison des tantes, le plus souvent en plan d’ensemble « scénique » ponctué de quelques mouvements de caméra et rares incursions dans d’autres pièces. Ce décor presque unique reflète ainsi la normalité qu’affiche tous les protagonistes et les différentes mues de cet espace refléteront aussi leurs strates mentales. Cela passe par des éléments de décor tel ce coffre renferment un cadavre, les altérations inquiétantes qu’amènent la photo Sol Polito. Des ténèbres oppressantes servent à masquer une horreur trop explicite qui romprait l’entre deux (Raymond Massey et Peter Lorre faisant rentrer un cadavre), le halo lumineux de la cave où sont enterrés tous les corps amenant une dimension presque surnaturelle. Dès que le récit semble prendre une direction trop uniforme en termes de ton et d’ambiance, un élément inattendu et farfelu vient casser les attentes et contribuer à ce sentiment de schizophrénie.D’ailleurs le seul protagoniste totalement négatif est celui dont la nature est uniforme avec le psychopathe Jonathan (Raymond Massey). Le seul élément excentrique et amenant un rebond comique avec lui est son visage défiguré évoquant Boris Karloff, explicitement cité de façon référentielle en clin d’œil à l’acteur qui créa le rôle au théâtre. Pour le reste Jonathan contribue à poser un climat plus menaçant, son lien fraternel avec Mortimer en faisant son envers monolithique tandis que l’élasticité de ce dernier lui fait endosser toutes excentricités qui l’entoure. Mortimer est à la fois l’éponge des extravagances familiales et un observateur distant (la révélation finale de ses origines faisant sens) qui n’en est pas une fatalité, une finalité, une malédiction en mouvement. Cary Grant est grandiose traversant le film d’un comique tour à tour physique et cartoonesque, de pure expressivité faciale (fabuleuse séquence où bâillonné il passe par toutes les émotions) et encore distance lasse et ironique quand il observe avec détachement une bagarre dantesque. Frank Capra nous offre là un éreintant et euphorisant ride splapstick où les fous rires sont légion, avec un Cary Grant tout autant garant de la normalité que véhicule d’une fantaisie que l’histoire célèbre plus qu’elle ne juge.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
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