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mercredi 25 décembre 2024

Empire du soleil - Empire of the Sun, Steven Spielberg (1987)


 En 1941, la concession internationale de Shanghai semble ignorer tout de l'occupation japonaise du reste du pays. James Graham, jeune fils d'un industriel britannique, y vit une existence protégée et pleine d'aventures imaginaires. Mais l'attaque de Pearl Harbour marque la fin de cet état de grâce, et James se retrouve séparé de sa famille. Condamné au statut d'errant, il se retrouve finalement emprisonné dans un camp de prisonniers où il doit apprendre à survivre...

Le summum de la veine entertainer et peintre du merveilleux de Steven Spielberg court sans doute de Les Dents de la mer (1975) à Indiana Jones et le Temple Maudit (1984). Après cette période, le réalisateur l’âge avançant ne retrouvera plus jamais complètement cette science du divertissement, se ratant en voulant renouer avec la candeur enfantine sur Hook (1991), où se montrant brillant illustrateur mais sans atteindre l’émotion d’antan avec Jurassic Park (1993) – le génie du divertissement se poursuivant plutôt sous la casquette de producteur avec la trilogie Retour vers le futur, Gremlins (1984), Qui veut la peau de Roger Rabbit (1988) et quelques autres. Sa filmographie des années 90 sera dès lors assez inégale, le penchant adulte pouvant accoucher d’une réussite comme La Liste de Schindler (1993) ou de ratage tels que Amistadt (1997). Ce n’est que durant les années 2000 qu’il résoudra l’équation pour aboutir à un second âge d’or filmique, où la noirceur cohabite harmonieusement avec les visions sidérantes dans des œuvres comme AI : Intelligence Artificielle (2001), Minority Report (2002), Arrêtes-moi si tu peux (2003), Munich (2005) ou encore La Guerre des Mondes (2006).

Cette quête de maturité s’ouvre avec La Couleur pourpre (1985) et se poursuivra donc avec Empire du Soleil. Ce dernier paraît vraiment être le film « à la David Lean » de Spielberg, et pour cause, c’est bien le cinéaste anglais qui devait initialement le réaliser. Lorsque la Warner achète les droits du roman semi-autobiographique de J. G. Ballard (publié en 1984), David Lean s’engage à la réalisation et Spielberg, grand admirateur de Lean est supposé assurer la production. Lean finit par jeter l’éponge (on peut regretter et être curieux de ce que sa version aurait donnée malgré la réussite du film que l’on connaît) et Spielberg décide de reprendre les rênes du projet. Jusqu’ici toute la filmographie de Spielberg mettant en scène des enfants (ou des hommes-enfants comme dans Rencontres du troisième type (1977)) étaient des hymnes à l’innocence, à une candeur préservée apte à surmonter la noirceur du réel avec en point d’orgue le merveilleux E.T. (1982). Il fallait chercher le versant sombre de cette veine du côté de Poltergeist de Tobe Hooper (1982) que Spielberg semblait avoir un peu plus que supervisé. Avec Empire du Soleil, c’est presque le contraire et cette naïveté enfantine qui se retourne souvent comme son jeune héros James (Christian Bale) face aux épreuves qu’il affronte. 

Spielberg étend d’ailleurs ce sentiment à l’ensemble de la concession occidentale au début du film, vacant à sa vie oisive et ses habitudes coloniales dans cet espace à part du tumulte extérieur avec l’invasion de Shanghai par les troupes japonaises. La scène d’ouverture joue bien de cela, le choix des bâtiments, ruelles et espaces filmés pouvant donner l’illusion que l’intrigue se déroule en Angleterre. Par la seule image, Spielberg nous traduit ainsi le détachement des occidentaux, peu préoccupés des locaux et ayant tout simplement reproduit à l’identique leur société en Chine. Spielberg appuie encore ce point par la suite, avec le contrepoint des Anglais déguisés et en voiture se rendant à une fête costumée, alors que les émeutes et la pauvreté agitent la ville qu’ils traversent indifféremment – les conversations complaisantes et condescendantes durant la soirée entérineront cela. 

James, fils d’un industriel britannique, est à la fois la conséquence de cet environnement par son propre mépris des domestiques chinois, mais aussi encore un enfant loin de ces préoccupations par son foisonnant imaginaire. Passionné d’avions, il idolâtre les Zéro japonais, et est fasciné par les valeurs guerrières de ces derniers. Les Zéros traversant le ciel de la concession sont source d’émerveillement pour lui quand ils sont lourds de menace pour les adultes avertis, et Spielberg prépare longuement le moment où l’émerveillement et le danger de ces symboles vont entrer en collision pour briser le quotidien de l’enfant. James découvre l’imminence de la guerre en tombant sur une garnison de soldat chinois en voulant récupérer sa maquette d’avion, et plus tard perdra la trace de sa mère dans une émeute en allant ramasser son jouet, un Zéro en modèle réduit.

L’épreuve de la séparation, de la solitude puis de la vie en camp de prisonnier accentue cette dualité chez James. Au sens de la débrouille qu’il développe au fil des années de captivité s’oppose une hyperactivité immature témoignant d’un refus de grandir, de papillonner sans se soucier du contexte comme le montrera sa fascination intacte pour les avions japonais. Spielberg l’observe par des séquences puissantes, tel ce moment où James brave le danger pour toucher de près et s’émerveiller face à un Zero japonais, puis faire un salut militaire aux pilotes. 

Il y a dans cette attitude une ouverture aux antipodes du comportement des adultes, et qui paradoxalement lui sauvera la vie à deux reprises. Néanmoins, cela témoigne aussi de l’absence de recul et de repères du jeune héros, ce qui se répercute dans son lien aux adultes. D’un côté il cherche une mère de substitution avec l’acariâtre mais bienveillante Madame Victor (Miranda Richardson), un père respectable auprès du docteur Rawlins (Nigel Havers) faisant son éducation scolaire, et de l’autre un mentor peu recommandable avec Basie (John Malkovich), canaille dont les conseils sont pourtant indispensables à sa survie dans cet environnement hostile.

Le mouvement perpétuel et la logorrhée ininterrompue sont donc les moyens de surmonter sa solitude, d’oublier l’absence de ses parents. La longue errance finale fait office d’introspection douloureuse durant laquelle James tutoie la folie, Spielberg multipliant les visions incroyables (le stade désert empli d’objet issus de la concession anglaise) où l’environnement frise l’abstraction pour nous plonger dans un véritable espace mental où notre héros affronte ses démons. Il y eut l’illusion de la concession internationale, mais en partie aussi celle du camp, et la véritable confrontation avec le monde extérieur et ses horreurs va se faire là pour James, seul face à lui-même, ses peurs, ses doutes et sa solitude. Christian Bale pour son premier rôle au cinéma impressionne déjà, la transformation du garçon poupin et énergique à l’adolescent émacié et éteint est tout simplement stupéfiante, notamment par ce regard vide qui en a trop vu, ce corps raide qui en trop subi. 

Empire du Soleil est une des productions les plus impressionnantes de Spielberg, la première occidentale à être autorisée à filmer à Shanghai. La reconstitution est somptueuse, les scènes de foule démesurée, les moments de destruction glaçant ou subtilement ambigus à travers le regard enjoué de James. Malgré quelques petits défauts de rythme et de caractérisation sommaire des Chinois, ce pas de Spielberg vers les grands sujets est des plus convaincants. 

Sorti en bluray français chez Warner

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