Pendant qu'une coupure
d'électricité paralyse la ville, Roy Neary, un réparateur de câbles de l'Indiana,
voit une soucoupe volante passer au-dessus de sa voiture. Barry Guiler, un
petit garçon de quatre ans, est, quant à lui, réveillé par le bruit de ses
jouets qui se mettent en marche. Dans le monde entier, d'autres personnes
assistent avec étonnement à des d'événements aussi spectaculaires
qu'inexplicables…
Au sortir du triomphe de Les
Dents de la mer (1975), Steven Spielberg se trouve dans une position où il
peut tourner ce qu’il veut. Depuis l’enfance et la vision d’une pluie de
météore dans le ciel au côté de son père, Spielberg est fasciné par l’espace et
plus précisément par l’ufologie, soit l’étude d’une possible vie
extraterrestre. Il s’intéresse notamment (et ce avant que cela devienne un
sujet sensationnel et à la mode) aux travaux de J. Allen Hynek, ufologue
renommé qui participa au projet gouvernemental Blue Book entre 1951 et 1959 et
répertoria une série de témoignages qui finirent par le convaincre de l’existence
d’une vie extraterrestre. On lui doit la classification des échelles de contact,
la rencontre du troisième type correspondant à la vision rapprochée et d’un
ovni et d’une entité extraterrestre.
Spielberg entame l’écriture du script avec Paul Schrader
mais la collaboration tourne court à cause de la vision divergente sur le point
de vue à adopter. Schrader souhaite faire du héros un militaire vieillissant
quand Spielberg veut un héros qui soit un « monsieur tout le monde ».
Le réalisateur s’attèlera donc seul au scénario (il faudra attendre A.I. (2001) pour le revoir procéder
ainsi), Schrader renonçant par orgueil à ses crédits et donc points de participation aux recettes, ce qu'il regrettera amèrement. C’est un élément fondamental de la philosophie du film et de l’approche
même du fantastique et de la science-fiction par Spielberg, à savoir faire surgir
l’extraordinaire dans l’ordinaire. Les témoins des apparitions d’ovni seront
donc des quidams lambda dont la perception sera bouleversée par cette
rencontre.
L’inexplicable vient ainsi dérégler le quotidien avec un Spielberg
transformant l’imagerie americana par ses phénomènes surnaturels. Les pannes d’électricité
donnent lieu à quelques vignettes saisissantes comme ces maisons d’une ville de
l’Indiana sont progressivement plongées dans l’obscurité. La « rencontre
du troisième type », plus intime, s’avère bien plus éprouvante et va
crescendo dans la manifestation spectaculaire qui opèrera une même mue du
panorama rural traditionnel américain. Ce sera une simple lumière suivant dans
la nuit étoilée la voiture du père de famille Roy Neary (Richard Dreyfuss), des
objets lumineux survolant une bande de curieux, la maison de la mère
célibataire Jillian (Melinda Dillon) secouée en tous sens.
Après pareille expérience, impossible de renouer sereinement
avec le réel. Le contact a laissé les traces d’un message, d’un mystère qu’il
faut poursuivre. Le film est ainsi emblématique de l’utopie des années 70 où l’on
est prêt à tout abandonner pour un idéal, la transcendance d’un quotidien
morne. L’obsession de Roy Neary en fait un homme-enfant pour qui plus rien ne
peut exister si ce n’est faire vivre les visions qui le hantent. Spielberg
aujourd’hui marié et père admet d’ailleurs qu’il ne pourrait plus écrire
désormais ce type de personnage, et si Jillian offre un pendant plus rationnel
(tout en étant aussi fascinée, elle cherche surtout à retrouver son fils), ce
sont bien les scènes où la cellule familiale se disloque qui frappent comme ce
moment où Roy moule une forme de montagne avec sa purée.
Le traitement de « l’autre »
venu des étoiles reflètent aussi l’époque. La paranoïa anticommuniste avait
systématiquement fait des extraterrestres des envahisseurs belliqueux dans la
SF des années 50 (exception faite de Le
Jour où la terre s’arrêta de Robert Wise (1951)), 2001, l’odyssée de l’espace était
certes passé par là mais demeurait unique en son genre et c’est bien avec Rencontre du troisième type (et plus
tard E.T. (1982)) que viendrait s’installer
une vision bienveillante des aliens. Dernier élément inhérent à cette décennie
ressenti dans le film, le contexte post-Watergate avec un gouvernement qui
suscite la méfiance et dont Spielberg tisse l’imagerie inquiétante, froide et
inhumaine (dont A cause d’un assassinat
d’Alan J. Pakula a posé les jalons) qu’il prolongera dans le final des Aventuriers de l’Arche perdues (1981),
E.T. et qui fera des émules dans la fiction complotiste comme X-Files.
C’est précisément la raison du choix de François Truffaut
pour jouer le scientifique français Lacombe. Spielberg, grand admirateur de
Truffaut, avait été fasciné par la présence apaisante qu’il dégageait dans L’Enfant sauvage (1970) et le convainc
de jouer dans Rencontre du troisième type.
Au sein de l’entité gouvernementale glaciale et neutre, Lacombe offre donc un
visage compatissant, curieux et humain face aux évènements hors-normes, et
saura comprendra l’obsession de Roy Neary. Ne parlant pas anglais, Truffaut est
autorisé par Spielberg à dire ses répliques en français, Bob Balaban jouant le
rôle de son traducteur. Cet élément trivial introduit cependant par l’empathie
de Lacombe surmontant la barrière de la langue l’idée d’une communication
échappant au seul écueil du langage parlé. Spielberg articule ainsi l’échange
avec les extraterrestres sur une manière « autre » de dialoguer, à l’échelle
de cet interlocuteur extraordinaire. Tout le film est une réflexion, un
questionnement sur la manière de se comprendre. Roy Neary s’isole de son
entourage en étant incapable au départ de matérialiser le rendez-vous fixé par
les extraterrestres. Les scientifiques eux même tâtonnent et ce sont les
populations les plus ouvertes à une forme de mysticisme et spiritualité qui s’approprieront
le langage musical des aliens.
Cette gamme de cinq notes très simples est une des plus
belles créations du film. Spielberg força John Williams plus enclin de signer
une vraie mélodie à se restreindre à cette suite de note, sorte de salut amical
propre à enclencher le dialogue. C’est ce qui amorce l’impressionnant échange sons
et lumières du final où, au fur et à mesure de l’échange, les éléments
expérimentaux de musiques concrètes se mêlent à une vraie envolée symphonique
et opératique signant la connexion chaleureuse entre humains et
extraterrestres. Spielberg recrute Douglas Trumbull responsable des effets
spéciaux de 2001. Après de nombreuses
recherches, le design chargé de mystère des vaisseaux est trouvé avec ces halos
lumineux renfermant des maquettes inondées de lampes multicolores.
Le détail se
révèle progressivement mais c’est avant tout cette allure autre, ces mouvements
d’une fluidité inédites pour l’œil humain qui fascine et provoque un effet de
sidération comme l’on en a rarement ressenti à l’écran et qui culmine lors du
final. Trumbull invente notamment un système de mouvement de caméra programmé
qui anticipe le cadrage ainsi que le point fait par l’objectif avant l’ajout des
vaisseaux en postproduction. Pour éviter la dégradation de pellicule inhérente
à la manipulation de l’image pour intégrer les effets visuels, les morceaux de
bravoures SF seront filmés en 65 mm (contre 35 mm pour les séquences « normales »)
et à l’image on atteint à la fois un degré de fluidité, netteté et homogénéité
limpide dans l’addition des techniques (matte-painting, maquettes, effets
visuels) qui rendent le film encore magique et impressionnant aujourd’hui.
Au final Rencontre du
troisième type est un blockbuster vraiment expérimental dans le fond et la
forme par rapport aux standards actuels (il n’y aurait que le Premier Contact (2016) de Denis
Villeneuve en digne successeur pour le titiller) à la puissance évocatrice
intacte, et à l’émotion purement sensorielle. C’est son film sur lequel Spielberg
reviendra le plus, multipliant les montages avec le retrait/ajout de séquences
captivantes et surtout une hésitation constante dans le degré de visibilité des
extraterrestres hors vaisseau (visibles dans le montage cinéma, à nouveau voire
trop dans l’édition spéciale de 81 qui filme l’intérieur du vaisseau, et plus
du tout dans le director’s cut de 1998). Quoiqu’il en soit un des vrais chefs d’œuvre
du réalisateur, son plus bel appel vers les étoiles.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Sony
Quel beau titre pour une journée aussi marquée qu'aujourd'hui ! Sans aucun doute, l'un de mes films préférés, que j'ai eu l'occasion de commenter sur mon blog il y a un peu plus de trois ans.
RépondreSupprimerhttp://cinefiliasantmiquel.blogspot.com/2016/11/encuentros-en-la-tercera-fase-1977.html
Joyeux Noël, Justin !