Frank Sheeran est un
ancien soldat de la Seconde Guerre mondiale devenu escroc et tueur à gages aux
côtés de quelques-unes des plus grandes figures du 20e siècle. Couvrant
plusieurs décennies, le film relate l'un des mystères insondables de l'histoire
des États-Unis : la disparition du légendaire dirigeant syndicaliste Jimmy
Hoffa. Il offre également une plongée monumentale dans les arcanes de la mafia
en révélant ses rouages, ses luttes internes et ses liens avec le monde
politique.
The Irishman
apporte une sorte de point final au cycle mafieux dans la filmographie de
Martin Scorsese avec Means Streets
(1973), Les Affranchis (1990) et Casino (1995). Chacune de ces œuvres avait
contribué à démythifier l’image glorieuse et aristocratique du gangster
(véhiculée entre autre par la trilogie du Parrain
de Francis Ford Coppola) en le ramenant à une dimension terre à terre. Scorsese
liait cet aspect à sa propre expérience des mafieux qu’il observait et
enviait, lui le gamin souffreteux, chétif et asthmatique. Ce regard émerveillé
était ainsi progressivement contredit pas la violence crasse, la bêtise et la
fraternité de façade des malfrats. Means
Streets dépeint ainsi les jeunes aspirants mafieux et les petites frappes
décérébrées, Les Affranchis les
petites mains visant à être caïd et Casino
contredisait le clinquant de Las Vegas par les conflits intimes des agents mafieux
en place. Chaque film est un écho de l’âge de Scorsese au moment de sa conception et
The Irishman (même si le projet fut
envisagé depuis longtemps sans réussir à être financé) arrive donc à point
nommé avec son ambiance mortifère, sa réflexion sur la mort et le temps qui
passe.
Le film adapte le livre I
Heard You Paint Houses: Frank ‘The Irishman’ Sheeran and the Inside Story of
the Mafia, the Teamsters, and the Final Ride by Jimmy Hoffa de Charles
Brandt, confessions de Frank Sheeran, syndicaliste d’origine irlandaise lié à
la mafia et soupçonné d’avoir tué Jimmy Hoffa. On observe sur plusieurs
décennies le recrutement, l’ascension et la chute de Frank Sheera, ainsi que la
déchéance du monde qui l’entoure. La grande différence avec les précédentes œuvres
mafieuse de Scorsese est cette fois l’absence totale de dualité, de bascule de
la fascination vers l’ordinaire monstrueux mafieux. Le récit s’ouvre ainsi sur
un Frank Sheeran (Robert De Niro) ayant déjà largement atteint l’âge mûr, en
tournée de racket et roulant vers un mariage avec son mentor Russ Bufalino (Joe
Pesci). Les paysages traversés ramènent Frank à l’époque de son entrée dans le
milieu et la voix-off ôte tout panache à ses exactions.
Tout contribue à être
un miroir en négatif des précédents films de Scorsese. Lorsque Frank va
incendier le siège d’une blanchisserie concurrente, Scorsese montre les
préparatifs mais laisse une ellipse sur l’action en elle-même, soit tout le
contraire d’un fameux arrêt sur image où Henry Hill commettait une exaction
similaire dans Les Affranchis. De
même quand le système de prêt frauduleux de Jimmy Hoffa (Al Pacino) nous sera
montré, on pensera forcément à la séquence où De Niro nous dépeignait les
détournements de fonds dans les arrière-salles de Casino. Seulement la virtuosité du film de 1995 s’estompe, que ce
soit dans le cadre nettement moins flamboyant, les sommes plus modestes (le
travelling sur l’ouverture du coffre-fort) l’aspect négociation de quincailler
loin du panache mafieux.
Ces différences tiennent dans l’hésitation et le regret des
personnages dans chaque film. L’hésitation est pour le Harvey Keitel de Means Streets encore tiraillé entre
religion et destinée criminelle. C’est le regret de l’impunité d’antan qui
domine dans Les Affranchis, et un
regret à la fois romantique et matériel pour Casino. Il y aura à chaque fois eu une étape exaltante avant d’en
arriver à cette résignation quand elle imprègne chaque seconde de The Irishman. Frank n’est qu’un soldat qui agit professionnellement, sans dégout ni passion, là où on l’envoie
régler les « problèmes ». Son quotidien est quelconque si ce n’est la
lumière qu’y amène le bouillonnant Jimmy Hoffa qui va devenir un ami cher. Ce
dernier est cependant condamné à l’image de toutes les figures fantasques
associées au faste mafieux, comme Joseph
« Crazy Joe » Gallo (Sebastian Maniscalco). Le vrai pouvoir est détenu par les
présences momifiées et spectrales de Russ (Joe Pesci remarquable de présence
glaciale aux antipodes de ses prestations nerveuses habituelles chez Scorsese)
ou« Fat Tony » Salerno (Domenick Lombardozzi). Scorsese déploie donc une sorte
de fatalité constante qui s’exprimera sous plusieurs formes. Plusieurs mafieux
sont introduits par un panneau qui narre les circonstances de leur future mort,
toujours violente.
Les éléments de langages criminels nous sont d’abord
introduites de manière informative, avant de prendre un sens tragique dans la
suite du récit sans que les explications soient nécessaires (la notion de little bit concerned, ou le fatal It is what it is final). Cela s’exprime
aussi dans l’intime avec dès l’enfance le regard à la fois apeuré et accusateur
que pose Peggy (Anna Paquin faisant passer une sacrée gamme d’émotion dans un
rôle muet) sur son père, qui devine les basses besogne qu’il s’apprête ou vient
de commettre. Même les effets spéciaux moyennement convaincants de
rajeunissement (le visage juvénile de De Niro étant connu de tous dur d’être
convaincu, d’autant que sa gestuelle engourdie est bien celle d’un homme de son
âge) contribuent finalement à cette atmosphère hantée, étrange et fantomatique de musée de cire.
Cette absence d’épique nous fait traverser le récit entre bar, chambre d’hôtel
et volant de voiture pour l’essentiel, ce sont l’ordinaire et le pathétique qui
dominent. Les personnalités plus attachantes ne valent pas mieux par leurs
objectifs narcissiques (Jimmy Hoffa et son leitmotiv It’s my Union !) et les vraies amitiés se soumettent à la loi
du milieu.
Le mausolée prend complètement corps dans la dernière
demi-heure montrant la déchéance physique, la désespérance morale et la
solitude à laquelle sont condamnés les mafieux. Contrairement aux Affranchis ou
Casino, il n’y a même pas eu l’illusion d’une vie faste et excitante à laquelle se
raccrocher. Mais malgré le peu que tout cela lui aura finalement rapporté et ce
qu’il y a perdu, la fidélité stérile aux codes est de mise pour Sheeran qui
restera silencieux sur ce qu’il est advenu de Jimmy Hoffa. Ce ne sont pas les
thèses et/ou explications sur certaines exaction médiatiques qui importe ici
(JFK possiblement assassiné par la Mafia, James Ellroy était déjà passé par là
et le sort d’Hoffa même sans preuve était logique) mais la vacuité de ces actes
quand arrive la fin.
Disponible sur Netflix
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