Les Nuits de Chicago
de Josef von Sternberg (1927) avait posé les grandes lignes du film de gangster
avant l’avènement du genre au début des années 30 dont Le Petit César de Mervyn LeRoy (1931), L’Ennemi public de William A. Wellman (1931) ou encore Scarface d’Howard Hawks (1932) constitueraient
les sommets urgents, violents et provocateurs. Les Carrefours de la ville est un film un peu oublié dans ce cursus,
sans doute car il s’agit de la seule incursion de Rouben Mamoulian dans le
genre - Laura sera autre un
rendez-vous manqué puisque Mamoulian débutera le tournage avant d’être évincé
au profit d’Otto Preminger. Le film se démarque également de ses contemporains
par une dimension morale qui n’est pas contrainte (se souvenir de l’épilogue
« punitif » ajouté à la fin de Scarface)
tout en s’insérant dans une peinture crue du monde criminel. Le sujet du film
vient d’un Dashiell Hammett en pleine ascension avec le succès de La Moisson Rouge paru en 1929, puis de Le Faucon Maltais publié en 1930 et
adapté une première fois au cinéma l’année suivante. Comme souvent et d’autant
plus avec l’essor du parlant, l’auteur est sollicité par Hollywood mais le
synopsis de Les Carrefour de la ville
(qui sera étoffé avec le scénario de Oliver H.P. Garrett) sera une de ses rares
contributions au cinéma. Sa patte se retrouve cependant dans le film, tour à
tour édulcorée et cinglante, où l’on retrouve cette ambiguïté, porosité du mal
et observation sans fard des malfrats.
L’apport de Rouben Mamoulian est essentiel. Le cinéma
parlant émergeant cède encore souvent au théâtre filmé mais Mamoulian pour ce
qui est son deuxième film, parvient mettre en valeur des dialogues percutants
tout en prolongeant une dimension narrative purement formelle héritée du muet.
La scène d’ouverture travaille ainsi l’énergie du dialogue avec cet échange
entre le redoutable Big Fellow (Paul Lukas) et le malheureux qui va lui
racheter sa fabrique de bière. Le cadrage, la manière de mettre en valeur la
présence dominatrice et l’effet de meute des gangsters, donnent ainsi un tour
immédiatement menaçant à la transaction. La suite fatale pour l’acheteur passe
un effet montage où le flot d’un fut de bière se confond avec celui de la
rivière où flotte le chapeau de la victime. Ce monde du crime féroce et
impitoyable, la jolie Nan (Sylvia Sidney) n’en connaît grâce à Pop (Guy Kibbee)
que les plaisirs, persuadée de vivre au sein d’une communauté solidaire qui
vous permet vous rend la vie facile. C’est ce dont elle essaie de convaincre
Kid (Gary Cooper), son petit ami dont le gabarit intimidant et la dextérité au
revolver pourrait être utile. Mais ce dernier se tient à distance de cet
environnement, la romance ne tenant qu’à un fil, celui de l’attirance charnelle
des amants que Mamoulian capture merveilleusement lors d’une scène de
réconciliation.
Les deux personnages constituent la boussole émotionnelle et morale du film, dont les trajectoires vont s’inverser dans leur rapport au milieu des gangsters. Chez ces derniers, le pouvoir comme les femmes se prennent à coup de bassesses et de traitrise où l’amitié comme les liens filiaux n’existent plus. L’épouse de l’autre se vole au grand jour face à l’intéressé, et l’ami de toujours vous abat dans une ruelle déserte sans remords. Big Fellow incarne l’image élégante et sournoise de cette vilenie quand Pop (aidé par le jeu truculent de Guy Kibbee) en est le visage dégénéré et insensible sous ses airs rieurs.
Les deux personnages constituent la boussole émotionnelle et morale du film, dont les trajectoires vont s’inverser dans leur rapport au milieu des gangsters. Chez ces derniers, le pouvoir comme les femmes se prennent à coup de bassesses et de traitrise où l’amitié comme les liens filiaux n’existent plus. L’épouse de l’autre se vole au grand jour face à l’intéressé, et l’ami de toujours vous abat dans une ruelle déserte sans remords. Big Fellow incarne l’image élégante et sournoise de cette vilenie quand Pop (aidé par le jeu truculent de Guy Kibbee) en est le visage dégénéré et insensible sous ses airs rieurs.
Nan va en faire les frais en servant d’alibi à son père et en faisant de la prison pour lui. La « famille » du crime n’est qu’un vaste échiquier où les pions les plus faibles sont sacrifiés sans remord. En prison pourtant, un seul point la réconforte. Son homme l’attend à l’extérieur, et il n’a rien à voir avec cet univers. Kid va cependant se laisser entraîner d’abord guidé de bonnes intentions pour aider Nan. Gary Cooper est absolument remarquable dans sa mue criminelle, passant du grand échalas ahuri mais attachant à une présence froide, élégante et dangereuse. La transformation est bien sûr la plus visible dans l’aspect vestimentaire, mais c’est surtout le passage de la gestuelle désordonnée de l’homme-enfant turbulent à celle, mesurée de celui désormais habitué à devoir sortir à tout moment son revolver, qui impressionne. Le regard même de Gary Cooper, rieur et distrait, exprime désormais le calcul et la froideur (notamment l’expression ambiguë de ce regard lorsqu’il quitte nan en prison, faisant douter de l’issue des retrouvailles à l’extérieur).
Mamoulian fait habilement passer toute cette gamme de
sentiment, et lorsque la redite du crime initial semble se rejouer, c’est bien
le lien indéfectible des amoureux qui va dérégler la mécanique meurtrière et
dominatrice si bien huilée. Tout ce qui les entoure est instable (Big Fellow
prêt à se débarrasser de son amante comme un colis encombrant dès qu’une proie
plus séduisante sera en vue) et ne se fixera que par une démonstration de
force. Le scénario inverse donc le schéma initial avec le sacrifice de Nan au
service de la cause noble de son amour et Kid qui pose son ascendant pour la
même raison. Là encore le réalisateur se passe de mots pour nous le faire
comprendre dans une magistrale scène d’action où Kid écrase ses adversaires de
son sang-froid dans une course en voiture effrénée en parallèle d’un train puis
sur de périlleuses routes de montagnes. Les mouvements de caméra fluides, les
incrustations habiles et le sentiment grisant de vitesse façonnent une séquence
d’action stupéfiante. Les Carrefours de
la ville diffèrent donc des sommets brutaux du genre par son absence de
nihilisme, du refus de jubilation le sadisme. C’est finalement un défaut et une
qualité qui le démarque, la naïveté de sa conclusion étant peu crédible mais
satisfaisante pour le spectateur s’étant attaché à ce couple.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Rimini
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Rimini
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire