Fabienne, icône du
cinéma, est la mère de Lumir, scénariste à New York. La publication des
mémoires de cette grande actrice incite Lumir et sa famille à revenir dans la
maison de son enfance. Mais les retrouvailles vont vite tourner à la
confrontation : vérités cachées, rancunes inavouées, amours impossibles se
révèlent sous le regard médusé des hommes. Fabienne est en plein tournage d’un
film de science-fiction où elle incarne la fille âgée d’une mère éternellement jeune.
Réalité et fiction se confondent obligeant mère et fille à se retrouver..
Lors de la promotion de The
Third Murder (2018), Kore-eda avait annoncé vouloir sortir de la relative
zone de confort où l’avaient installés ses précédents films (I wish (2011), Tel père, tel fils (2013), Notre
petite sœur (2015), Après la tempête
(2016)), belles réussites mais progressivement figées dans une routine
bienveillante et doucereuse attendue de la part du réalisateur. The Third Murder était donc déjà réalisé
en réaction à cela, le film tout en creusant les mêmes questionnements filiaux
s’orientant vers le thriller judiciaire tortueux. On a beaucoup parlé d’œuvre
de synthèse pour le célébré Une affaire de famille (2018), ce qui contredisait en apparence cette volonté de
rupture. La continuité était surtout thématique mais le réalisateur renouvelait
là le ton (cette truculence et mauvais esprit rappelant la comédie italienne
des grandes heures), les milieux sociaux dépeints (démarche amorcée dans Après la tempête) mais aussi la forme
plus solaire et radieuse que la sobriété d’antan. Il s’agissait pourtant au
final de son œuvre la plus sombre et cinglante contre la société japonaise depuis
Nobody knows (2004).
La Vérité est dans
cette lignée où la continuité du fond se conjugue à la mise en danger sur la
forme avec ce premier tournage dans un pays et une langue étrangère. Le projet
naît d’une discussion avec Juliette Binoche alors en visite au Japon en 2011 et
rêvant de travailler avec Kore-eda. Ce dernier exhume alors une pièce qu’il avait écrite en 2003 et
décide d’en faire un scénario, qu’il adapte en France et à son prestigieux
casting (Catherine Deneuve et Ethan Hawke viendront s’ajouter à la
distribution). C’est un point essentiel surtout quand on pense à la
semi-réussite (ou semi-ratage selon les sensibilités) de Le Secret de la chambre noire de Kyoshi Kurosawa, autre fameux
maître japonais récemment exilé en France, dont le script semblait plaqué au
forceps dans l’hexagone mais où seule les scènes d’atmosphère (à la seule
réussite formelle) fonctionnaient au détriment d’un contexte socio-culturel qui
sonnait faux.
Au contraire La Vérité
aurait sans doute difficilement pu mieux fonctionner que dans ce cadre
français. Quelle actrice japonaise (côté acteur cela aurait été plus simple)
issue de la même génération a aujourd’hui l’aura et la notoriété (dans son pays
et le reste du monde) qu’une Catherine Deneuve taillée pour ce rôle d’icône
dont le passif glorieux passe par sa seule présence à l’image ? Elle joue
ici Fabienne, une star vieillissante qui vient de publier ses mémoires et s’apprête
à jouer un second rôle auprès de la jeune actrice montante du moment. C’est le
moment où sa fille Lumir (Juliette Binoche) vient lui rendre visite avec son
époux Hank (Ethan Hawke) et leur enfant. Catherine Deneuve endosse avec brio
tout le mélange de verve, d’égocentrisme et de fiel la nature caractérielle de
celle qui fut, et pense encore être au centre des regards. Les dialogues sont à
la fois piquants et blessants, révélant la relation complexe entre la mère et la
fille.
La vérité du titre, c’est celle se jouant entre la
personnalité publique et intime, entre la femme et l’artiste. Le fossé entre
Fabienne et Lumir semble donc tout d’abord venir d’une carrière qui a toujours
eu la priorité sur la famille, celle-ci étant imprégnée de ce clinquant factice
(Lumir reprochant à Fabienne les mensonges magnifiés de ses mémoires). C’est
une fausse piste puisque c’est précisément par cette nature facétieuse de
l’imaginaire que Fabienne attire la lumière, devant les caméras comme dans le
privé. Les apparitions/disparitions du grand père dû à un phénomène magique
qu’elle invente pour sa petite-fille sont ainsi une superbe idée à la fois
visuelle, comique et thématique. L’incompréhension mère-fille vient d’une Lumir
marquée par son enfance et qui prend les mensonges de Fabienne pour une
distance prise de sa part quand ils expriment justement l’inverse.
Kore-eda exprime cette idée par la nature même du métier
d’acteur. Ainsi une scène de dîner familial est partagée entre reproches
mère-fille (le fantôme d’une amie disparue planant sur leur relation agitée) et
les remarques désobligeantes de Fabienne envers la carrière d’acteur de Hank. En
artiste en proie à ses propres démons celui-ci devine les intentions plus
profondes des attaques de sa belle-mère quand Lumir est à vif dans l’expression
de sa rancœur. C’est le film dans le film (dont le postulat donnerait
d’ailleurs une formidable fiction à part entière) où le rôle de Fabienne passe
par plusieurs âge et états qui laissent fendre l’armure (en la plaçant à son
tour en fille délaissée) par sa difficulté à aborder sa prestation et pour ses
implications plus intimes. Catherine Deneuve laisse alors vaciller l’icône et
laisse entrevoir sa vulnérabilité, donnant une autre lumière à ses
excentricités quotidiennes. Kore-eda dans l’intention retrouve un peu l’idée d’After life (1998) où la création, la
projection de nos émotions matérialisées servent de révélateurs.
Le réalisateur s’est parfaitement fondu dans cette
atmosphère française tout en conservant son identité. On le ressent dans la
tension constamment en sourdine mais qui n’explosera jamais réellement, alors
que sur un postulat similaire un drame français moyen aurait cédé ne serait
qu’une fois aux règlements de comptes et à l’hystérie. La promiscuité éphémère
et douloureuse rappelle Still walking (2008), l’atmosphère et
les compositions de plan capturant la fin d’été de ce dernier trouvant un écho automnal
dans La Vérité, entre mélancolie et
espoir. Le plus important n’est pas ce qui est asséné, mais ce qui
est ressenti. La vérité passera par tout l’envers des souvenirs pénibles que
nous découvrirons à la fin, mais paradoxalement aussi par l’affection de Lumir
enfin capable de l’exprimer aussi par le mensonge. Le superbe échange et la
duperie avec sa fille est un des plus beaux et tendre non-dit de la filmographie
de Kore-eda.
En salle
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